Pendant deux décennies, le Mossad a infiltré le Hezbollah jusqu’à la moelle

2024 fut incontestablement l’annus horribilis du Hezbollah libanais depuis sa fondation. L’automne cinglant de cette année a décimé son état-major aussi bien politique que militaire et à sa tête l’emblématique Hassan Nasrallah. Pour le parti chiite libanais, il y a indiscutablement un avant et un après 2024; cependant ce qui s’est passé cette année ne s’est pas produit en un claquement de doigts, il est la conséquence d’une vaste opération d’infiltration qui a débuté dès l’été 2006 au lendemain de la fin de la guerre entre Israël et le Hezbollah. 

Imed Bahri

Une enquête menée par le New York Times a révélé l’étendue de la pénétration des espions du renseignement extérieur israélien, le Mossad, dans les rangs du Hezbollah libanais ainsi que les détails de leur rôle dans les opérations israéliennes les plus importantes contre le parti chiite.  

Selon l’enquête, le Mossad a recruté des espions pour installer des appareils d’écoute dans les cachettes du parti, a suivi ses réunions secrètes et avait une connaissance presque constante des mouvements de tous les dirigeants y compris le secrétaire général assassiné par Israël en septembre 2024. 

Le NYT indique que la campagne d’Israël contre le Hezbollah qui a culminé avec l’explosion des bipeurs et l’assassinat de hauts dirigeants du parti tels que le chef du conseil militaire Fouad Shukr et son successeur Ibrahim Aqeel, ainsi que l’assassinat de milliers de Libanais et le déplacement de plus d’un million de personnes, a conduit à l’affaiblissement de l’un des adversaires les plus importants d’Israël et par ricochet à diriger une frappe stratégique contre l’Iran.

Le journaliste d’investigation spécialisé dans les renseignements et les affaires étrangères Mark Mazzetti, la journaliste spécialiste des technologies Sheera Frenkel et le journaliste israélien Ronen Bergman, auteur d’un livre sur les opérations du Mossad, se sont appuyés sur des entretiens avec plus de 20 responsables israéliens, américains et européens, actuels et anciens, qui ont parlé sous couvert d’anonymat.

Nasrallah tué dans sa forteresse souterraine

L’enquête révèle que Nasrallah ne croyait pas qu’Israël allait le tuer et que ses collaborateurs l’ont exhorté à changer de cachette sauf qu’il les a ignorés et est resté dans sa forteresse souterraine où il a été tué. 

Selon les renseignements recueillis par Israël et partagés plus tard avec ses alliés occidentaux, le chef du parti n’avait pas réalisé que les agences d’espionnage israéliennes surveillaient chacun de ses mouvements depuis des années, grâce à des taupes qu’il n’a pas été difficile de recruter car le Hezbollah n’avait pas que des amis au Liban : il était autant craint que détesté par beaucoup de Libanais.

Les dirigeants israéliens ont préféré ne pas informer les États-Unis avant l’attaque en prévision d’une éventuelle objection mais ils étaient confiants quant au soutien américain en cas de réponse iranienne.

Le NYT indique que la guerre de juillet 2006 entre le Hezbollah et Israël fut un tournant. Cette guerre a été humiliante pour Israël et a conduit à l’ouverture d’une commission d’enquête, à la démission de hauts responsables militaires et à une réévaluation de l’approche des services de renseignement à l’égard du Hezbollah en mettant l’accent sur l’amélioration de la collecte des données et la précision des opérations.

Le Mossad a ainsi recruté des individus qui ont occupé des postes essentiels dans les efforts de reconstruction de la structure du parti au lendemain de la guerre de 2006. Selon 10 responsables américains et israéliens, ces informateurs ont fourni des informations importantes sur les installations secrètes du parti, les caches d’armes et les mouvements de la direction du parti.

L’enquête précise qu’Israël partageait et partage toujours ces informations avec les États-Unis et leurs alliés européens.

Selon des responsables bien informés du ministère israélien de la Défense, Israël disposait de moins de 200 dossiers de renseignements sur les dirigeants et les munitions du parti à la fin de la guerre de 2006 mais au moment de l’opération de l’explosion des bipeurs en septembre 2024, le nombre de dossiers avait atteint des dizaines de milliers.

Le rôle déterminant de l’unité 8200

Le NYT a également insisté sur le rôle déterminant de l’unité 8200 (est une unité de renseignement de Tsahal, responsable du renseignement d’origine électromagnétique et du décryptage de codes) avec laquelle le Mossad a travaillé de concert. 

En 2012, cette unité 8200 a obtenu un trésor d’informations qui comprenait l’endroit où se trouvaient les dirigeants du parti et leurs cachettes, en plus de l’emplacement des armes et des missiles, ont rapporté cinq responsables actuels et anciens du ministère israélien de la Défense ainsi que des responsables européens.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a visité le quartier général de l’unité à Tel Aviv peu après l’opération. Au cours de la visite, le chef de l’unité a fièrement exhibé les informations en sa possession et s’est ensuite tourné vers Netanyahu et lui a dit: «Vous pouvez attaquer l’Iran maintenant», ont rapporté des responsables israéliens au courant de la visite mais Israël n’a pas attaqué la République islamique. 

Le rapport confirme que le Mossad, en coopération avec l’unité 8200, a mené une opération qui a duré plus de 10 ans pour pénétrer le réseau de communication du Hezbollah en fournissant des engins de communication explosifs par l’intermédiaire de sociétés écrans israéliennes.

La piste des bipeurs piégés

En 2014, Israël a commencé à fabriquer des talkies-walkies imitations IC-V82 sur lesquels le parti s’appuyait avant que la société japonaise Icom ne cesse de les fabriquer. Des responsables ont déclaré au journal que des versions israéliennes des explosifs avaient été introduites clandestinement au Liban et que le parti avait reçu plus de 15 000 unités en 2015.

En 2018, un officier israélien a présenté un plan pour pirater les bipeurs mais les autorités l’ont rejeté en raison de la diffusion limitée de l’appareil selon l’enquête du NYT.

Cependant, après que les doutes du parti sur l’utilisation des téléphones et leur dépendance aux bipeurs se soient accrus, le Mossad a commencé à lorgner la société taïwanaise Goldball connue pour fabriquer de type d’appareils. Elle a obtenu des licences pour de fausses sociétés écrans basés à l’étranger par l’intermédiaire desquelles elle produisait des modèles de bipeurs personnalisés commercialisés auprès du Hezbollah en fonction de leurs capacités militaires.

Cette opération a été confrontée à des risques lorsque des experts techniques au sein du Hezbollah ont commencé à soupçonner que les bipeurs avaient été compromis et l’enquête du NYT indique qu’Israël avait rapidement éliminé l’un de ces experts par une frappe aérienne. 

L’enquête ajoute qu’en août 2023, le chef du Mossad David Barnea a écrit une lettre secrète à Netanyahu dans laquelle il appelait à une campagne visant à paralyser les capacités de missiles et les installations frontalières du Hezbollah. Quelques semaines plus tard, alors que des renseignements indiquaient que le parti envoyait les bipeurs en Iran pour analyse, les choses se sont accélérées et Netanyahu a enfin autorisé l’opération.

Selon le NYT, l’intense concentration des services de renseignement sur le Hezbollah montre que les dirigeants israéliens pensaient qu’il représentait une menace imminente pour Israël mais l’attaque surprise est venue du Mouvement de la résistance islamique Hamas qui, selon les services israéliens, n’avait ni l’intérêt ni les capacités pour attaquer Israël. Cependant, le Hamas n’était pas espionné par le Mossad autant que le Hezbollah mais par le Shin Bet, les renseignements intérieurs.

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