Zazou l’Algérien, ou le degré zéro du patriotisme  

Zazou Youcef, l’influenceur algérien sur Tik Tok récemment arrêté en France, risque de passer plusieurs années en prison pour ne pas avoir compris d’une part que l’opposition politique n’est pas une trahison à son pays et, d’autre part, que l’appel au meurtre est un délit condamné par le droit aussi bien en France qu’en Algérie.

Lahouari Addi *

Le zazou en arabe dialectal algérien désigne quelqu’un qui prête attention à son apparence, à ses habits et à ses cheveux gominés qu’il fait briller pour plaire à la gent féminine. Il déambule dans le quartier pour se faire remarquer, souvent en sifflant, cherchant à susciter l’admiration. Il aime entendre dire: «Voilà le zazou qui arrive».

Le zazou algérien est l’équivalent du gigolo européen attentif au regard d’autrui, principalement celui des femmes à qui il promet monts et merveilles. Il ne donne aucune importance aux mots qu’il profère.

Il se trouve que ces jours-ci, un zazou algérien a été arrêté par la police française à Brest pour avoir voulu se faire remarquer, ce qu’il a réussi à faire puisqu’il est suivi sur Tik Tok par des dizaines de milliers de personnes.

Le Zazou de Brest ne s’est pas taillé un personnage à la Travolta des années 1970; il n’a pas mis en scène sur Tik Tok des danses frénétiques, ni déclamé des poèmes pour des femmes ou crié son amour à l’une d’entre elles. Il n’aurait pas été arrêté pour cela. Il a été arrêté pour avoir appelé à tuer des opposants algériens en France et en Algérie. Rien que çà. C’est sa façon de montrer son patriotisme et son amour pour son pays. L’amour qu’il a pour son pays passe par la haine de certains de ses compatriotes. Sa culture ne lui permet pas de comprendre que l’opposition au gouvernement n’est pas l’opposition au pays. Il estime que critiquer Tebboune c’est critiquer l’Algérie.

C’est sur cette culture que le régime algérien compte pour perdurer. Quand un régime perd ses bases sociales, il attire à lui des clientèles nauséabondes.

Pourtant, le Zazou de Brest vit en France où il y a une opposition qui critique Macron du matin au soir sans être accusée d’être hostile à la France.

Mais le drame dans tout cela, et il y a un drame, c’est que le Zazou de Brest est un harrag, c’est-à-dire un jeune qui, au risque de sa vie, a quitté son pays ruiné par le régime qu’il défend sur Tik Tok. Il appelle à tuer des opposants qui veulent changer pacifiquement la situation politique en Algérie pour que les jeunes ne sentent plus le besoin de quitter leur pays.

La conséquence dramatique pour Zazou est qu’il risque de passer plusieurs années en prison pour ne pas avoir compris d’une part que l’opposition politique n’est pas une trahison à son pays et, d’autre part, que la menace de mort (ou l’appel au meurtre) est un délit condamné par le droit aussi bien en France qu’en Algérie.

Appeler au meurtre équivaut à installer la guerre civile dans la société. Le zazou de Brest va se justifier devant le juge en disant mais ce ne sont que des paroles, inconscient que les paroles ont des conséquences. Dire c’est faire.

Zazou est un harrag qui s’est brûlé en France où il aurait pu vivre dans l’anonymat. Il a préféré la célébrité incendiaire qui va le ramener à la case départ avec un corps usé en prison et vieilli de plusieurs années. Une fois en Algérie, fera-t-il encore le zazou et va-t-il être tenté par la harga une seconde fois?

* Professeur à l’Institut des études politiques de l’Université de Lyon.

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