Ceux qui pensent encore que tous les cardiologues sont des enfants de chœur, ou de cœur, se bercent d’illusions. Car, chez eux aussi, la cupidité peut dépasser la prudence, et l’imprudence peut naître d’un faux sentiment de sécurité, ainsi qu’on le constate tous les jours.
Dr Mounir Hanablia *
Il y a évidemment tous ces collègues qu’on n’a plus revus, et dont on a choisi de ne plus entendre parler, pendant des années, parce que, par respect pour l’illusion que quelque part au fond de son âme on continue d’entretenir sur sa profession ou sur soi-même, il valait mieux éviter de le faire; ceux là mêmes qui ne manquent pas inévitablement de venir cogner au heurtoir de la mémoire, comme un tortionnaire s’acharnant sur les rides du temps pour en extraire douleur et amertume. Et une simple carte de visite suffit parfois à ressusciter ses vieux démons.
Envoyer un membre de sa famille se faire faire un électrocardiogramme dans les urgences d’une clinique ne devrait à priori pas poser problème, tant que l’examen est facturé et que le patient s’acquitte de son dû sans contestation. C’est oublier que nous sommes ici, et plus précisément, dans une clinique. Le patient qui a souvent d’autres chats à fouetter, peut se voir refuser sans protester l’examen demandé, sinon ordonner par l’infirmier de service, ou l’ouvrier, ou le surveillant, ou le Dictateur Médical, ou on ne sait trop qui, d’aller le réaliser à la consultation du «grand» cardiologue de l’immeuble médical d’à côté. Et bien évidemment, comme celle-ci est généralement, comment en serait-il autrement, et c’est un euphémisme, pleine à craquer, un simple électrocardiogramme de dix minutes peut nécessiter pour sa réalisation le retour une semaine ou dix jours plus tard au moment que la secrétaire du cardiologue estime le plus adéquat, en général après plusieurs heures d’attente. Mais ce n’est pas dans l’évocation de la manière avec laquelle les réputations se font et se défont dans la profession que se situe l’intérêt de la réflexion. Et après tout, le bénéfice vient du bon Dieu, ainsi que partout dans le monde ceux qui tirent un avantage souvent indu d’une situation déterminée ne cessent de le répéter, pour éviter d’aborder une question qui étant issue de l’imperfection humaine n’a pas de réponse. Peut-être l’Intelligence Artificielle arrivera-t-elle à la résoudre.
Le cardiologue demandeur peut donc, en étudiant l’électrocardiogramme, se retrouver avec entre les mains la carte de visite du collègue en question dont nul n’avait sollicité l’intervention. Et être intrigué par le titre pompeux qu’elle puisse porter, celui d’Assistant des hôpitaux de Paris.
Un titre d’autant plus pompeux qu’il est faux
En général, pour tous ceux qui sont un peu au fait des études médicales en France, l’internat y correspond au résidanat de notre pays, et la chefferie de clinique se rapporte à ce que nous nommons assistanat hospitalo-universitaire. Il y a bien un assistanat des hôpitaux, mais il faut pour cela postuler et être en possession d’un diplôme d’Etat français de spécialiste en médecine. Aussi le titre porté sur la carte de visite ne peut pas correspondre à la réalité, d’autant moins quand le diplôme est tunisien, et qu’on ne justifie pas d’un Certificat d’études spécialisées français. Tout au plus dans les services bienveillants, le stagiaire étranger apprécié non détenteur de l’équivalence peut-il bénéficier d’un titre de faisant fonction d’interne; et encore, c’était avant que le Rassemblement National n’occupe le tiers du parlement en France.
Et donc, oui, une simple carte de visite peut constituer une preuve irréfutable d’usurpation de qualité; pour peu qu’elle ne soit pas considérée par le juge comme un faux, que les Anglo-saxons nomment Forgery.
J’ai la chance et l’honneur de connaître un cardiologue tunisien des hôpitaux de Paris, un ancien chef de clinique, un vrai de vrai, que j’éviterai de qualifier d’ami pour ne pas le gêner. Il faisait la navette entre la Tunisie où il disposait d’une clientèle enviable, et la France, où il passe toujours le plus clair de son temps et y dispose d’une clientèle importante. Un jour notre «usurpateur» au moment où il s’installait, est venu le voir à son cabinet pour lui demander l’autorisation d’ouvrir dans le même immeuble que lui. Ce qu’il lui accorda volontiers, d’autant qu’étant la plupart du temps en France, il pensait ainsi assurer une alternative à ses patients en cas d’urgence. Il finit par s’apercevoir que, en fait, sa propre secrétaire était plus soucieuse d’envoyer les patients vers le cabinet du nouveau voisin, et il finit par mettre la clé sous le paillasson, ce qui est dommage autant pour ses patients que pour la cardiologie en Tunisie ou pour l’esprit de la profession. En fait, il fut bien mal payé en retour, d’autant qu’il avait dissuadé un de ses patients de porter plainte, suite à une complication survenue après une procédure réalisée par l’usurpateur, à ses débuts, à un moment où sa carrière en eût été irrémédiablement marquée.
Mais c’était le temps où avec l’un, plus tard trois, de ses collègues, l’usurpateur essayait d’accaparer l’activité dans plusieurs établissements à la fois dans le cadre d’une équipe que d’aucuns non dénués de mordant surnommeront l’Etat Islamique de l’Irak et du Cham et dont les membres naturellement se signaleront par leur rôle «d’avant-garde» dans l’affaire des Stents périmés. Et pour cause: ils se plaignaient aux Dictateurs Médicaux qui ont du détournement du malade une interprétation plutôt restrictive, que les patients qui débarquaient de pays voisins avec des infarctus du myocarde pour les attendre pendant des heures, dans les urgences des cliniques où ils étaient censés être de garde pendant qu’ils s’activaient ailleurs, soient pris en charge par d’autres qu’eux, plus disponibles; ils prétendaient éliminer toute concurrence, y compris par la calomnie, et naturellement, à grand renfort de prosternations et de courbettes, au besoin en se faisant l’instrument du Cerbère bien connu dans la profession, qui ne voyant aucun inconvénient à manipuler des blancs becs aux dents longues pour arriver à ses fins, se livrait par ailleurs à des rituels bizarres et solitaires sur les recettes faramineuses que tous les jours durant des décennies le destin plaçait entre ses mains.
Plus on est riche, plus on risque de tout perdre
Si ce personnage digne du film Mephisto Waltz avait vécu au temps de la chasse aux sorcières, on n’aurait sans doute pas manqué de l’accuser d’avoir vendu son âme au Diable. Il avait d’ailleurs l’habitude de se vanter d’avoir assuré l’avenir de ses petits-enfants. C’est oublier que plus on est riche, plus les risques de tout perdre un jour ou l’autre sont grands. Aujourd’hui, souffrant d’une longue maladie dont il n’y a évidemment pas lieu de se réjouir, il avait appris l’angioplastie coronaire sur le tas de patients étrangers chez qui il s’était fait une renommée (???) par force dîners et mondanités et avait contribué d’une manière décisive à la déchéance (provisoire) de son initiateur. Il prétendait «cintrer» la concurrence et canaliser la clientèle vers son tout nouveau cabinet près de l’établissement qu’il avait dirigé pendant des années. Sa gestion à sa tête avait suscité quelque contestation sur des factures confondant bénéfices personnels et frais de la société, au point d’être écarté de sa direction, sans coup férir pourrait on dire.
Pour en revenir à l’imposteur, il était rentré dans la salle de cathétérisme durant l’un de mes actes et s’était mis à parler au téléphone d’une voix haute en évoquant la conversion de milliers d’euros et les taux de change en cours.
Durant un autre acte qui avait pris plus de temps que prévu, étant donné sa difficulté, un autre de ses coéquipiers, fort de ses accointances régionalistes lui ayant mis le pied à l’étrier, m’avait un jour amené en salle de cathétérisme le directeur médical et le cerbère qui, au lieu de me proposer leur aide, m’avaient demandé d’y mettre fin. Le cerbère? Un jour j’avais demandé à l’un de mes collègues, son coéquipier, de ne pas faire de bruit pendant la procédure. Quelques jours plus tard, le cerbère a rappliqué alors que j’étais habillé en salle avec un collègue et s’est mis à parler à voix haute, afin de bien marquer son territoire, pourrait-on dire.
Usurpation de titre, faux et usage de faux
Pour ne pas en dire plus sur des choses auxquelles j’ai ou n’ai pas assisté, ceux qui pensent encore que tous les cardiologues sont des enfants de chœur, ou de cœur, se bercent d’illusions. Certes, hormis le Code de déontologie médicale dont à l’ère du facebook l’évocation fait désormais passer pour ringard, pour autant que la corruption soit un délit dont on ne peut jamais établir la réalité, et qu’aucun texte de loi pénale n’interdise spécifiquement d’être insupportable quand un collègue exerce son activité professionnelle, et il faut être doté de qualités (dans le sens substantif) rares pour faire le coup de poing et la minute d’après enfiler un stent sur un guide coronaire, il y a quand même d’autres lois qui condamnent l’usurpation du titre et le faux qui sont des réalités matérielles.
Le plus dramatique n’est pas la propension de certains cardiologues à faire ce que bon leur semble envers et contre tout, pour tout dire à se comporter comme des voyous, mais leur obstination à ignorer les leçons du passé.
C’est là le signe indéniable d’un manque d’intelligence, parce que rien n’est plus facile que d’avoir un procès en pénal sur les bras pour usurpation de titre, faux et usage de faux, par les temps qui courent, et le médecin déjà suffisamment soumis au risque de l’erreur médicale et de l’issue fatale sans erreur, n’a nullement besoin de cela. Mais la cupidité peut dépasser la prudence, et l’imprudence peut naître d’un faux sentiment de sécurité, ainsi qu’on le constate tous les jours. Et que deviendrait donc l’industrie médicale si tous les médecins se mettaient à respecter les guidelines et les indications? Certes ces collègues là peuvent se prévaloir d’avoir obtenu les meilleurs scores dans les concours les plus difficiles. Aurait-on ainsi réussi leur instruction et raté leur éducation?
* Médecin de libre pratique.
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