Débat à Tunis | La scène au féminin n’est pas nécessairement féministe

À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, célébrée le 8 mars de chaque année, le Théâtre national tunisien (TNT) a organisé une table-ronde intitulée «La scène au féminin », célébrant le travail et l’apport des metteuses en scène tunisiennes. Une occasion pour réfléchir sur le travail des femmes dans le théâtre, non pas comme un acte militant isolé, mais comme une nécessité pour la diversité et le renouvellement de la scène artistique tunisienne.

Lassaad Mahmoudi

L’événement qui s’est tenu avant-hier soir, vendredi 7 mars 2025, à la salle Le 4e Art à Tunis, a réuni trois figures majeures du théâtre tunisien contemporain : Leïla Toubel, Wafa Taboubi et Lobna Mlika. La rencontre a été animée par la critique Faouzia Belhaj Mezzi, mettant en lumière les parcours, les défis et les contributions artistiques des femmes dans le monde du théâtre en Tunisie.

Dans son mot d’ouverture, le directeur du TNT Moez Mrabet, a souligné l’importance de cette initiative : «Nous avons voulu que cette célébration soit une occasion de réflexion sur la place de la femme en tant que metteuse en scène dans le théâtre tunisien. Grâce aux témoignages de ces trois artistes, nous découvrons un pan essentiel de notre scène nationale et les évolutions marquantes du rôle des femmes dans la création théâtrale».

Lutter contre les préjugés sociaux

L’histoire du théâtre tunisien a longtemps été marquée par la présence féminine, d’abord cantonnée au jeu d’actrice avant que certaines figures pionnières ne s’attaquent à la mise en scène. À cet égard, Faouzia Belhaj Mezzi a rappelé que les premières générations de femmes artistes ont dû lutter contre les préjugés sociaux qui pesaient sur leur métier. Ce n’est que dans les années 1970 et 1980 que les premières metteuses en scène tunisiennes ont pu véritablement imposer leur regard et leur écriture scénique.

Les interventions des trois metteuses en scène invitées ont permis de confronter différentes approches et expériences. Pour Leïla Toubel, le théâtre n’a pas nécessairement besoin d’une approche féministe au sens militant du terme : «Le théâtre a besoin de notre humanité avant tout. Il ne s’agit pas d’opposer hommes et femmes, mais de porter un regard singulier sur le monde».

Cependant, elle reconnaît que les femmes qui ont marqué le théâtre tunisien, à l’image de Raja Ben Ammar, ont dû s’imposer dans un environnement majoritairement masculin. À travers son témoignage, elle a rendu hommage à cette metteuse en scène pionnière, soulignant son audace et son impact sur les nouvelles générations.

De son côté, Lobna Mlika a insisté sur l’importance d’intégrer la question féminine dans le débat théâtral sans tomber dans le folklore ou le sensationnalisme. Pour elle: «Être une femme artiste, ce n’est pas seulement se positionner en tant que femme dans une société patriarcale, c’est avant tout proposer une vision esthétique et philosophique qui dépasse les carcans habituels».

Des porteuses de projets

Quant à Wafa Taboubi, elle a mis en lumière les difficultés économiques et institutionnelles auxquelles les metteuses en scène sont confrontées : «Nous devons constamment prouver notre légitimité, non seulement en tant qu’artistes, mais aussi en tant que porteuses de projets. Le soutien institutionnel et financier reste un défi majeur pour la création théâtrale féminine.»

Ce qui ressort de cette table-ronde, c’est que les nouvelles générations de metteuses en scène ne se définissent plus uniquement par l’opposition aux normes sociales d’antan. Elles entrent dans le monde du théâtre avec une démarche professionnelle assumée, revendiquant leur place non pas par revendication politique, mais par la force de leur talent et de leur vision artistique.

Toutefois, la question des inégalités structurelles persiste. L’accès aux financements, la répartition des opportunités et la reconnaissance institutionnelle restent encore marqués par un déséquilibre entre hommes et femmes. Malgré ces obstacles, la créativité et la résilience des artistes tunisiennes continuent d’enrichir la scène théâtrale, faisant évoluer les mentalités et les pratiques.

En clôture de l’événement, les participantes ont appelé à une reconnaissance accrue du travail des femmes dans le théâtre, non pas comme un acte militant isolé, mais comme une nécessité pour la diversité et le renouvellement de la scène artistique tunisienne.

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