L’Allemagne est une puissance économique mais un nain géopolitique dont la défense est assurée par l’armée américaine. Cependant, le rapprochement entre le président américain Donald Trump et son homologue russe Vladimir Poutine fait que Berlin ne peut plus compter sur l’allié américain et cherche une alternative notamment pour la dissuasion nucléaire. Que faire? (Ph. L’Allemagne pourra-t-elle continuer à compter sur les bases américaines sur son sol pour assurer sa sécurité ?)
Imed Bahri
Opter pour le parapluie nucléaire français? Emmanuel Macron a tendu la main à ses voisins d’outre-Rhin. Toutefois, cela équivaut à remplacer une dépendance par une autre.
Développer son propre arsenal nucléaire? Cela revient à enfreindre les engagements internationaux de l’Allemagne qui constituerait une cible privilégiée pour les pays ennemis. Par conséquent, cela devra être fait dans le plus grand secret. Aujourd’hui, Berlin doit trancher la question même si le choix est cornélien.
The Wall Street Journal (WSJ) a publié une enquête qui revient sur l’entente entre le président américain et son homologue russe qui pousse les Européens à revoir leur sécurité loin du parapluie américain pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui fait réfléchir l’Allemagne à posséder des armes nucléaires ou à coopérer avec la France et la Grande-Bretagne pour y parvenir, ce que les États-Unis tentent d’éviter depuis longtemps.
Le journal américain s’appuie sur des déclarations de Friedrich Merz -qui s’apprête à assumer les fonctions de chancelier de l’Allemagne après la victoire de la coalition de l’Union chrétienne-démocrate qu’il dirige aux récentes élections législatives- dans lesquelles il n’exclue pas la possibilité que son pays se dote de son propre arsenal nucléaire.
Dans une interview accordée à l’hebdomadaire Frankfurter Allgemeine Zeitung, Merz a déclaré que l’Allemagne devrait entamer des négociations sur l’extension de la dissuasion nucléaire française et britannique à toute l’Europe.
L’Europe perd confiance dans la dissuasion américaine
Le WSJ estime que ces déclarations brisent un tabou installé depuis longtemps et révèlent que les piliers de la sécurité en Allemagne et en Europe tremblent violemment à un moment où Merz négocie toujours pour former un gouvernement et où on il n’a pas encore été élu chancelier de son pays. Ce qui est peut-être le plus frappant, c’est qu’aucun dirigeant allemand n’a appelé à une alternative à la dissuasion nucléaire américaine en Europe depuis la fin de la guerre froide.
Le journal américain indique que l’armée de l’air allemande est prête à déployer les armes nucléaires tactiques américaines actuellement stockées sur la base aérienne de Büchel dans l’ouest de l’Allemagne si le président Trump donne l’ordre de le faire.
Alors que les États-Unis n’ont montré aucune volonté de retirer leurs forces d’Europe, Trump, qui a tenté de le faire lors de son premier mandat, cherche désormais à conclure un accord avec son homologue russe, qui, selon certains analystes, pourrait nuire de manière irréparable à la confiance européenne dans la dissuasion américaine.
Selon le WSJ, le sentiment de l’Europe selon lequel l’Amérique abandonne ses alliés semble plus évident en Allemagne où les États-Unis maintiennent leur deuxième plus grande présence militaire à l’étranger.
Le journal cite Christian Mölling, directeur du programme Avenir de l’Europe au sein du groupe de réflexion Bertelsmann Foundation, qui estime que l’Allemagne dispose de quatre options pour combler le déficit de sécurité: «Soit les Américains conservent leur dissuasion nucléaire (en Europe), soit les Européens prennent le relais, soit une combinaison des deux, soit les Allemands tentent de compenser cela de manière conventionnelle, en référence aux forces militaires non nucléaires». Toutes ces options comportent des risques, prévient cependant Mölling.
L’Allemagne va-t-elle se réarmer rapidement ?
En ce qui concerne les armes conventionnelles, Merz et ses partenaires de coalition ont révélé cette semaine qu’ils exempteraient les dépenses militaires des règles budgétaires strictes éliminant ainsi toute restriction de dépenses et permettant à l’Allemagne de se réarmer rapidement.
Pour le nucléaire, chercheurs et politiciens estiment que le moyen le plus rapide pour Berlin de reconstruire une dissuasion nucléaire pourrait être de reproduire avec la France son accord avec les États-Unis ce qui conduirait au stationnement de têtes nucléaires françaises en Allemagne avec pour mandat de protéger le pays.
Le président français a déclaré lors d’un discours télévisé cette semaine qu’il lancerait un débat stratégique sur l’extension de la dissuasion nucléaire de Paris aux alliés européens. Macron avait déjà proposé de telles discussions à l’Allemagne mais cette dernière avait ignoré sa proposition, qui consiste à doter l’Europe d’un parapluie nucléaire, et qui a suscité la colère et les avertissements de la Russie.
Cependant, le WSJ estime que le fait que l’Allemagne ait confié sa sécurité à la France et à la Grande-Bretagne pourrait la rendre otage des changements politiques à Paris et à Londres tout comme elle est aujourd’hui soumise aux caprices de Trump.
L’Allemagne est signataire du Traité de non-prolifération nucléaire qui lui interdit de développer des armes nucléaires et empêche les autres pays signataires de l’aider à le faire. Elle a également renoncé aux armes nucléaires dans un traité qui a ouvert la voie à la réunification allemande. Le WSJ souligne que si Berlin choisissait de développer un arsenal d’armes nucléaires, il devrait le faire en secret non seulement parce qu’il violerait ses engagements mais aussi parce que cet effort en ferait une cible pour les ennemis.
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