Peut-on blâmer les élèves et les étudiants quand une large partie de leurs jeunes professeurs éprouvent les mêmes difficultés à manier la langue française ?
Par Ezzeddine Ben Hamida *
Dans une tribune publiée le 22 juin 2016 par le site ‘‘Kapitalis.com’’, Naceur Bouabid s’est posé la question dans le titre ci-haut. Il écrivit : «Cette année encore, dans quasiment tous les lycées de la république, les notes attribuées aux candidats dans l’épreuve de français, toutes sections confondues, sont les plus médiocres, dépassant les pronostics les plus pessimistes.» Pour enfoncer le clou, il ajouta : «Un tel état des lieux, devenu désormais coutumier, n’est plus pour surprendre, tant s’est dégringolé le degré de maîtrise et d’assimilation de la discipline résultant du rechignement manifeste des élèves au français et le peu d’intérêt accordé à la matière.»
Comme ceci ne suffit pas pour alerter la communauté éducative et nos responsables politiques, le site ‘‘Leaders.com’’, le 12 juillet 2016, a remué le couteau dans la plaie en publiant un bref article où il se posa sérieusement la question sur «l’avenir de la langue française en Tunisie ?». Catastrophé, dès la première ligne, le confrère annonça sur un ton très grave les lamentables et déplorables résultats : «7 mille candidats au baccalauréat ont eu un zéro à l’épreuve de français.» Plus loin, très lucide, il ajoute : «Il s’agit certainement d’une tendance lourde, irréversible au profit de l’arabe, ce qui est logique, mais aussi de la langue anglaise qui s’impose de plus en plus comme langue internationale», conclut-il.
A qui la faute ?
Peut-on blâmer les élèves et les étudiants quand une large partie de leurs jeunes professeurs éprouvent les mêmes difficultés? En effet, en ce moment, sur les réseaux sociaux numériques, circule une copie d’examen qui s’est déroulé, ces jours-ci, dans l’une des universités tunisiennes en sciences sociales. Pour un lecteur averti, il est aisé de constater les nombreuses fautes d’orthographe, de grammaire et de conjugaison; ceci sans parler du style assez déficient de la qualité de l’expression.
D’ailleurs, est-il censé maîtriser à la perfection la langue française? A défaut, ne doit-il pas ou moins en maîtriser le vocabulaire et les expressions qui relèvent de son champ disciplinaire?
Franchement, ces questions ont le mérite d’être posées car la transmission du savoir, dans des matières enseignées en français, se fait aujourd’hui, en Tunisie, le plus souvent, dans des conditions didactiques inappropriées et insupportables.
Pas de pédagogie sans maîtrise didactique
Comment peut-on demander, pédagogiquement, à un professeur de transformer un savoir savant en savoir enseigné dans une langue dont il ne maîtrise qu’à peine le vocabulaire scientifique de sa discipline?
La phase didactique, c’est-à-dire la transformation («vulgarisation») de ce savoir savant en savoir enseigné nécessite une maîtrise absolue de la langue avec toutes ses subtilités, sa finesse, sa richesse et sa grâce. C’est l’essence même du sens pédagogique pour faire aimer, chérir et vénérer la matière et capter ainsi l’attention de l’élève et/ou de l’étudiant et transmettre aussi la passion du professeur pour sa matière et son métier – le plus beau métier du monde, sans doute ! –.
La maîtrise de la langue de Molière, comme certains aiment l’appeler, n’est pas aisée et parfois elle est même inaccessible quand on n’est pas le produit de l’école française.
D’ailleurs, la réforme de l’orthographe est souvent évoquée en France et les français eux-mêmes maîtrisent de moins en moins bien leur propre langue. La maîtrise de l’expression écrite est devenue le premier facteur d’inégalité scolaire dans l’Hexagone. Je suis très bien placé pour en parler puisque j’exerce en France en tant qu’enseignant de sciences économiques et sociales.
L’urgence de la réforme
Il serait bienvenu une réforme en profondeur du système éducatif où l’arabisation serait l’axiomatique de ce changement, «bouleversement».
Le renforcement de l’anglais et la découverte au choix du chinois ou de l’Allemand en tant que langue vivante 3 (LV3) sont désormais indispensables. Parallèlement, il me semble nécessaire, voire très urgent, de créer un grand office national de la traduction, efficace et performant, car le Centre national de la traduction relevant du ministère des Affaires culturelles se contente d’assurer la traduction de la littérature tunisienne dans les langues européennes.
Pour clôturer cette contribution, je citerais feu Mohamed Mzali, qui était écrivain et ministre de l’Education avant d’être Premier ministre : «La domination culturelle est l’un des plus graves dangers qui menace l’identité culturelle des nations et qui, en conséquence, aliène l’individu. Les langues sont un élément essentiel de l’identité culturelle des peuples et c’est dans leur langue que les peuples peuvent le mieux participer à leur développement culturel, social et économique» (extrait d’un discours prononcé à la Conférence mondiale sur les politiques culturelles organisée par l’Unesco, le 6 août 1982, à Mexico).
* Universitaire.
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