Stèle commémorative de Khaled Nezzal à Jénine détruite le 2 juillet par l’armée israélienne.
Dans la crise israélo-arabe, la communauté internationale semble accepter comme allant de soi le deux poids deux mesures: ce qui est permis aux Israéliens ne le sera jamais aux Arabes.
Par Dr Mounir Hanablia *
Le 15 mai 1974, à Maalot, en Israël, un commando du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), de Georges Habache, prenait en otages plus d’une centaine d’élèves d’un établissement scolaire de la ville, après avoir, selon des sources israéliennes, assassiné un couple dans un appartement. Encerclé par la police et l’armée, le commando exigeait la libération de 23 détenus des prisons israéliennes.
Quelques heures après, les parachutistes de l’armée donnaient l’assaut; le bilan devait se révéler tragique : 22 élèves et 2 adultes tués au cours de la fusillade. Les survivants parmi les membres du commando devaient purger de lourdes peines dans les geôles israéliennes après des procès sommaires.
L’isolement des Palestiniens
Quarante-trois ans plus tard, le 2 juillet 2017, l’armée israélienne faisait une incursion en force dans la ville palestinienne de Jénine. Son but? La destruction du monument au mort établi au nom de l’un des auteurs de l’opération de Maalot, Khaled Nazzal, qualifié bien évidemment de martyr.
Cette opération de l’armée à Jénine, après avoir atteint son objectif, devait se transformer en un combat de rue avec les citadins, au cours de laquelle deux jeunes palestiniens trouvaient la mort, et les assaillants finissaient par quitter la ville.
Ce monument de Jénine avait déjà depuis plusieurs semaines suscité l’ire du gouvernement israélien qui en avait exigé le retrait auprès de l’Autorité palestinienne. Celle-ci après avoir longtemps fait la sourde oreille, accusée par les Israéliens et aussi – depuis l’arrivée de Trump – les Américains de cultiver auprès de son peuple une culture de la haine incompatible avec l’établissement de la paix, décidait de retirer le monument commémoratif, mais en confiait la gestion à la mairie de Jénine, et celle-ci s’empressait de l’installer dans un autre endroit de la ville; jusqu’à ce que l’incursion israélienne vienne le réduire en cendres.
Massacre de Maalot de mai 1974 : L’armée israélienne tue des citoyens israéliens.
On peut escompter qu’en agissant de la sorte le gouvernement israélien entendait donner à l’affaire un maximum de publicité afin d’en retirer le plus grand bénéfice politique possible.
D’abord il démontrait clairement que les Palestiniens, en faisant l’apologie de ceux qui avaient participé à des actes terroristes contre sa population, et en entretenant leur mémoire, n’avaient jamais eu l’intention de faire la paix; par conséquent, il était parfaitement fondé pour les Israéliens de conserver les colonies établies sur les terres palestiniennes, dans les territoires occupés, pour des raisons de sécurité.
Ensuite, il se donnait le droit d’intervenir à l’intérieur même de la zone A palestinienne, de la manière qu’il jugeait adéquate, dès lors que lui-même en percevrait l’utilité, ce qui revenait à nier toute réalité quant à une quelconque souveraineté palestinienne.
Enfin il démontrait d’une manière éclatante l’isolement des Palestiniens, y compris au sein du monde arabe, où, effectivement, personne n’avait bronché pour dénoncer l’acte israélien. Mais peut-on en réalité reprocher aux Palestiniens de cultiver la mémoire de ceux qu’ils considèrent comme des martyrs alors que leurs terres sont colonisées et que la perspective d’un état indépendant s’éloigne chaque jour un peu plus?
Une ruse de guerre sioniste
Afin de démontrer l’implication des programmes scolaires dans l’apologie du martyr, et dans ce qu’ils nomment l’émulation qui en résulte, certains députés juifs israéliens ont publié des extraits des manuels scolaires palestiniens où effectivement des textes étaient illustrés des versets du Coran appelant au jihad, ainsi que certains commentaires où le martyr était érigé en valeur suprême.
Or le jihad dont il est question dans ces manuels là possède une valeur universelle, c’est celui appelant à combattre ceux qui ont spolié la communauté de ses terres, et le fait est que cela ne saurait mieux s’appliquer au conflit israélo-palestinien.
Et donc les Palestiniens ne perçoivent l’exigence israélienne d’édulcorer leurs manuels scolaires de toute référence religieuse à usage nationaliste patriotique que comme une ruse de guerre sioniste, celle de les déposséder de toute volonté de résistance contre l’occupation et la spoliation de leurs terres. Afin de renforcer la combativité de leur peuple, ils ont trouvé dans le champ de la mémoire un espace aussi important en en cultivant l’émulation. Et c’est de cela dont les Israéliens ont pris conscience et qu’ils veulent combattre.
Il reste à savoir maintenant si les opérations de résistance ayant fait des victimes civiles, particulièrement des femmes et les enfants, soient politiquement et moralement justifiables.
Les attentats suicides dans les années 90 commis contre des bus civils israéliens se sont révélés totalement contre-productifs, c’est le moins que l’on puisse dire. Pourtant, est-il juste que les bombardements terroristes contre les populations civiles qu’Israël n’a cessé de commettre, depuis sa création, soient simplement passés par pertes et profits, et que cet Etat continue de les justifier par des nécessités militaires imposées par l’habitude supposée de ses adversaires de se servir de leur propre population comme boucliers humains?
Khaled Nazzal : résistant ou terroriste ?
Et qu’en est-il des manuels scolaires israéliens où les références bibliques aux ennemis des juifs ne trompent personne, en particulier quant il s’agit des Amalekites, et où les enseignements tirés du Talmud confèrent une légitimité religieuse au comportement sanguinaire des soldats dans les territoires occupés?
On ne peut pourtant pas comparer ce qui n’est pas comparable, et les appels à l’extermination des ennemis prennent un relief autrement plus significatif lorsqu’il s’agit d’une puissance nucléaire face à un peuple agonisant luttant pour sa survie.
Il y a là une évidente mauvaise foi dans la manière d’établir un parallèle entre les deux peuples sur cette question.
Et pour en revenir à l’opération de Maalot, de 1974, à l’origine de l’incursion armée de Jénine en 2017, les Israéliens ont pris l’habitude d’affirmer que les nombreuses victimes civiles avaient été le fait des commandos palestiniens.
Pourtant rien n’est moins sûr, elles sont mortes au moment de l’assaut donné par les forces spéciales israéliennes dont tout le monde a accepté comme axiome le fait qu’elles n’eussent jamais voulu ni pu tuer leurs propres compatriotes.
Toujours le deux poids deux mesures
Dans les années 70, le Général Dayan avait dévoilé l’ampleur du refus de son pays de toute paix: «Non au retour aux frontières de 1967, non au retrait de Jérusalem, non à l’établissement d’un Etat palestinien, non au retour des réfugiés, non aux discussions avec l’OLP».
Sur le terrain, ceci s’était traduit par le refus jamais démenti des autorités israéliennes de discuter avec les résistants palestiniens pendant des prises d’otages contre leurs ressortissants; le but des commandos palestiniens n’avait jamais été de tuer par haine des juifs comme on les en avait accusés, mais d’abord de faire connaitre leur combat à un moment, où la réalité de leur peuple était niée, et d’en obtenir des avantages politiques, tels les libérations de leurs camarades.
Si donc ces prises d’otages se sont régulièrement terminées par des bains de sang, c’est surtout parce que les autorités israéliennes avaient jugé politiquement plus rentable qu’il en soit ainsi pour discréditer l’adversaire, et pour perpétuer la fable de leur peuple éternellement persécuté.
Pendant la prise d’otage des athlètes israéliens à Munich en 1972, c’est la Premier ministre Golda Meir qui avait exigé des Allemands qu’ils donnent l’assaut, et ceci bien évidemment avait été une tragédie.
Prétendre donc que la préoccupation essentielle des autorités israéliennes a toujours été la protection de leurs ressortissants ne repose sur aucune preuve concrète; on peut même affirmer que les faits ont toujours laissé supposer le contraire, ce sont toujours les bénéfices et l’exploitation politiques qui ont prévalu, et ceux-ci ont été d’autant plus importants dès lors que des pertes en vies humaines avaient été enregistrées.
Baruch Goldstein, le tueur de la mosquée d’Hebron, est célébré comme un héros en Israël.
Faut-il dès lors considérer les résistants palestiniens qui avaient mené des opérations de résistance comme des criminels parce qu’il en était résulté des pertes en vies humaines qu’ils n’avaient pas souhaitées mais dont la responsabilité leur avait été attribuée par leurs ennemis? Absolument pas !
Le commando de Maalot était composé de communistes, on ne peut pas prétendre qu’ils eussent été mus par le fanatisme religieux qui n’existait pas en ces temps-là. A ce titre, on peut dire que l’Autorité palestinienne n’aurait moralement et éthiquement dû souffrir aucun complexe à entretenir la mémoire de Khaled Nazzal en tant que héros de la cause palestinienne.
Au contraire, on ne voit pas de quel droit Israël entretient celle de ses terroristes patentés comme Zeev Jabotinski ou Abraham Stern; ou même celle du tueur de la mosquée d’Hebron Barukh Goldstein, dont la tombe à Kyriat Arbaa est régulièrement fleurie par les jeunes garçons que leurs mères amènent pour leur rappeler l’importance de ce qu’il avait fait pour leur pays.
Toujours le deux poids deux mesures : ce qui est permis aux juifs ne le sera jamais aux arabes.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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