Chahed reçu à Washington par le ministre du Trésor américain Steven Mnuchin.
L’auteur, haut responsable du think-tank IRI, explique l’intérêt fondamental qu’ont les Etats-Unis à continuer d’appuyer la transition démocratique en Tunisie.
Par Scott Mastic *
Ces dernières années, la Tunisie a eu droit à une vaste couverture médiatique – pour des raisons à la fois positives et négatives. En tant berceau du Printemps arabe et un des rares pays de la région à accomplir des progrès significatifs sur la voie de la transition démocratique, la Tunisie demeure, à plus de titre, une lueur d’espoir dans une région si agitée. Cependant, dans le même temps, le pays a également fait la une de la presse en raison du nombre de Tunisiens qui ont rejoint les rangs de l’EI en Syrie et en Libye.
Le pays n’est pas sur la bonne voie, selon 83% des Tunisiens
La visite du chef du gouvernement tunisien, Youssef Chahed, cette semaine à Washington, offre l’occasion de mettre en exergue l’importance stratégique d’une Tunisie sûre et démocratique pour les intérêts américains. Depuis la révolution de 2011, la Tunisie a avancé à pas de géant: en développant un système parlementaire pluraliste, en organisant avec succès des élections libres et transparentes et en adoptant une constitution qui offre toutes les garanties de la liberté de pensée et d’expression.
Toutefois, ces progrès peuvent être facilement inversés et ils restent vulnérables aux niveaux faibles de la confiance que le peuple place en la capacité du gouvernement à offrir un avenir meilleur. Et si ces tendances négatives se poursuivent, la stabilité de ce pays stratégiquement important sera sérieusement mise en danger.
Une récente enquête menée par l’International Republican Institute (IRI) a révélé la précarité de cette situation: 83% des Tunisiens estiment que leur pays n’est pas sur la bonne voie. La raison? Dans une très large mesure, il s’agit tout simplement de questions fondamentales pressantes. Près de 90% qualifient la situation économique actuelle dans le pays de mauvaise, alors qu’un nombre croissant de Tunisiens reconnaissent qu’ils éprouvent de sérieuses difficultés à joindre les deux bouts.
Lorsqu’on les interroge sur ce que devrait être la première priorité de leur gouvernement, une écrasante majorité de Tunisiens choisissent le dossier économique et déclarent que la lutte contre la corruption est la meilleure manière de relancer l’activité économique. Ces révélations sont confirmées par les résultats d’une autre étude conduite récemment par un groupe de chercheurs de l’IRI dans la ville de Béja, sur les facteurs déterminants du radicalisme islamiste.
Ces groupes de discussion ont démontré que le chômage, la gouvernance déplorable des affaires locales et la corruption endémique privent les citoyens tunisiens de leur sens de responsabilité et de leur estime d’eux-mêmes et accroissent leurs vulnérabilités au recrutement par les extrémistes violents. Durant les six dernières années, le pays a connu une croissance économique très faible et la dévaluation du dinar a sensiblement érodé le pouvoir d’achat du consommateur tunisien.
De plus, les régions longtemps négligées de l’intérieur du pays –là où la révolution de 2011 a démarré – sont toujours pauvres. (…)
Jusqu’ici, la jeune démocratie tunisienne a donné la preuve de sa solidité à faire front à tous ces défis. Cependant, avec cette instabilité sur le pas de sa porte et la grogne à l’intérieur, le risque de dérapage pour ce pays est véritablement énorme. La recherche que nous avons menée montre que plus le fossé entre les attentes des citoyens et leur réalité de tous les jours s’approfondit plus la tentation extrémiste devient grande. Si le gouvernement est incapable de répondre aux besoins du peuple et de donner la preuve que le pays est en train de réaliser des progrès, le gouvernement risque d’être déstabilisé par des éléments antidémocratiques à l’affût de la première occasion pour tirer avantage des vacances de pouvoir –de la même manière que l’EI a colonisé la Libye de l’intérieur.
Aide américaine à la Tunisie, 0,00045% du budget fédéral
Dans une région sous le choc du désordre et du dysfonctionnement politique, les Etats-Unis ne peuvent guère se permettre de laisser un allié émergent comme la Tunisie emprunter la voie de la Libye. Face à tous les défis auxquels elle a été confrontée, la Tunisie a administré la preuve d’une résilience qu’aucun Etat du Printemps arabe n’a été capable de démontrer. Et elle a clairement exprimé son souhait de renforcer son partenariat avec les Etats-Unis dans une région où les alliés de cette crédibilité sont extrêmement rares. En outre, la situation positive du pays en rapport avec ses voisins d’Afrique du nord accorde à la Tunisie une position de choix dans la résolution de la crise libyenne, assurant, de fait, une fonction d’interlocuteur essentiel, avec l’Algérie et l’Egypte, dans les pourparlers de paix sur cette question.
Sur le plan économique, la proportion élevée de citoyens francophones en Tunisie et sa main d’œuvre qualifiée font de ce pays une porte d’entrée vers l’Afrique francophone pour les entreprises américaines. Ceci ne sera pas seulement profitable au milieu des affaires américain –le progrès économique en Tunisie est essentiel pour faire barrage aux terroristes, au trafic de stupéfiants et des armes, et les flux migratoires quittant l’Afrique du nord pour l’Europe et bien au-delà.
A la tête du gouvernement tunisien, depuis moins d’un an, M. Chahed a pris des mesures qui répondent aux exigences populaires de réprimer la corruption, en ordonnant l’arrestation de plusieurs hommes d’affaires suspects. Cette campagne anti-corruption, qui se poursuit, donne la preuve que le gouvernement tunisien essaie de faire ce qu’il faut pour relancer la croissance économique du pays.
Depuis 2011, le modeste investissement de l’Amérique dans la transition démocratique tunisienne a été plus que largement rentable. Avec moins de 19 millions de dollars consentis par le gouvernement des Etats-Unis, des organisations pour la promotion de la démocratie comme l’IRI ont permis de mettre sur pied des partis politiques en Tunisie, soutenu des dirigeants tunisiens dans la rédaction d’une constitution la plus démocratique du monde arabe et se sont assurées de la tenue par le pays de ses premiers scrutins libres et équitables.
Durant l’année fiscale 2017 (qui prend fin en avril 2018, ndlr), les Etats-Unis devraient dépenser environ 27 millions de dollars en aide à la promotion de la démocratie et la gouvernance en Tunisie et près de 50 millions de dollars en soutien à l’économie tunisienne. Ensemble, ces deux catégories d’assistance représentent 0,2% du total de l’aide étrangère américaine ou 0,00045% du budget fédéral des Etats-Unis.
Afin de rétablir la stabilité en Afrique du nord, il est absolument indispensable que les Etats-Unis poursuivent les efforts de renforcement de leur alliance avec la Tunisie. De toute évidence, une transition démocratique tunisienne réussie consolidera la stabilité régionale; mais une incapacité du gouvernement tunisien à tenir ses promesses de bonne gouvernance et de développement économique risque de produire un autre Etat fragilisé. En accordant une priorité entière au partenariat avec la Tunisie, les Etats-Unis pourront faire valoir, dans la région, les objectifs de leur diplomatie «America First» (L’Amérique d’abord, ndlr).
Article traduit de l’anglais par Marwan Chahla
*Scott Mastic est directeur regional pour le Moyen-Orient et l’Afrique du nord auprès de l’International Republican Institute (IRI), une organisation à but non-lucratif basée à Washington, informellement liée au Parti républicain et travaillant avec d’autres think-tanks néolibéraux à « soutenir la croissance des libertés politiques et économiques, de la bonne gouvernance et des droits humains dans le monde… »
**Le titre et les intertitres sont de la rédaction.
Source: ‘‘The Hill’’.
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