Le français n’est plus la langue du colon que l’on s’approprie, elle est devenue la nôtre en tant que Tunisiens, mais les Tunisiens francophones sont une minorité ostracisée.
Par Mohamed Sadok Lejri *
La place de langue française en Tunisie est un sujet qui soulève les passions et les virulentes réactions suscitées par l’intervention du gouverneur de Sousse, dans le cadre de la cérémonie de commémoration du premier anniversaire de l’attentat de Nice, vendredi 14 juillet 2017, ne font que le confirmer.
L’«ingratitude linguistique
Personnellement, je suis toujours stupéfait de voir des Tunisiens francophones trahir une langue aussi prestigieuse que la langue française d’une manière aussi inconsidérée, et cela, en alléguant le respect de la langue nationale, la seule langue qui ne doit en aucun cas être maltraitée, et en appelant à substituer l’anglais au français prétextant l’indéniable hégémonie de la langue anglaise sur le monde.
Ces ingrats dénigrent, non sans une certaine allégresse, la langue française en faveur de la prétendue authenticité de l’arabe et des «vertus utilitaires» de l’anglais. Ces adeptes de l’«ingratitude linguistique» doivent comprendre que le français est une langue à laquelle des gens comme eux n’auraient jamais pu s’élever en d’autres temps et que leur francophonie correspond davantage à un accident de l’Histoire qu’à un réel mérite.
En même temps, les amoureux de la langue française n’ont de cesse de recourir à la sempiternelle citation de Kateb Yacine («La langue française est un butin de guerre»), alors que celle-ci est désormais frappée de caducité car la langue française n’est plus la langue du colon que l’on s’approprie, elle est aussi devenue notre langue à nous Tunisiens. Aujourd’hui, elle fait partie intégrante de notre identité et elle appartient autant aux Français qu’aux Tunisiens.
En Tunisie, la revendication des francophones n’est pas prise au sérieux, elle est méprisée par le commun des Tunisiens sous prétexte que les francophones appartiennent à une élite «déracinée» dont le seul but est de vivre à la Française.
Une minorité en souffrance
Certes, les francophones constituent aujourd’hui une minorité en Tunisie, mais c’est une minorité qui a droit à son combat identitaire. Or ce combat est totalement nié aujourd’hui parce que l’on considère encore que les francophones constituent cette minorité élitiste, méprisante et arrogante qui est toujours au pouvoir et qui exerce toutes les fonctions honorifiques, alors que la réalité est toute autre.
En effet, en Tunisie, la minorité francophone est en souffrance et n’a pas le droit à sa revendication identitaire.
Depuis l’arabisation de l’administration et du programme scolaire, les Tunisiens francophones se sont trouvés exclus de domaines divers. Ils ne peuvent intégrer la fonction publique, faire de la politique ou se destiner à une carrière de juristes, lesquels interdisent l’usage de la langue française sous le prétexte fallacieux de souveraineté national. A part une ou deux matières, ils ne peuvent envisager une carrière dans l’enseignement car la plupart des matières ont été arabisées. Ils n’ont même plus le droit d’aspirer à devenir journalistes car c’est un secteur où les médias d’expression française (tous médias confondus) se comptent sur les doigts d’une main.
Les Tunisiens francophones forment, aujourd’hui, une minorité qui est intellectuellement opprimée et qui se sent de plus en plus marginalisée, voire ostracisée, dans son propre pays. La défense de la langue française est devenu un combat identitaire, elle apparaît désormais comme une lutte existentielle.
On nous demande tous les jours, implicitement et sournoisement, de ravaler notre fierté de francophones sous peine d’être taxés de «déracinés», de «nostalgiques du colonialisme» et d’«orphelins de la France coloniale» ou d’aller vivre en France si cela ne nous plaît pas.
Eh bien, ce pays nous appartient autant qu’à n’importe quel Tunisien arabophone et nous lutterons jusqu’au dernier soupir pour que la langue française soit davantage intégrée à la vie quotidienne, ainsi que dans les institutions publiques et instances officielles…
* Universitaire.
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