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Malgré les carences, continuer à investir dans le tourisme tunisien

L’auteur évoque ici les problèmes des agences de voyages avec certains hôteliers qui ternissent l’image de leur profession et celle du tourisme tunisien.

Par Guy Calafato Pisani *

La Tunisie est mon pays et je le vois se redresser.

Novembre 2015 : la garde présidentielle est victime de l’attentat que chacun sait.

France et Tunisie auront eu cette année là leurs lots de fanatisme, chacun s’en rappelle.

C’est précisément l’année où l’idée de créer une activité germait doucement chez le Maltais de Bab Saadoun que je suis; apporter une modeste contribution économique dans mon domaine de compétence : le tourisme.

Y croire malgré tout

Il faut bien avouer que l’audace m’avait gagné : un secteur en crise, concurrentiel dans un contexte instable pour le moins. Vaille que vaille pour le défi, je me lance.

Armé de ma volonté, de mon expérience en tourisme, en gestion entreprise, je crée Joud Voyages, la générosité raffinée au service du tourisme tunisien. N’ayons peur de rien !

Je n’avais pas bien conscience du chemin à parcourir, éclairé malgré tout par mon partenaire tunisien, professionnel du tourisme forgé au terrain depuis de nombreuses années.

J’allais découvrir les pros du «zig zag», les pervers narcissiques, les compétents (parfois je les cherche encore), les incompétents (ils sont légions), le tourisme local en vogue depuis 2011 et en phase d’apprentissage, la réalité d’un terrain qui ne demande qu’à se professionnaliser; secteur essentiel de l’économie du pays tant en terme de PIB qu’en terme d’image.

Mais j’ai le devoir d’ajouter que jamais je ne rangerais tout le monde dans le même couffin, que bienheureusement j’ai croisé des professionnels qui travaillent en professionnels pour offrir un service d’un bon rapport qualité-prix. Il en est de l’hôtel Bravo à Monastir ou encore du Blue Hotel Star, également à Monastir, que je n’ai pu offrir à mes clients compte tenu de son occupation.

Le temps libre est un temps privilégié, un temps disponible, l’esprit libre (normalement), il est le moment idéal pour découvrir, comprendre, échanger, se nourrir des autres, s’approprier des activités dont on a souvent été écarté. Le tourisme social n’a pas encore pris réellement sa route en Tunisie.

Mais le temps libre est aussi un temps simple de détente, de temps passé en famille, le temps du toboggan, de la plage, de la piscine, du «gazouz» à volonté et même de la bière dans laquelle il est vivement déconseillé de tremper sa pizza «all in» (formule complète tout compris).

Mais c’est aussi le temps du gaspillage, des poubelles honteusement remplies, le temps du «chacun pour soi», le temps de s’exposer sur Facebook. Briller pour exister.

Heureusement que les petits miséreux tunisiens n’ayant jamais vu la mer et loin des sucreries de la formule «All In Soft et moins Soft», que les petits du Yémen qui croulent sous les bombes et qui meurent de faim, ne voient pas tout ça. J’aurais honte de les regarder dans les yeux.

Ainsi va mon bled…

L’étoile ne fait pas le service vendu

Ma «petite sardine», humble SARL, vient de vivre une situation éloquente, pleine d’enseignements, reflet de l’état du parc hôtelier tunisien, reflet d’un monde du travail maltraité par des patrons exploiteurs cupides et sans état d’âme, reflet d’un management absent, reflet de ces patrons de société avides d’argent et loin de la citoyenneté de l’entreprise.

J’ai vendu une nuitée, deux nuitées, trois nuitées et même plus à des clients individuels et à des collectifs dans un hôtel du secteur touristique de Monastir.

Hôtel 4 étoiles autrefois réputé, anciennement Hôtel Miramar, aujourd’hui Alassio Hotels and Thalasso, il a atteint un état de vétusté dans certains recoins invisibles derrière une surface reluisante et un niveau d’exploitation qui surprend et interroge pour un établissement faussement classé 4 étoiles. Comme quoi l’étoile ne fait pas le service vendu.

L’essentiel de mon propos n’est pas de dénoncer, quand bien même mes clients ont été floués, quand bien même l’image de mon agence a été ternie; l’essentiel est ailleurs.

En outre, j’entends bien corriger cette situation et il reviendra à la justice de trancher une vente trompeuse, de trancher les dommages et intérêts pour préjudice moral et financier. Cela prendra le temps que cela devra prendre mais il serait irresponsable de taire un événement qui dessert l’image du tourisme tunisien et du pays.

Car investir au bas mot 60.000 dinars pour faire exister une petite société, pour contribuer à donner du souffle à un secteur qui doit se renouveler, n’est pas un exercice simple et un parcours de santé. Certains me répondront, il ne fallait pas faire. Il y a tellement d’agences dans ce pays. Eh bien, j’ai fait !

L’essentiel consiste à se poser quelques questions…

Le Tunisien, l’Algérien, le Russe, l’Européen n’ont-ils droit qu’à des structures d’accueil de seconde zone?

Doit-on fermer les yeux sur les risques pris par des exploitants hôteliers peu scrupuleux qui jouent avec la santé des clients ?

L’absence de climatisation en salle de restauration augmente le risque sanitaire.

L’absence d’entretien rigoureux dans une piscine augmente le risque sanitaire, surtout lorsqu’on connaît les habitudes de baignade des Tunisiens.

L’absence de ménage régulier dans les communs augmente le risque sanitaire et le risque d’accident.

L’absence des équipements et des hébergements augmente les risques d’accidents…

Une vision de courte vue

La dégradation du professionnalisme, conséquence d’une course vers le gain financier, nuit à l’image des fournisseurs que sont les hôtels mais j’ajoute que je suis tombé sur une exception. Certains m’ont dit qu’il ne s’agissait pas d’une exception.

Par ricochet, les agences sont percutées par ces hôteliers qui ternissent leur profession, par ricochet le tourisme tunisien n’est pas regardé sous le bon angle.

Il est possible de comprendre sans admettre, conscient de l’état des lieux des structures hôtelières, que des «complaisances» puissent exister parce que le secteur doit fonctionner coûte que coûte car vital pour la «caisse» du pays.

Il n’en demeure pas moins vrai qu’il s’agit là d’une vision de courte vue. Une situation dramatique, souhaitée par personne mais possible si je m’en tiens à cet exemple constatée, nuirait gravement à l’activité touristique et à son rayonnement.

Quelle est la différence en termes de conséquences entre un attentat à Sousse sur la plage d’un hôtel et un enfant qui s’électrocute dans une salle de bain parce que l’installation est défectueuse dans un autre hôtel du pays? Quelqu’un veut les photos et le constat d’huissier que j’ai commandé?

S’il existe de réelles problématiques d’investissement, de moyens pour entretenir le capital existant, une question récurrente subsiste: l’Etat Tunisien en autorisant des hôtels faisant commerce, et qui à l’évidence ne le devraient pas, n’hypothèque-t-il pas l’avenir du secteur touristique et par voie de conséquence sa fréquentation nationale et internationale.

Mon expérience vécue m’autorise ces questions.

On me répondra qu’il ne fallait pas vendre ce service à mes clients, qu’il existe des services de qualité. Mais chacun sait qu’il ne faut pas confondre contenu et contenant, que le plus beau des contenants peut masquer un contenu frelaté et que même un professionnel peut s’y laisser prendre. Et qu’on ne me dise pas que ces stratégies commerciales frauduleuses est une spécialité tunisienne, même si elle excelle en Tunisie, elle existe ailleurs.

Au final, j’arrive à me demander si c’était une bonne idée de se lancer dans cette belle aventure.

Au final, j’arrive à me demander si le Maroc n’aurait pas été une meilleure idée.

Au final, j’arrive à me demander si cela valait la peine de faire confiance à des «compétences» qui aiment l’argent en toutes saisons, le climatiseur l’été, le chauffage l’hiver, qui n’aiment pas le métier et qui sont tellement éloignés du diplôme obtenu à l’Institut de Sidi Dhrif.

Je persiste à penser qu’il est possible de faire grimper le professionnalisme du secteur.

Je vous épargne les «serpents», les «zigzagueurs» qui confondent «le Français Investisseur» et la «Banque centrale de Tunisie».

Au final, j’ai décidé d’y croire encore.

* Voyagiste, fondateur et manager de Joud Voyages.

 

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