Kadhafi ne dirige plus la Libye, un pays qu’il a détruit de son vivant et qui, 6 ans après sa mort, a du mal à retrouver son unité et sa stabilité.
Par Mounir Hanablia *
Le 1er septembre, on a, pendant plus de 40 ans, célébré l’anniversaire de la prise du pouvoir en Libye par le colonel Mouammar Kadhafi. C’était en 1969. Personne n’avait prévu que cela durerait aussi longtemps, lorsqu’il y avait accédé à l’âge de 29 ans.
Suivant un scénario à l’Egyptienne, le jeune officier avait renversé le roi, le vieux Idriss Senoussi, un souverain pro-occidental qui gérait ce riche pays pétrolier tribal en en respectant les équilibres internes.
Un impossible projet unitaire
Kadhafi à la tête de son Conseil de commandement de la révolution avait prétendu suivre la voie socialiste arabe de son idole, Nasser, avec lequel il avait, en compagnie de Gaafar Nimeiry du Soudan, aspiré à bâtir un Etat unitaire. Mais Nasser était décédé une année après, et Kadhafi, impliqué dans deux tentatives de coup d’Etat contre roi Hassan II du Maroc, s’était retrouvé face à Anouar Sadate en Egypte, qui avait une toute autre idée de la politique arabe, et qui finirait un jour par envoyer son armée contre lui, en dépit des avions Mirage que la Libye avait envoyés à l’Egypte lors de la guerre d’Octobre 1973.
Kadhafi et son idole Nasser: le rêve de l’unité arabe perdra les deux hommes.
Kadhafi s’opposerait en particulier à l’accord de paix de Camp David, entre Egyptiens et Israéliens, et au Liban, il s’allierait aux groupes palestiniens les plus radicaux pendant la guerre entre 1975 et 1990.
Avec l’avènement de la révolution iranienne en 1979, Kadhafi choisirait l’alliance avec la république islamique malgré l’assassinat par ses services, par erreur semble-t-il, du leader chiite libanais Moussa Sadr, venu en visite en Libye mais n’en est plus reparti.
Lors de la guerre irako-iranienne, Kadhafi se rangerait du côté iranien et livrerait des armes et de l’argent à ses alliés contre Saddam Hussein. S’étant rapproché des soviétiques il reconnaîtrait le régime communiste d’Afghanistan. Au sud de la Libye, la conquête au Tchad de la bande d’Aouzou et l’aide apportée aux rebelles toubous le mettrait pratiquement en conflit avec la France.
Après l’attaque de Gafsa, en Tunisie, en janvier 1980, par un commando venu de Libye, le président français Giscard d’Estaing enverrait ses avions de chasse tenter d’abattre celui du président libyen qui, prévenu, réussirait à s’échapper, mais un avion de ligne italien passant non loin de là serait abattu à Ustica, non loin de Palerme, par un missile français, chose que la France ne reconnaÏtrait jamais.
Quelques années après, le président Reagan, après une provocation dans le golfe de Syrte, et un attentat attribué aux Libyens dans une discothèque de Berlin, enverrait ses bombardiers détruire la caserne de Bab Azizyah, à Tripoli, et tenter de tuer Kadhafi, qui une fois encore en réchapperait.
Ben Ali – Kadhafi: Les relations particulières entre les deux dictateurs resteront entourées d’un épais mystère.
Relations troubles avec la Tunisie
Les relations avec la Tunisie n’avaient pas non plus été faciles, en particulier après l’union avortée de Djerba. Fait curieux, Kadhafi avait proposé, lors des discussions préparant cette union, de confier le ministère de l’intérieur à Ben Ali, le même qui, 7 ans plus tard, prévenu de l’imminence de l’attaque à Gafsa, ne ferait rien pour s’y opposer.
Qui était Ben Ali ? Après sa prise du pouvoir, en 1987, il a été l’ami de Kadhafi. Au début des années 90, avec l’invasion par l’Irak du Koweït, Kadhafi fut de ceux qui tentèrent de s’opposer à la résolution de la Ligue Arabe appelant les nations du monde à intervenir. Mais après l’attentat de Lockerbie, perpétré par les services secrets iraniens mais dont il fut accusé d’être l’instigateur, la Libye fut placée sous embargo aérien et toutes ses marchandises et ses voyageurs transitèrent par la Tunisie, ce qui occasionna à notre pays une prospérité inespérée. Et ce jusqu’à ce que Kadhafi accepte de souscrire aux exigences occidentales en livrant ses agents au tribunal international de la Haye, et en livrant ses armes chimiques.
En 2011, Kadhafi fut renversé grâce au soutien accordé par la France aux insurgés, qui se révélèrent être des islamistes, puis assassiné dans des conditions atroces après 42 ans de pouvoir.
Kadhafi avait fini par infléchir sa politique en direction de l’Afrique subsaharienne malgré les échecs subis en Ouganda, en Centre Afrique, en Angola.
Il voulait être un grand d’Afrique comme son idole sud-africain Nelson Mandela.
Que les politiques de Kadhafi eussent été risquées, la meilleure preuve en demeure l’aide militaire accordée aux partis indépendantistes européens, en particulier l’IRA et l’ETA, en Irlande et en Espagne, ainsi que ceux de l’extrême gauche. Qu’elles eussent été inconstantes, rien ne le démontre mieux que l’alliance qu’il avait contractée dans les années 80 après le rapprochement tuniso-algérien… avec le roi Hassan II.
Un règne de terreur
Sur le plan interne, qu’avait fait Kadhafi pour son peuple? Rien malgré les moyens financiers colossaux qu’il retirait du pétrole. L’éducation et l’instruction sont demeurées embryonnaires. Toute opposition politique était brisée dans l’œuf, les opposants assassinés même à l’étranger, la loi placée entre les mains des comités populaires, et beaucoup de Libyens venaient se faire soigner ou faire leurs courses en Tunisie.
Kadhafi ne s’est jamais véritablement préoccupé du bien-être de son peuple, même si son règne de terreur a assuré à son pays une exceptionnelle stabilité, qui n’étant pas basée sur des institutions, n’a survécu ni à son départ, ni à la défaite de son armée. Son pays s’est désagrégé, plus rien n’en assurait plus la cohésion. C’est sans doute cela que son peuple lui reprochera le plus même si beaucoup regrettent, relativement à la situation actuelle, à juste titre, son époque.
Son règne sanglant se termine dans le sang.
En fait ce que fut Kadhafi, on ne le sait pas trop. Personne ne l’avait reconnu quand il avait pris le pouvoir tellement il avait changé. D’aucuns l’avaient accusé d’être, tout comme Ben Ali, un agent de la CIA, chargé de jeter le trouble et l’instabilité dans le monde arabe. Difficile de le croire. Disons qu’il eut des rêves de grandeur qui n’étaient pas à l’échelle du pays qu’il gouvernait et auquel il ne s’intéressait que pour disposer du pouvoir et des ressources financières colossales que la poursuite de son rêve de grandeur exigeait.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
** Les titres et intertitres sont de la rédaction.
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