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Mouled, une fête hérétique ?


Le Mouled n’a jamais été une fête religieuse parce qu’elle n’est rattachée à aucun rite. Pour les Wahhabites elle serait probablement considérée comme une hérésie.

Par Dr Mounir Hanablia

Le Mouled est cette commémoration qui célèbre chaque année la naissance du Prophète Mohamed, que la Paix soit avec Lui. Paix : voilà justement le maître concept qui tout au moins sémantiquement est intimement lié à l’islam et que tout croyant pratiquant répète cinq fois par jour au moment de prier.

Pourtant, pour des raisons qui suscitent de toujours de profonds désaccords, en particulier au sein même des élites qui en sont issues, l’islam ne véhicule malheureusement plus partout qu’une image très négative, celle d’une foi intolérante, cruelle, et belliqueuse, dont le but est d’assujettir le monde; alors même que depuis le déclenchement de la grande guerre contre le terrorisme, et son prolongement qualifié de Printemps Arabe, ce sont essentiellement les peuples arabo-musulmans au sein même de leurs propres pays qui subissent les affres des guerres, de l’occupation militaire, ou des déstructurations économiques et sociales en rapport avec la dette, pour des raisons qui n’ont véritablement rien de religieux.

De quel islam parlons-nous ?

Et donc, en célébrant le Mouled, il faudrait déjà savoir de quoi on parle, et surtout de qui.
Ce que le Coran dit est que le Prophète a été envoyé par pitié et par compassion pour les gens du monde. Quelle pitié et quelle compassion? Dans le monde entier, en ce XXIe siècle, l’islam n’a pas bonne presse; on l’accuse entre autres d’avoir massacré 80 millions de Hindous, et on accuse son prophète de toutes les turpitudes, ainsi que le faisaient au Moyen-âge les moines de l’Eglise qui essayaient de déconsidérer pour d’évidentes raisons la foi de leurs conquérants parce qu’ils y voyaient une menace mortelle pour la leur.

L’ambassadrice du Canada à Tunis Carol Mc Queen célèbre le Mouled avec ses deux enfants. 

Mais le texte coranique prône bien la solidarité institutionnalisée grâce à l’aumône, celle qui impose le respect des parents et des personnes les plus dignes de l’autorité, celle qui interdit de tuer l’âme que Dieu a faite sacrée sauf par la vérité, c’est-à-dire pour des raisons reconnues comme vraies, celle qui interdit l’enterrement des fillettes vivantes, celle qui apprend l’humilité (ceux à qui les ignorants adressent la parole et qui répondent paix).

Il y a donc en réalité incontestablement des valeurs de tolérance, de paix, de respect, et de justice, dans l’islam, pour ceux qui veulent bien les chercher et qui justifient largement la célébration annuelle de la naissance de celui qui les a transmises.

Le paradoxe est qu’une religion foncièrement monothéiste, qui enseigne que l’être humain n’est que l’esclave de son créateur, ce qui aurait déjà dû faire interdire l’esclavage, et qu’il est inévitablement voué à la finitude à laquelle il doit toujours être préparé, a fini par reconnaître à son fondateur une reconnaissance qui ne cadre pas avec la teneur de son message.

Il y a donc manifestement dans le Mouled une intériorisation de certaines pratiques étrangères que les Musulmans ont probablement apprises auprès des peuples conquis, et parmi ceux-ci, ce sont les Chrétiens qui célèbrent avec le plus de faste la naissance de celui qu’ils nomment leur sauveur. Et les Chrétiens ne sont-ils pas justement ceux qui ont toujours nié avec le plus de constance la validité de la prophétie de l’islam? Et il est très probable que les califes à un certain moment se soient senti le devoir de prendre exemple sur eux, peut-être pour montrer que, justement, le credo musulman ne différait pas beaucoup de celui de leurs rivaux, et que, à la longue, une commémoration à l’origine obéissant à des raisons politiques soit devenue un marqueur identitaire dans une société formée d’une mosaïque de communautés, chacune avec ses habitudes culinaires.

Et l’ambassadeur de France Olivier Poivre d’Arvor aussi. 

Pour les Wahhabites, le Mouled serait une hérésie

Est-ce de là que vient l’introduction de la crème de farine aux graines de pins moulues appelée «assida» qui est devenue en Tunisie une caractéristique du Mouled ? Personne ne le sait exactement, mais celle-ci a acquis une fonction sociale certaine puisqu’il est très courant qu’on s’échange les plats entre voisins ou connaissances, et que ceci soit devenu une marque de considération, de respect, d’affection, et même de solidarité bien sûr.

Encore une coutume que les femmes, toujours sacrifiées au fond de leurs cuisines, perpétuent tant bien que mal avec le courage et l’admirable patience qui ont toujours été les leurs.

En Tunisie, il faut reconnaître que c’est toujours grâce à elles que, dans un monde qui change, les coutumes se perpétuent, en perdant il est vrai leur sens religieux. Et il est vrai que la commémoration du Mouled n’a jamais été une fête véritablement religieuse parce qu’elle n’est rattachée à aucun rite particulier, contrairement aux deux Aïds. Les Wahhabites appelleraient probablement cela une hérésie.

Il n’en demeure pas moins que le jour de la célébration de la naissance de leur prophète constitue dans un monde comptant 1 milliard et demi de musulmans, l’une des occasions pour eux de se remémorer que malgré leurs différences ethnolinguistiques et politiques, ils partagent toujours une même foi et prient un même Dieu unique.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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