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Tunisie : Précarité, irresponsabilité et impunité partagées

La transition démocratique piétine et fait du surplace parce que la Tunisie soufre de trois maux conjugués : la précarité, l’irresponsabilité et l’impunité partagés.

Par Hatem Mliki *

Sept ans après la révolution du 14 janvier 2011, les Tunisiens se rendent de plus en plus compte de la complexité de la transformation politique qu’ils espéraient simple voir gagnée d’avance.

Parallèlement aux grands acquis, juridiques, en matière de droits et libertés, le pays fait face à trois phénomènes, dont les origines sont lointaines, que les difficultés de la transition actuelle rendent plus complexes.

La précarité

En plus d’une précarité absolue et nettement visible que nous pouvons associer à la pauvreté affectant le quart de la population, d’autres formes de précarité émergent au point que la quasi-majorité des Tunisiens en témoignent.

La faible qualité des services publics fournis par l’administration et la détérioration continue des infrastructures de base contribuent à la création d’une nouvelle forme de précarité qui touche les classes moyennes et parfois aisées. Une situation d’exclusion qui contraint ceux qui disposent de moyens à payer plus pour avoir des services «corrects» soit à travers le copinage soit la corruption soit le recours, chaque fois qu’il est possible, au secteur privé pour bénéficier d’un traitement meilleur et d’une qualité de service acceptable. Une situation oppressive qui se traduit par une détérioration du niveau de vie, la faiblesse de l’épargne, un mécontentement généralisé, des divisions sociales et toutes sortes de magouilles.

Il existe aussi une précarité économique qui ne se limite pas seulement au chômage et à l’emploi précaire dans le secteur informel mais qui s’étend aussi au manque d’opportunités aussi bien pour les salariés que les employeurs.

Parmi la population des chômeurs et des salariés on compte des dizaines, voire des centaines, des milliers de personnes victimes d’un dysfonctionnement structurel inhérent à une économie incapable d’offrir des opportunités d’emploi à la hauteur des attentes des concernés et loin de cultiver les valeurs du travail, du mérite, de la productivité et de la réussite sociale.

De même, le tissu des PME tunisiennes est soumis à une autre forme de précarité produite par une pression fiscale et sociale élevées, des procédures de marchés et d’achats publics malsaines, main d’œuvre non qualifiée et révoltée, accès très limité ou inexistant aux mécanismes bancaires de financement auxquels s’ajoute un niveau faible d’entrepreneurship, un manque de créativité, des services d’appui de qualité médiocre et une administration publique culturellement hostile à l’initiative privée.

Cette forme pernicieuse de précarité réduit sensiblement la visibilité de la population et favorise un opportunisme généralisé souvent imposé.

Enfin, il y a la précarité socio-culturelle. Malgré le statut laïc de l’Etat et la consécration des libertés individuelles par la constitution, les Tunisiens continuent à débattre les notions de valeurs, d’identité culturelle et de libertés individuelles. Amenés souvent à se comparer, à se justifier et à s’attaquer aux autres, les Tunisiens finissent souvent par céder à la schizophrénie et à l’hypocrisie pour préserver un équilibre fragile tant au niveau personnel que collectif ou à extérioriser cette souffrance interne à travers des agressions verbales et non verbales répétées.

L’irresponsabilité

Voulant remédier aux anomalies de l’ancien système politique, la constitution tunisienne s’est fortement investie dans le principe de séparation des pouvoirs. Ce modèle dont le mérite est de limiter les risques de la dictature a vite été détourné vers l’irresponsabilité.

Sous prétexte de «quête sacrée du consensus» et face à des «groupes de pressions» visibles et cachés, il est devenue difficile, voire impossible, d’établir la responsabilité de chacun. À l’exception des deux puissantes organisations syndicales (UGTT et Utica) et de certaines organisations professionnelles, l’ensemble des institutions publiques et entités civiles n’arrivent pas à établir, en interne, l’équilibre entre droits et obligations sous prétexte que les autres sont responsables de ce qui se passe et les empêchent d’accomplir correctement leurs devoirs.

Des réformes importantes et urgentes sont ainsi bloquées soit à la genèse (gouvernement) soit à la législation (Assemblée des représentants du peuple) soit à l’implémentation (administration publique). D’autres mesures sont déformées à force de vouloir réconcilier des positions opposées et de favoriser un «copinage» insensé et qui finissent parfois par produire des polémiques interminables et parfois un effet inverse.

À cela s’ajoute une longue tradition de bureaucratie alimentée par un formalisme juridique et administratif sans possibilité de mesurer la performance, l’impact, le résultat et le manque à gagner de chaque décision/indécision.

Enfin, il faut avouer que, pendant des décennies, les Tunisiens ont toujours puisé la notion de devoir/responsabilité à partir de l’autorité qui définit leur comportement et les oblige à se conformer à des directives strictes et contraignantes.

L’impunité

Fortement lié aux phénomènes cités l’impunité s’étend presque à tous les domaines. Allant de la difficulté de sanctionner un agent public qui refuse d’accomplir le travail pour lequel il est payé, en passant par les agressions et atteintes quotidiennement commises par des «gens ordinaires» à l’égard des autres et de l’espace public, pour finir avec des députés absents et des hauts responsables qui ne reconnaissent jamais leurs fautes. Ce phénomène est parfois synonyme d’un aveu collectif d’impuissance face à l’échec et la médiocrité.

À l’origine l’absence de mécanismes de régulation de la démocratie représentative qui se limite au scrutin, la faiblesse des mécanismes de contrôle, le pouvoir discrétionnaire des décideurs publics, l’absence des outils d’évaluation et de redevabilité et les difficultés d’établir la responsabilité de chacun.

En somme, la transition tunisienne a besoin d’engager un ensemble de réformes structurelles afin de rétablir des fondamentaux d’une société fondé sur un équilibre sain entre l’individu et la société d’une part et les droits et responsabilité de l’autre.

* Consultant en développement.

Article du même auteur dans Kapitalis: 

La Tunisie sur le long chemin de la démocratie locale

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