Oasis de Chenini.
Le prochain conseil municipal de Gabés devra d’entrée réagir pour limiter les dégâts du mitage de l’oasis qui, si l’on n’y prend pas garde, va très rapidement emporter des centaines de palmiers.
Par Abdellatif Mrabet *
Tout comme l’olivier, le palmier dattier est en Tunisie un végétal prépondérant. Au sud, dans les oasis, qu’elles soient orientales ou occidentales, là où de tout temps, il a marqué les paysages, rythmé la vie et déterminé la culture, on le tient pour un arbre roi. L’Etat, de son côté, y voyant un patrimoine national digne de sauvegarde et de valorisation, tente d’en assurer la pérennité, en interdisant son abattage et en réglementant sa culture.
Des milliers de pieds de palmiers perdus depuis l’indépendance
Aujourd’hui, outre les mesures de conservation prévues par la loi 2008-73 du 2 décembre 2008, les autorités envisagent même l’inscription de ce végétal sur la liste du patrimoine culturel de l’Unesco. D’après l’Institut national du patrimoine (INP), le «dossier palmier» est bien avancé. Son enregistrement sur la liste onusienne serait d’autant plus imminent que l’Alecso soutient cette entreprise et souhaite la voir déboucher sur une inscription collective associant tous les pays arabes.
De plus, en Tunisie, ces derniers temps, l’intérêt porté à l’environnement – les écosystèmes, le changement climatique, les ressources hydrauliques, la biodiversité, la gestion durable des systèmes oasiens, la gouvernance environnementale… – a entraîné l’établissement de nombreuses études livrées sous formes de rapports, de projets d’appui et de plans d’action et de développement durable des différentes oasis du pays.
Cependant, alors même qu’il est – directement ou indirectement – l’objet d’attentions officielles de la part d’instances de tous bords et qu’il alimente de multiples études et rapports d’experts, le palmier connaît quelques difficultés qui, dans les oasis périurbaines du sud-est de la Tunisie, menacent l’intégrité de nos palmeraies millénaires.
Telle est particulièrement sa situation à Gabés, oasis inscrite – en tant que patrimoine mixte – sur la liste indicative de l’Unesco. Paradoxalement, c’est dans cette ville-oasis qu’on dit vouloir protéger, que cet arbre recule de façon continue, dans l’indifférence des professionnels du patrimoine et l’impuissance des autorités locales.
Aujourd’hui, on estime le nombre de palmiers perdus dans l’oasis depuis l’indépendance à plusieurs centaines, voire à quelques milliers de pieds, emportés par un urbanisme sauvage et incontrôlé, responsable d’une réduction des terres agricoles de plus de 60%!
Certes, à Gabés, on le sait, le mal vient moins de l’urbanisme que de la pollution industrielle qui, avec les déchets et la fumée des usines, est le principal responsable de tous les maux de l’oasis.
Cela a été bien démontré par plus d’un spécialiste et les experts, sur ce sujet, ont été on ne peut plus unanimes. C’est ce que nous avions aussi soutenu et dénoncé, depuis la présente tribune, par deux fois.
Les futurs conseillers municipaux sont avertis
Sur ce plan, la délivrance dépend du gouvernement qui jusqu’ici n’a – hélas – servi que des promesses, à ce jour non tenues. Cependant, en attendant de le voir honorer ses obligations, nous pensons utile – en cette veille d’élections municipales démocratiques, les premières dans notre pays – d’alerter d’entrée nos futurs édiles sur le danger du mitage qui frappe les oasis et sur l’urgence et le devoir de se mobiliser pour y mettre terme. C’est là, l’une des principales missions du prochain conseil municipal qu’elles qu’en soient les couleurs politiques. Il s’agit avant tout de l’application de la loi d’Etat de 2008 sur le palmier, une obligation d’autant plus légale que Gabés dispose aujourd’hui d’une toute nouvelle police de l’environnement, un corps on ne peut mieux indiqué pour une telle mission de protection de la palmeraie !
De même, nous invitons ces mêmes futurs conseillers municipaux à revenir sur quelques unes des mesures de mauvaise gouvernance prises par leurs prédécesseurs. Nous en voulons pour exemple ce forfait – unique dans les annales – qui a consisté, par un tour de passe-passe, à faire disparaître l’oued de Gabés.
En effet, aujourd’hui, le visiteur non-averti qui parcourt l’oasis de Gabés peut s’étonner de ne plus y trouver trace évidente de son oued éponyme dont les géographes arabes – et à leur suite les voyageurs occidentaux des XVIIIe et XIXe siècles – nous ont laissé des descriptions aussi précises que pittoresques.
Aujourd’hui, ce cours d’eau que nos cartes topographiques les plus récentes continuent à figurer, courant entre la ville et l’oasis, n’est plus visible, transformé en une vulgaire canalisation en béton, couverte de dalles, posées à ras du sol !
Oasis de Jara.
Le préjudice causé à l’oasis, ce faisant, est des plus graves car en escamotant l’oued, c’est toute la palmeraie qu’on a ainsi livrée à la poussée urbaine. Désormais, rien ne sépare plus l’urbain de la palmeraie. Une frontière millénaire a ainsi simplement disparu !
D’ailleurs, on en voit déjà les conséquences, sous forme de constructions diverses érigées en un front de béton dressé du long entre Jara et Bab Bhar.
Le nouveau conseil municipal devra donc d’entrée réagir pour limiter ces dégâts car si l’on n’y prend pas garde, le mitage va très rapidement emporter des centaines de palmiers. Le phénomène, hélas bien connu a déjà emporté l’oasis de Zerig en moins de vingt ans!
Aujourd’hui, du reste, d’autres zones risquent de connaître le même sort ! Nous pensons entre autres à Chentech (entre la Steg et un nouveau centre commercial) où une brèche récemment ouverte est sur le point de finir d’emporter ce qui restait d’une ancienne oasis…
L’oasis de Gabés, à vrai dire, est encerclée de toutes parts. Aussi, faut-il d’urgence desserrer l’étau qui l’étrangle et en éloigner la poussée de l’urbanisme en constituant de nouvelles réserves foncières – en plus de celles annoncées depuis un temps par l’Agence foncière de l’habitat (AFH), 90 hectares à la sortie de la ville en direction de Matmata.
Aussi, il conviendrait, comme en matière de protection des sites archéologiques, de définir aux abords des palmeraies des zones non aedificandi, des périmètres de sécurité.
Toutes ces mesures, par ailleurs, ne dispensent pas de la prise en compte des différentes propositions de sauvegarde proposées par des spécialistes tels que H. El Ayeb, L. Grignon ni du suivi des projets dits environnementaux financés par l’Union européenne(1). Tout cela doit faire l’objet de discussions partagées et de consultations diverses car nous attendons aussi des nouvelles autorités municipales une plus grande ouverture sur les locaux, par leur association aux décisions et par leur participation aux actions…
Ensemble, populations et conseil municipal doivent œuvrer de sorte qu’il ne soit plus dit, qu’à Gabés, on achève bien les palmiers !
* Professeur des universités, directeur de laboratoire de recherche, Université de Sousse.
Note :
1) Habib Ayeb, Mes dix propositions pour sauver l’oasis de Gabés et initier un autre modèle de développement écologique, juste, social et durable.L. Grignon, L’oasis du Grand Gabés (Tunisie), une oasis en voie de disparition.
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