Les crimes restés impunis des islamistes tunisiens.
Allons-nous en Tunisie vers une rupture définitive entre les citoyens et la classe politique, qui a perdu toute crédibilité, pour avoir pris et gardé le pouvoir, mais sans le sens de la responsabilité qui va avec.
Par Moncef Kamoun *
Un gouvernement doit avoir un comportement correct, respectueux de la constitution et des lois. Il doit être responsable politiquement, moralement et civilement de toute anomalie, irrégularité, pratique suspecte, non-respect des procédures commis par un de ses membres.
Un ministre doit être compétent et assumer pleinement ses responsabilités, bien connaître ses dossiers et ne laisser rien au hasard. Sa responsabilité morale et politique est par conséquent engagée quand il y a une maladresse, une anomalie ou une grave erreur dans la réalisation d’une de ses missions. Sa responsabilité civile sera déterminée par une enquête judiciaire effectuée par des autorités compétentes, qui seule permet de déterminer l’existence ou non d’infraction et d’apporter des éléments utiles en vue du procès pénal.
Bref, un ministre est tenu responsable de ses actes et de ceux de ses subordonnés dans l’exercice de leur mission et doit en rendre compte.
Par conséquent, il faut sanctionner tout fonctionnaire, quel que soit son grade qui manque à son devoir, qui commet des graves maladresses ou des erreurs qui causent des pertes, des préjudices ou des dégâts et qui nuisent à l’intérêt général et à la réputation du pays.
La responsabilité juridique est l’obligation faite à l’auteur d’un dommage d’en répondre devant la justice et d’en assumer les conséquences civiles, pénales, administratives, disciplinaires et autres.
Ennahdha et l’art d’enterrer les affaires
Le parti politique islamo conservateur tunisien issu de la mouvance des Frères musulmans a été créé en 1981 dans l’illégalité sous le nom de Mouvement de tendance islamique (MTI) et a été légalisé 30 ans après sous l’appellation Ennahdha.
Son principal objectif, annoncé à cor et à cri et inscrit dans ses textes fondateurs, est d’instaurer un Etat islamique fondé sur l’application de la charia. C’est en tout cas ce que pensent tout bas tous ses dirigeants et tous ses membres, même s’ils se gardent de le dire aujourd’hui publiquement.
Suite à la fuite de Ben Ali, le 14 janvier 2018, la machine du mouvement islamiste tunisien a allumé ses moteurs pour prendre le pouvoir comme prévu par les parrains et organisateurs du «printemps arabe».
Rached Ghannouchi, chef historique du mouvement, est retourné en triomphateur après 20 ans d’exil entre Alger, Khartoum (au moment où Ben Laden résidait dans cette capitale et fondait Al-Qaïda) et Londres.
De nouvelles structures dirigeantes ont été créées avec un comité constitutif et un bureau exécutif. Ennahdha est sorti vainqueur des élections de la l’Assemblée nationale constituante, en octobre 2011, en remportant 40% des sièges.
Dès qu’il a accédé au gouvernement, il n’a pas tardé à faire tomber le masque et montrer une nette volonté dictatoriale. Il a gouverné sans concession aucune à l’opposition, pensant sans doute qu’il a pris le pouvoir pour l’éternité.
«Quand on veut enterrer une décision, on crée une commission», disait Clemenceau, homme d’Etat français, il y a déjà plus de cent ans.
Avec Ennahdha, on a assisté à une multiplication sans précédent de ces situations où la justice est entravée. Son savoir-faire dans ce domaine est mis en œuvre dans les scandales politico-financiers, et ce sous la pression inattendue de l’opinion publique et de la société civile. Alors on constitue des commissions parlementaires et on lance même des enquêtes judiciaires et si la justice se montre trop pugnace, on peut aussi la dessaisir du dossier, muter le magistrat gênant ou dépayser l’affaire, c’est-à-dire décider qu’elle sera instruite par une autre cour ce qui, entre autres avantages, contraint de nouveaux magistrats à reprendre le dossier à zéro, sans parler ici de toutes ces petites ruses qui permettent de retarder une instruction jusqu’à pousser parfois un juge à renoncer.
Les crimes impunis des islamistes
Depuis 2012, date d’accession d’Ennahdha au pouvoir en Tunisie, on dénombre au moins une dizaine de commissions d’enquête sur des différents abus et même des allégations de meurtres, citons en quelques exemples pour rafraîchir la mémoire de certains…
Le 9 avril 2012, la police, sous la responsabilité de l’islamiste Ali Larayedh, alors ministre de l’Intérieur, a chargé les manifestants et fait des blessés à l’avenue Bourguiba, au centre-ville de Tunis, lors de la marche de deux milliers de personnes pour la commémoration de la fête des martyrs.
Le 24 juin 2012, Baghdadi Mahmoudi, ancien Premier ministre libyen, a été extradé vers la Libye sous le gouvernement de l’islamiste Hamadi Jebali. L’accord de l’extradition a été signé avec une partie libyenne pour le moins louche et on a parlé, à l’époque, d’un «cadeau» libyen de 200 millions de dollars à ceux qui, en Tunisie, ont accéléré l’exécution de ce qu’il convient d’appeler un «marché».
Le 14 septembre 2012, l’ambassade des Etats-Unis à Tunis a été attaquée par des centaines de salafistes qui ont mis le feu au bâtiment. On a compté une centaine de blessés. Et la réaction des forces de sécurité a été sinon timide du moins tardive.
Le 18 octobre 2012, Lotfi Nagdh, coordinateur de Nidaa Tunis à Tataouine, a été lynché à mort devant son lieu de travail par des éléments appartenant à Ennahdha, alors parti au pouvoir.
Le 28 novembre 2012, les habitants de Siliana quittent leur ville pour une marche symbolique de protestation. La ville sera le théâtre d’un drame à huis-clos, marqué par de violents affrontements qui ont fait plus de deux cents blessés par les forces de l’ordre ayant utilisé des balles de chevrotine.
Le 4 décembre 2012, lors la commémoration du 60e anniversaire de l’assassinat du leader syndicaliste Farhat Hached, le siège de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), à Tunis, a été attaqué par les milices de la Ligue de protection de la révolution, proche du parti islamiste et son bras violent. Bilan : dix membres de la centrale syndicale ont été blessés.
Le 6 février 2013, le leader de la gauche radicale et principale figure de l’opposition au parti islamiste, Chokri Belaïd, a été assassiné par balles alors qu’il sortait de son domicile. Un million de Tunisiens étaient présents à ses obsèques, deux jours après.
Le 25 juillet 2013, autre figure de la gauche et de l’opposition, le député Mohamed Brahmi, a été assassiné par balle, devant chez lui, alors qu’il s’apprêtait à monter dans sa voiture.
On arrêtera là cette énumération pour rappeler que toutes les commissions d’enquête constituées à la suite de ces événements se sont perdues en chemin et toutes les enquêtes judiciaires perdues dans les méandres d’une justice qui tarde à justifier son indépendance.
Plus près de nous, le 28 février 2017, une commission d’enquête parlementaire a été constituée pour identifier les responsables de l’embrigadement, du recrutement et de l’envoi des nos jeunes dans les zones de conflits comme la Syrie, l’Irak et la Libye.
Le 10 janvier 2018, on a annoncé la création d’une commission d’enquête parlementaire sur le classement de la Tunisie par l’Union européenne en tant que paradis fiscal.
Là aussi, on peut multiplier les exemples… Mais le résultat est toujours le même.
Toutes ces commissions, constituées sous la pression de l’opinion publique et toujours dominées par des dirigeants d’Ennahdha, finissent par être oubliées ou se faire oublier par une opinion publique versatile, inconstante et un peu trop oublieuse. En attendant, les responsables de tous ces abus courent toujours et bénéficient d’une totale impunité. Pis encore, certains d’entre eux sont même toujours au pouvoir!
La confiance est-elle définitivement rompue ?
Notre société est fondée politiquement et moralement sur la confiance entre les citoyens et le pouvoir, entre la société et l’Etat. Et si nous sommes aujourd’hui dans une situation extrêmement difficile et que de notre société monte une colère et une rancœur sourdes et profondes, c’est par ce que les Tunisiens ont de plus en plus l’impression sinon la certitude que le pouvoir politique ne remplit plus sa part du contrat de confiance.
Non seulement l’Etat n’écoute plus les citoyens, ne les comprend plus, et n’assume plus les responsabilités que le peuple lui a confiées, mais est accusé, aujourd’hui, de laxisme et de complicité avec les criminels en col blanc.
La classe politique, quant à elle, qui a perdu toute crédibilité aux yeux des citoyens, semble avoir pris et gardé le pouvoir, mais sans le sens de la responsabilité qui va avec. Allons-nous bientôt vers un point de rupture? Un point où le divorce sera définitivement consommé entre les élus et les électeurs, les uns et les autres vivants dans deux planètes différentes?
*M. K. Architecte.
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