Bien que le Hezbollah ait voulu faire des funérailles grandioses des ses deux secrétaires généraux défunts Hassan Nasrallah et Hashem Safieddine une démonstration de force, dimanche 23 février 2025, il n’en demeure pas moins que le mouvement chiite libanais est sorti épuisé de la guerre contre Israël et se trouve aujourd’hui dans une situation militaire, politique et financière compliquée à laquelle la chute de Bachar Al-Assad et la situation géopolitique du parrain iranien n’aident pas. La constellation des astres est loin d’être au rendez-vous!
Imed Bahri
Trois mois après le cessez-le-feu, les dommages infligés par l’armée israélienne au groupe armé chiite soutenu par l’Iran sont évidents. Sa puissance de feu a été gravement entamée, son influence politique réduite et ses finances devenues si précaires qu’il a du mal à remplir ses obligations envers ses partisans, écrivent Adam Chamseddine et Rory Jones affirment dans une enquête publiée par le Wall Street Journal.
Le Hezbollah, que les États-Unis classent comme une organisation terroriste, opère depuis longtemps comme un État dans l’État au Liban fournissant des emplois et des services sociaux à ses membres et dans l’environnement chiite où il évolue, rappellent les deux journalistes. L’organisation verse de l’argent et de l’aide aux proches des combattants du Hezbollah tués ainsi qu’aux partisans qui ont perdu leurs maisons ou leurs entreprises au cours des conflits. Cependant la facture lourde et croissante de sa dernière guerre rend nombre de ces paiements impossibles.
La guerre était une erreur
Certains affirment que la principale institution financière du groupe, Al-Qard Al-Hassan, a gelé ces dernières semaines les paiements des chèques d’indemnisation qui avaient déjà été émis. Plusieurs membres du groupe affirment n’avoir reçu aucun soutien.
«J’ai beaucoup de questions sur les raisons pour lesquelles nous avons été entraînés dans ce conflit, sur les souffrances que nous avons endurées et sur qui nous compensera pour nos pertes», déclare Jalal Nassar, propriétaire d’un restaurant dans la ville libanaise de Tyr. Il a dû payer 100 000 dollars pour réparer son restaurant qui a été détruit par des frappes aériennes.
La branche ‘construction et ingénierie’ liée au Hezbollah s’est rendue au restaurant pour évaluer le coût des réparations mais n’a fourni aucune assistance, ajoute-t-il, estimant que la guerre était une erreur.
En novembre, la Banque mondiale a estimé le coût des dommages aux structures physiques au Liban à 3,4 milliards de dollars avec environ 100 000 maisons partiellement ou totalement détruites. Les veuves et les familles des militaires tombés au combat ont également besoin d’aide et les blessés ont besoin de soins médicaux et d’un revenu régulier.
Les difficultés financières croissantes auxquelles le Hezbollah est confronté semblent provenir des efforts déployés par le nouveau gouvernement libanais soutenu par les États-Unis pour arrêter le flux de fonds vers le parti en provenance de l’Iran, son principal soutien.
La chute du régime de Bachar Al-Assad en Syrie a également été un coup dur coupant ainsi la route des armes et de l’argent à travers un pays autrefois allié du Hezbollah et de Téhéran.
Le groupe chiite libanais a publiquement reconnu les difficultés financières et militaires subies même si le soutien de ses partisans semble demeurer fort pour le moment, du moins en apparence. Le nouveau secrétaire général du parti Naïm Qassem a déclaré que le groupe était déterminé à reconstruire ce qui a été détruit mais a exhorté l’État libanais à assumer également ses responsabilités.
Nasrallah continue d’être vénéré
Des centaines de milliers de personnes ont assisté aux funérailles d’Hassan Nasrallah, l’ancien chef du Hezbollah tué dans une frappe aérienne israélienne en septembre. Beaucoup au Liban continuent de vénérer Nasrallah et son organisation pour avoir bâti l’une des milices non étatiques les plus puissantes du monde en opposition à Israël et pour être devenue une force dans la politique libanaise.
«Le Hezbollah n’a plus assez d’argent pour dédommager ses partisans», explique Lina Khatib, chercheuse associée à Chatham House à Londres, et d’ajouter: «La loyauté envers le groupe diminuera probablement à long terme lorsque les partisans du Hezbollah se rendront compte qu’il ne peut plus leur fournir d’aide financière, politique ou sécuritaire».
Les experts estiment que ces dernières années, le groupe a maintenu un budget annuel d’environ 1 milliard de dollars pour couvrir l’aide, les salaires et autres coûts hors dépenses militaires. Or, ces opérations ont été gravement endommagées à la fin de l’année dernière lorsqu’Israël a intensifié son conflit de longue date avec des frappes aériennes et des attaques secrètes.
Le conflit a commencé après l’opération Déluge d’Al-Aqsa du Hamas le 7 octobre 2023 contre le sud d’Israël. Le Hezbollah a ouvert le front avec Israël le 8 octobre avec des roquettes et des drones pour montrer sa solidarité avec les Palestiniens de Gaza.
La campagne menée par Israël l’automne dernier a tué de hauts dirigeants du Hezbollah, fait des milliers de morts et déplacé temporairement plus d’un million de personnes. Les dégâts ont principalement touché le sud du Liban et certaines parties de la capitale Beyrouth surtout la banlieue sud qui est le fief du Hezbollah.
Le Hezbollah tente de panser ses plaies
Depuis le cessez-le-feu, fin novembre, le Hezbollah tente de panser ses plaies. Les comités dirigés par le groupe chiite ont évalué les dégâts des centaines de milliers de maisons endommagées et ce dernier a versé 630 millions de dollars en indemnités aux personnes pour les pertes ou les dommages causés à leurs maisons, selon un responsable d’Al-Qard Al-Hassan, une quasi-banque liée au Hezbollah.
Cependant, des signaux plus récents illustrent la crise de liquidité du Hezbollah. Selon Moussa Shmeisani, concessionnaire automobile et chef de l’association des commerçants du gouvernorat de Nabatieh au Liban, le mouvement semble donner la priorité aux paiements destinés aux personnes ayant un besoin urgent d’abri plutôt qu’aux entreprises qui ont également été touchées.
D’autres coûts augmentent également notamment les indemnités versées aux blessés qui ont besoin de soins médicaux et d’un revenu régulier. Une personne proche du Hezbollah a déclaré au Wall Street Journal que le groupe avait perdu 5 000 combattants dans le conflit et que plus de 1 000 avaient été grièvement blessés dont de nombreux avaient perdu des membres ou souffraient de cécité permanente.
Un autre témoin cité par le journal a indiqué qu’une note interne avait été distribuée aux unités de combat ordonnant aux militants non originaires des régions du sud du Liban de quitter leurs positions et de permettre aux forces de l’armée libanaise de prendre le contrôle de la zone conformément au cessez-le-feu. «Le parti a subi de lourdes pertes», a-t-il souligné, précisant que certaines unités militaires ont été complètement démantelées.
Toutefois, le Hezbollah précise que ses rangs ont été en partie reconstitués avec des combattants qui étaient stationnés en Syrie avant la chute d’Al-Assad et que certaines unités étaient restructurées en prévision d’une éventuelle reprise des combats.
Joseph Aoun à la manœuvre
Cependant, l’élection de l’ancien chef d’état-major de l’armée libanaise Joseph Aoun en janvier, soutenu par les Etats-Unis, a été perçue comme un signe du déclin de l’influence du Hezbollah au Liban. Les États-Unis et les pays européens espèrent désormais qu’Aoun sera en mesure de réduire le contrôle du Hezbollah sur l’économie et l’État libanais.
Le nouveau président est confronté à une tâche immense puisque le gouvernement libanais traverse une crise économique depuis des années et aura besoin de l’aide des donateurs étrangers pour se reconstruire, peu de pays ayant jusqu’à présent engagé des fonds et tous exigent un affaiblissement du poids du Hezbollah et le renforcement de celui l’État libanais.
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