Donald Trump/Ali Khamenei: une histoire de faucons.
Le 8 mai 2018, Donald Trump a annoncé que les Etats-Unis se retiraient finalement de l’accord nucléaire avec l’Iran. Décision controversée s’il en est, mais seul l’avenir nous dira si, dans ce dossier, le président américain avait raison…
Par Roland Lombardi *
Cet accord, signé sous la présidence de Barack Obama, le 14 juillet 2015, à Vienne, entre l’Iran et les pays du «P 5+1» (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne), faisait suite à des années de négociations (près de 12 ans) et fut difficile à conclure.
Strictement centré, pour l’Iran, sur la limitation de sa production de plutonium à vocation militaire et la construction ainsi de l’arme atomique, ce texte est certes imparfait et contient de nombreux angles morts.
En effet, l’accord ne prône pas le démantèlement complet du programme nucléaire iranien et n’aborde absolument pas les questions sur les armes balistiques.
La stratégie du «renversement de table»
Ainsi, pour ses détracteurs, il n’est simplement qu’un moyen de gagner du temps du côté iranien. Toutefois, comme le reconnaissaient certains généraux américains et même israéliens, cet accord avait au moins le mérite d’exister.
De plus, le compromis de Vienne constituait le premier pas vers une normalisation des relations entre l’Iran et les Etats-Unis, rompues en 1980 après la prise d’otages à l’ambassade américaine de Téhéran. En même temps, cela permettait de faire revenir l’Iran dans le concert des nations tout en amorçant une coopération certes discrète mais bien réelle entre Washington et Téhéran sur les crises en Syrie et en Irak face au danger que représentait à l’époque Daesh.
Par ailleurs, les Iraniens semblaient jusqu’ici respecter l’accord comme l’affirment l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et les experts français, britanniques et allemands.
À l’opposé, d’autres observateurs ont déclaré, quant à eux, qu’une partie de l’argent déjà récoltée par l’Iran, suite à la levée des sanctions économiques concomitantes au Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA), n’a servi pour l’instant qu’à renforcer l’hégémonie iranienne dans la région en finançant notamment tous ses proxys, du Hezbollah au Liban, aux milices chiites en Syrie et en Irak, en passant par les Houthis au Yémen.
Quoi qu’il en soit, dans son discours du 8 mai dernier, où d’ailleurs le président américain mélange un peu tout, Donald Trump a une nouvelle fois usé de sa stratégie favorite en politique internationale et qui est celle du «renversement de table».
Pourquoi cette décision ?
Tout d’abord, quoi que l’on en pense, il faut bien reconnaître que le président américain tient encore une fois une de ses promesses de campagne (frappes en Syrie, déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem, Corée…).
Evidemment, en Occident, nous ne sommes plus habitués à ce qu’un homme politique tienne ses paroles. Pour ma part, même si je répète assez souvent que c’était une grande erreur que de sous-estimer Donald Trump, je pensais que cet engagement électoral ne serait finalement pas tenu et que le locataire de la Maison Blanche choisirait en définitive la «manière douce» pour aborder ce dossier.
Il faut d’ailleurs rappeler que Donald Trump avait déjà, à deux reprises (la dernière fois en janvier 2018), confirmé la suspension des sanctions économiques contre l’Iran levées dans le cadre du JCPAO. Il est vrai que depuis, des «faucons» comme John Bolton et Mike Pompeo ont remplacé respectivement les «modérés» de son administration, le conseiller à la sécurité nationale général McMaster et le secrétaire d’Etat, Rex Tillerson, qui eux, étaient contre un retrait de l’accord et discutaient discrètement avec les Iraniens.
De ce fait, ne perdons pas de vue que la dernière mesure prise par Trump a aussi des fins, encore une fois, internes. Ainsi, tout en s’affichant comme le chef qui tient parole auprès de son électorat, il espère de la sorte amadouer l’Etat profond américain et engranger également le maximum de soutiens politiques, notamment au Congrès dans le camp républicain voire ailleurs, en vue des prochaines échéances électorales de mi-mandat de novembre prochain.
Sur le plan international, Trump donne de nouveau des gages à ses alliés régionaux que sont l’Arabie saoudite ainsi qu’Israël et surtout son Premier ministre, Benyamin Netanyahou…
Pour les Européens par contre, le retrait américain et la reprise des sanctions sont catastrophiques sur le plan commercial puisqu’il s’accompagne de menaces contre toutes sociétés qui commerceraient avec l’Iran.
Bien sûr, des moyens complexes existent pour contourner la scandaleuse extraterritorialité des lois américaines. Cependant, le «syndrome BNP» (en 2014, la banque française avait été sanctionnée par les Etats-Unis à payer 9 milliards de dollars pour avoir fait des transactions financières entre 2002 et 2009 avec l’Iran, le Soudan et Cuba, pays soumis à un embargo économique américains) est dans tous les esprits des investisseurs occidentaux.
Alors, certes l’accord est toujours en vigueur entre l’Iran et les Européens, mais ces derniers ont peu de moyens de pression et nous sommes légitimement en droit de douter de sa viabilité sans la présence de la seule puissance globale de la planète… En définitive, seuls les Russes et les Chinois tireront leur épingle du jeu puisqu’ils resteront politiquement et surtout économiquement liés et implantés en Iran avec ou sans accord.
Un retour du Regime change ?
Durant toute sa campagne, le candidat Trump avait fustigé l’utopie des néoconservateurs, et terriblement dévastatrice, du Regime change et du Nation building. Depuis, on l’a vu, il a fait appel à des «néocons» pour le seconder. Pour autant, les généraux John Kelly, son chef de cabinet, et James Mattis, le secrétaire à la Défense qui sont eux des réalistes, sont encore là (pour combien de temps ?) et surtout, n’oublions pas que c’est toujours lui le chef d’orchestre ! Alors, sauf incident grave, je ne pense pas qu’il souhaite véritablement aller jusqu’à un affrontement direct avec l’Iran, comme les Israéliens d’ailleurs. Je pense plutôt qu’il a choisi la stratégie de Reagan face à l’URSS.
Trump a très bien compris que ce sont les rapports de force qui prévalent toujours en relations internationales et dans cette région, plus qu’ailleurs. Il espère ainsi imposer une pression insupportable sur Téhéran, asphyxier et mettre à genoux les mollahs et surtout, les Gardiens de la révolution, piliers de la République islamique. Son pari repose alors sur un pourrissement de la situation interne du pays qui le ferait évoluer positivement vers une sorte de «perestroïka persane» ou mieux, une chute du régime.
Hassan Rohani, le président iranien l’a très bien compris : c’est une «guerre psychologique et une pression économique» qui est en train de se mettre en place contre l’Iran.
Reste à savoir si le nouveau choix du président américain n’affaiblira pas les «modérés», vainqueurs des dernières élections et qui sont derrière Rohani, et ne renforcera pas, au contraire, le sentiment d’unité nationale et surtout les radicaux du Guide suprême, Ali Khamenei…
Honnêtement, encore une fois, comme certains généraux du Pentagone et même certains officiers israéliens, je ne crois pas que c’est en tordant le bras aux dirigeants actuels iraniens, que nous assisterons à une évolution positive du régime à Téhéran. Peut-être. Il est vrai qu’aujourd’hui la République islamique est déjà très affaiblie à l’intérieur comme à l’extérieur. En effet, les tensions politiques au sein du pouvoir et les problèmes socio-économiques (cf. les manifestations violentes de cet hiver – et qui se poursuivent encore aujourd’hui sporadiquement – contre la corruption des élites, la vie chère et les aventures extérieures) sont bien réels actuellement en Iran.
En Syrie, les Israéliens ne veulent absolument pas voir s’installer un «Iran Land» à ses frontières. C’est la raison pour laquelle, Tsahal cible quasi quotidiennement, depuis des mois et toujours avec le blanc-seing russe, les positions et les déplacements d’armes iraniennes comme dans la nuit du 10 mai où, en réponse à vingt tirs de missiles contre le territoire israélien, plus d’une cinquantaine de cibles ont été durement touchées. De toute évidence, au-delà du sensationnalisme ambiant, un affrontement de grande ampleur entre l’Iran et Israël est peu probable. Il aurait déjà pu avoir lieu depuis bien longtemps, notamment lors de la centaine de frappes israéliennes sur la Syrie et qui ont parfois causé la mort d’officiers iraniens et du Hezbollah. Toutefois, Téhéran et la milice chiite libanaise font le dos rond.
Ils n’ont jamais engagé des représailles d’envergure contre Israël, et ce pour trois bonnes et simples raisons.
D’abord, s’ils le faisaient, ils perdraient immédiatement leurs derniers soutiens européens. Ensuite, ils n’en ont, pour l’instant, absolument pas les moyens et enfin, ils savent pertinemment, connaissant les Israéliens, que cela leur en cuirait.
D’autant plus, que les Russes et même Bachar El-Assad, ne voient pas d’un très bon œil une présence iranienne pérenne en Syrie. Signe des temps, ce 9 mai, Netanyahou a été l’invité d’honneur de Poutine au défilé de la victoire de la Seconde Guerre mondiale…
À terme, si les Iraniens, ne souhaitent pas perdre tous les bénéfices économiques et commerciaux de leur victoire en Syrie, il est fort possible que sous la pression du Juge de paix russe (qui n’est au final qu’un partenaire tactique et non un allié), ils préféreront effectuer un certain retrait afin de préserver leur influence politique mais aussi une bonne part des marchés de la reconstruction du pays.
En paraphrasant le général de Gaulle, lorsqu’il s’exprimait sur la Russie et l’Union soviétique, nous pouvons penser que la grande Perse finira par boire comme un buvard le fondamentalisme chiite. La question est de savoir comment et dans combien de temps.
Une révolution violente en Iran est peu envisageable pour l’instant. Pour l’heure, même si le guide ultraconservateur Khamenei est toujours là, il est cependant vieillissant et très malade. Lorsqu’il disparaîtra, sera-t-il remplacé ? Ce n’est pas certain.
Peut-être même, que les mollahs reviendront à leurs anciennes positions qui leur interdisaient de faire de la politique. Un nouvel Etat qui serrait un savant mélange de société ouverte, de libéralisme économique mais toujours d’autocratie, et issu d’un gentlemen’s agreement entre les modérés, l’armée et les puissants Pasdarans, pourrait voir le jour. Qui sait ?
D’ailleurs, dans son discours du 8 mai, après des propos très durs, le président américain s’est également adressé directement au «grand peuple iranien» en le flattant. De même, il a quelque peu temporisé en laissant une petite porte ouverte, une chatière si j’ose dire, pour une reprise éventuelle des négociations : «Le fait est qu’ils vont vouloir conclure un accord nouveau et durable, un accord qui bénéficierait à tout l’Iran et au peuple iranien. Quand ils (seront prêts), je serai prêt et bien disposé. De belles choses peuvent arriver à l’Iran».
Clairement donc, en choisissant «la manière forte», en renversant la table et en se montrant menaçant, Donald Trump souhaite tout simplement accélérer le processus que j’ai décrit plus haut. A moins que, effectivement, les responsables iraniens, en situation de trop grande faiblesse mais qui sont de grands pragmatiques, se résignent finalement à revenir à la table des négociations afin de sauver ce qui peut encore être sauvé… Les provocations et la manière forte ont déjà très bien réussi au président américain, notamment avec la Corée du Nord. Seul l’avenir nous dira si dans ce dossier, il avait encore raison…
* Analyste au sein du groupe JFC Conseil, docteur en histoire, consultant indépendant en géopolitique, et chercheur associé à l’Iremam à Aix en Provence.
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