Béji Caïd Essebsi à la manœuvre pour recoller les morceaux.
Ambiance de fin de règne. Et quel règne ma foi! Un règne éphémère, contrarié et qui n’a fait qu’enfoncer le pays dans l’incertitude et la vulnérabilité. Il n’y a peut-être que le titulaire de ce règne, Béji Caïd Essebsi, qui pourrait penser le contraire.
Par Chedly Mamoghli *
Voilà où nous en sommes aujourd’hui en Tunisie…
1/ Un chef de gouvernement lâché par tous y compris par son propre parti. Toutefois et pour être objectif, il faut reconnaître que son bilan ne plaide pas en sa faveur, que sa «guerre contre la corruption» a commencé et s’est achevée en mai 2017 et depuis, rien du tout ou pas grand-chose! Mais il continue dans ses discours à nous bassiner avec sa «guerre contre la corruption» qui n’est plus que du donquichottisme car elle se résume juste à un slogan de communication politique et elle ne se concrétise plus par des actes.
2/ En même temps, Youssef Chahed est aujourd’hui la cible de tous les salauds de Tunisie qui veulent sa peau comme se fut le cas pour son prédécesseur Habib Essid, il y a deux ans.
La lâcheté a la peau dure chez nous. Et à la tête de ceux qui œuvrent à son limogeage, il y a l’infatigable fossoyeur de la vie politique tunisienne depuis quatre ans, Hafedh Caïd Essebsi. Certes, les naïfs continuent de croire que Hafedh est à l’origine de tout ce bordel politique mais en réalité il n’est qu’un éventail.
Nidaa Tounes est devenu une pâle copie de l’ancien RCD et ceux qui le dirigent et téléguident le fils sont le trio Raouf Khamassi-Samir Laabidi-Borhen Bsaïes. Youssef Chahed n’est pas docile à leur goût et il n’est pas de la même école qu’eux. Cette guerre qui oppose ce trio –dont la vitrine est Hafedh – à Youssef Chahed et qui est apparue au grand public ces jours-ci dure en effet depuis longtemps.
Hafedh Caïd Essebsi n’a pas perdu la guerre, il possède une arme redoutable entre ses mains. Il peut, en cas de maintien de Youssef Chahed, retirer les ministres issus de Nidaa Tounes du gouvernement et refuser d’accorder la confiance à un nouveau gouvernement Chahed. Amputé du soutien de Nidaa à l’Assemblée, Chahed ne pourra se maintenir. Sauf que si Hafedh use de cette arme, ceci reviendra à ce qu’on appelle en politique «Tuer le père». Non pas le tuer physiquement naturellement mais le tuer politiquement. Si Hafedh utilise cette arme, il décrédibilisera totalement et définitivement le président de la république. Ceci équivaut à ce que le pouvoir n’est plus entre les mains du père mais désormais entre les mains du fils («El hall wil rabt fi yedd Hafedh») mais user de cet arme requiert beaucoup de cynisme. Et là, le facteur familial entre en jeu. Si Hafedh n’était pas le fils de Béji, user de cette arme ne manquerait pas de se faire dans pareille situation mais vu que c’est son fils, s’il recourt à cette arme, cela compromettrait à jamais la relation entre le père et le fils.
3/ Souvent en politique, quand une telle bataille fait rage, c’est l’outsider qui vient par derrière et que personne ne voit venir qui remporte la mise. Et certains voient en Lotfi Brahem cet outsider. D’ailleurs quand le ministre de l’Intérieur s’est attaqué aux non-jeûneurs, ça n’avait rien d’anodin. Les naïfs, les excités et les idiots utiles ont commencé à lui faire une leçon de morale, à lui rappeler la Constitution et la liberté de conscience et blablabla. Or, en réalité il faisait de la politique politicienne ni plus ni moins. Il s’en fout des jeûneurs et des non-jeûneurs mais voulait par ses propos draguer les islamistes dans la course à la succession de Youssef Chahed, mais Béji Caïd Essebsi, aussi affaibli soit-il, ne le nommera jamais chef du gouvernement et les islamistes ne lui feront jamais confiance.
4/ Quant aux islamistes, ils assistent à ce spectacle macabre en se frottant les mains. Ils feignent de nous faire croire qu’ils veulent le maintien de Chahed mais en réalité, c’est une occasion inespérée pour eux d’obtenir ce qu’ils exigent depuis une année à savoir que le maintien de Chahed ne se fera qu’à la condition sine qua non de son désistement de la candidature à la présidentielle de 2019. Rached Ghannouchi l’avait dit en août 2017 sur Nessma lors de la fameuse interview où il est apparu cravatée car il prépare sa candidature à l’élection présidentielle et veut choisir ses adversaires.
5/ Le pays est au bord de crise de nerfs, l’état de la Tunisie ne peut plus supporter les caprices d’un fils à papa et les querelles de chapelles des apprentis sorciers qui forment la classe politique actuelle et qui, depuis maintenant des années, se disputent le pouvoir alors que le pays ne cesse de s’enfoncer dans une crise politique, économique et sociale.
Ce faisant et en considérant tous ces éléments, ce qui devrait être fait (et j’utilise ici le conditionnel car la sagesse est requise mais je sais qu’il n’en reste plus grand chose) :
– Sachant que Youssef Chahed est lâché par les principales organisations – principalement l’UGTT et l’Utica – et par les partis politiques y compris par son propre parti, que les islamistes conditionnent son maintien par une condition inacceptable (qu’il ne se présente pas en 2019) et qu’ils veulent un chef de gouvernement faible et lâché par tous afin de pouvoir obtenir le plus de concessions possibles, les conditions de gouverner ne sont plus réunies.
Dans ce cas, si j’étais à la place de Youssef Chahed, lundi matin, lors de l’entretien hebdomadaire avec le chef de l’Etat, je lui remettrais ma démission.
En agissant de la sorte, Youssef Chahed montrera à tout le pays qu’il ne s’accroche pas au pouvoir, sa popularité montera en flèche et aura la voie totalement libre pour briguer la magistrature suprême. Par contre, s’il s’accroche au poste de chef de gouvernement alors que les conditions de travail ne sont plus réunies, qu’il ne peut plus travailler et gouverner car il a tout le monde contre lui, à ce moment-là son maintien n’aura plus de sens, le pays continuera de s’enfoncer dans l’inertie.
– Au-delà du sort de Youssef Chahed, au-delà de la bataille qui fait rage entre lui et tous ceux qui manigancent contre sa personne et au-delà de cette fin de règne vulnérable et incertaine, je réitère mon souhait de voir le mode de scrutin changer. Ce mode de scrutin proportionnel plurinominal que nous avons est un véritable boulet que nous traînons et qui ne permet pas de dégager une majorité stable qui puisse gouverner.
Egalement, il faut remédier aux conflits de compétences crées par l’actuel Constitution entre les deux têtes de l’exécutif. Nous sommes dans un système qui est né avec une malformation génétique et nous subissons les conséquences. Il faut ouvrir grands les yeux et voir qu’au-delà de problèmes conjoncturels qui nous étouffent, il y a un énorme problème structurel qui existe.
Il faut aussi que l’UGTT ait son mot à dire mais qu’elle cesse d’être hégémonique, qu’elle cesse d’être plus puissante que l’Etat et qu’elle cesse de bloquer le pays et l’économie en empêchant les réformes vitales.
– Quant à Nidaa Tounes, je ne comprends pas comment un parti créé en juin 2012, qui s’apprête donc à fêter son sixième anniversaire, n’ait pas encore connu des élections internes. Est-ce normal? Est-ce logique? Le parti a été vidé des principales figures aux différentes sensibilités politiques qui l’ont fondé, ce n’est plus qu’une pâle copie de l’ancien RCD. C’est devenu un gadget entre les mains des Rcdistes. Et le fait que Hafedh Caïd Essebsi continue à s’accrocher bec et ongles à la direction du parti me rend perplexe et fait qu’une question m’obsède depuis un certain temps: Que cache ce maintien? Pourquoi se cramponne-t-il à la direction du parti? Y a-t-il des choses à cacher que son éventuel départ pourrait faire éclater au grand jour?
* Juriste.
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