Un rapport de 60 pages, réalisé sous la direction de Taoufik Baccar et remis récemment au président de la république, dresse un bilan négatif de l’évolution du système bancaire au cours des sept dernières années et propose des réformes urgentes à y apporter.
Par Khémaies Krimi
Actuel président du Centre international Hédi Nouira d’études sur le développement, Taoufik Baccar qui fut, sous le règne de Ben Ali, ministre du Développement économique en 1995, ministre des Finances en 1999 et gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) de 2004 à 2011, semble regretter le plus son poste à la tête de l’Institut d’émission.
C’est du moins ce que laisseraient deviner les critiques qu’il a faites, indirectement et sans les nommer, de la gestion de ses trois successeurs, Mustapha Kamel Nabli, Chedly Ayari et Marouane El Abbassi, dont le mandat commence à peine mais qui risque de subir l’impact négatif des réformes initiées par ses deux prédécesseurs.
Ces critiques sont contenues dans un rapport intitulé «Programme de redressement économique», présenté récemment au président de la république, qui est, certes, un travail collectif auquel ont pris part 17 experts multidisciplinaires, mais qui porte l’empreinte reconnaissable du dernier gouverneur de la BCT de Ben Ali.
Limites de la politique Go and stop
Taoufik Baccar reproche à son premier successeur d’avoir contribué à l’adoption de la politique «Go and stop, qui est passée, selon lui, par la phase go mais jamais par la phase stop, et qui s’est traduite par la relance de la croissance par la demande intérieure (consommation) et par l’augmentation sans précédent des dépenses publiques, et l’occultation des deux autres facteurs de croissance : l’exportation et l’investissement.
Pour remédier à cette situation, il propose de rééquilibrer le modèle de développement économique et de le «baser concomitamment sur les trois sources de croissance : exportation, investissement et consommation.»
Il s’agit d’engager – pour le moyen et le long terme – des stratégies pour l’amélioration de la compétitivité, pour le développement de l’investissement (simplification des procédures de création de PME/PMI) et pour la promotion des exportations.
Au sujet de ce dernier facteur, le rapport propose de prendre des mesures de court terme visant à booster les exportations en exigeant, entre autres, des franchises, une compensation industrielle. En d’autres termes : ne les autoriser à vendre dans le pays qu’à condition qu’elles consentent d’y investir.
La loi sur les banques à revisiter
S’agissant des réalisations accomplies durant le mandat de Chedly Ayari, Taoufik Baccar critique les termes des deux lois adoptées: celle sur les banques et celle sur le statut de la BCT.
Le rapport estime que des modifications devraient «être apportées à la loi bancaire et en particulier à la règle du capital minimum pour le porter au moins à 150 MDT contre 50 MDT prévu par ladite loi.» Il s’agit, on l’a compris, d’éviter l’émiettement du marché, qui compte plus d’une vingtaine d’établissements bancaires, et de faire en sorte que la restructuration future du secteur favorise la recherche de tailles plus importantes (fusion-absorption notamment).
Concrètement, le rapport suggère trois actions : la cession des participations minoritaires dans les banques, notamment celles mixtes, la privatisation de la Banque d’Habitat et de la Banque Zitouna, et, enfin, le regroupement, dans des holdings publics, de la BFPME, la BTS, la Sotugar et le Foprodi, d’un côté, et de l’autre, de la STB, de la BNA et de BFT.
Le rapport recommande, par ailleurs, d’expurger de la loi bancaire toutes les dispositions qui ne relèvent pas de son domaine et qui trouvent leur place naturelle dans des textes à caractère réglementaire (arrêtés, circulaires…), comme les normes prudentielles de Bâle.
Une Banque centrale indépendante du gouvernement
La loi sur le statut de la Banque centrale n’est pas également du goût des auteurs de ce rapport, dont bien sûr Taoufik Baccar. Ces derniers proposent d’y réviser le mandat même de cette institution financière. «L’abandon de l’objectif consistant à prêter appui à la politique de l’Etat dans la dernière révision des statuts de la BCT aurait mérité une mure réflexion dans un contexte où l’économie nationale connaît ses pires souffrances», souligne le rapport. Il relève, également, dans ce même contexte, que «sur le plan de la gouvernance, il n’y a pas eu d’évolution remarquable, bien au contraire, le gouvernement a renforcé sa mainmise sur les organes dirigeants de cette institution dans le sillage du glissement des pouvoirs du chef de l’Etat sous la constitution de 1959, vers le chef du gouvernement sous celui de la constitution de 2014.» Ce qui, bien sûr, «a fragilisé l’indépendance organique de la politique monétaire», relève le rapport. Qui ajoute : «D’un côté, les nouveaux statuts entretiennent une confusion assez remarquable entre l’indépendance de la Banque centrale et celle de la politique monétaire qui, elle seule, réclame des aménagements institutionnels à même de lui conférer l’effectivité et la crédibilité souhaitées».
«En conséquence, recommande le rapport, il est indiqué de revoir le modèle de gouvernance de la Banque centrale, en consacrant une séparation rigide entre le gouvernement et les organes délibérant exécutif de l’Institut d’Emission; l’indépendance de cette institution devant en effet s’exprimer d’abord à l’égard du gouvernement. La nomination et la révocation du gouverneur et des membres du Conseil devrait relever du Président de la République et de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP)».
Le message est on peut plus clair…
La critique, après coup, est facile
Néanmoins, et abstraction faite des critiques de ce rapport de 60 pages, il importe de rappeler que Taoufik Baccar, contrairement à ses successeurs (mandat de 7 ans ensemble), a bénéficié à lui seul d’une longue période stabilité (plus de 7 ans), et partant d’une longue marge de manœuvre qui lui aurait permis d’engager toutes les réformes monétaires souhaitées pour le pays : institution du ciblage de l’inflation, développement des mécanismes de couverture des risques liés à la volatilité des prix à l’international, création d’une agence de Trésor spécialisée dans la gestion de la dette, formation des cadres bancaires à la monnaie cryptée… Malheureusement, il n’a rien fait de tout cela. Comme quoi, «il ne faut jamais lancer de pierre quant on habite une maison de verre».
Au final, nous invitons le dernier gouverneur de la BCT de Ben Ali à méditer cette célèbre citation de l’ancien président français Georges Pompidou : «Il ne suffit pas d’être un grand homme, il faut l’être au bon moment».
Donnez votre avis