Le sport est un nouveau vecteur d’activité diplomatique et un outil indispensable de croissance, de stabilité et prospérité.
Par : Fredj Bouslama*
En Tunisie, malgré un potentiel sportif international important et en dépit d’une présence régulière d’une élite sportive tunisienne compétitive dans des spécialités sportives variées et à niveau de compétition internationale élevé, cette ressource inouïe de publicité et de marketing pour le pays ne semble pas bien exploitée.
Au contraire, d’un point de vue diplomatique, l’appareil sportif tunisien semble fonctionner en roue libre. Sans aucun encadrement ni coaching, les incidents, les maladresses, les bavures et les bourdes venant des représentants officiels ou officieux du pays sur la scène sportive internationale se multiplient dans un contexte où le pays a besoin de mobiliser et de canaliser toutes ses forces et toutes ses énergies pour sauver une image de paix, de stabilité et de modernité très chère symboliquement mais politiquement et économiquement aussi.
Un drapeau ne se porte pas avec légèreté
On pourrait citer, à cet égard, l’attitude et la réaction des joueurs et des responsables de l’équipe nationale tunisienne de football, qui a fait scandale lors de la dernière édition de la coupe d’Afrique des nations, et dont les conséquences ont failli compromettre sérieusement nos chances de participer à la prochaine édition de ce grand tournoi. Mais aussi la vidéo de l’entraineur de l’équipe nationale de basketball qui gifle son joueur sous le regard de milliers de téléspectateurs, lors des JO de Londres, et qui a été relayée par des milliers d’internautes. Ou encore la fédération de handball qui doit s’expliquer sur un prétendu soutien d’un candidat israélien pour une responsabilité au comité exécutif de la confédération méditerranéenne de handball…
Ce sont là autant d’exemples du «politiquement incorrect» à la limite de la crise diplomatique, qui se suivent sans se ressembler.
Malheureusement, sous le coup des émotions et pris dans le feu de l’action nos représentant sportifs oublient souvent que quelle que soit la valeur de l’enjeu sportif dans lequel ils sont investis, il y aura toujours un enjeu plus grand et plus important qui est celui de l’image de la Tunisie et des Tunisiens aux yeux du monde.
Ces Tunisiennes et Tunisiens, qui évoluent sur tous les terrains sportifs du monde brandissant le drapeau Tunisien, ne doivent à aucun moment de la compétition oublier qui ils sont. Car ils sont l’élite de la jeunesse de toute une nation. Un drapeau ne se porte pas avec légèreté, celui qui le met doit incarner tout ce que ce précieux symbole peut représenter.
D’ailleurs, de plus en plus d’Etats et de nations commencent à saisir toute la richesse et tout l’intérêt qu’il y a à mettre en place de véritables démarches d’exploitation diplomatique du sport.
La championne d’athlétisme Habib Ghribi reçu par le président Caïd Essebsi.
Dans le monde, depuis quelques années, le terme de «Diplosport» prend de plus en plus de place dans l’univers lexical de la diplomatie et des relations internationale. Ce terme hybride associant le sport à la diplomatie abrège à la française un nouveau vecteur d’activité gouvernementale et non gouvernementale, ou le sport est habillé en diplomatie et la diplomatie en sport.
Même si le terme est assez récent, en réalité, la jonction entre le monde du sport et celui de la diplomatie remonte à la Grèce antique. La trêve sacrée, une sorte de cessez-le-feu provisoire entre des nations en guerre, est instituée pour l’ensemble des fêtes sportives grecques. Elle est annoncée par des porteurs de trêve en même temps que la date des jeux pour permettre et faciliter la mobilité et le déplacement des participants vers le lieu des jeux. Le protocole a été remis en place par les jeux olympiques modernes et est connu sous le terme de trêve olympique.
Le 31 octobre 2007, sous le titre d’‘‘Édification d’un monde pacifique et meilleur grâce au sport et à l’idéal olympique’’, l’Assemblée générale de l’ONU adopte à l’unanimité la résolution 62/4 qui «demande instamment aux États Membres, agissant dans l’esprit de la Charte des Nations Unies, d’observer la trêve olympique individuellement et collectivement pendant que se déroulera à Beijing la XXIXe Olympiade, dont l’idéal repose sur le slogan ‘‘Un seul monde, un seul rêve’’, et pendant les Jeux paralympiques qui suivront.»
«La diplomatie du ping-pong»
Hormis sa fonction de prestige et de rayonnement, les connaisseurs du monde diplomatique reconnaissent sans aucun doute les possibilités qu’offre le sport dans le maintien, l’entretien ou même le rétablissement des relations diplomatiques entre les pays et les nations. «La diplomatie du ping-pong» restera, à ce titre, dans les annales des relations internationales, une des plus belles illustrations de l’efficacité de l’appareil sportif dans ce domaine.
De 1949 à 1971 seuls 9 citoyens américains ont frôlé le sol chinois jusqu’à ce qu’une petite histoire d’amitié entre deux sportifs prenne une dimension nationale, internationale puis universelle. Une amitié qui, au hasard d’un bus raté, s’est nouée lors du championnat du monde du ping-pong au japon en 1971 entre deux grands champions de ce sport, l’un américain et l’autre chinois. Cette poule aux œufs d’or a rendu possible la reprise officieuse, en suite officielle, des relations diplomatiques entre les deux pays. La rencontre entre Richard Nixon et Mao Zedong en 1972 au Etats Unis d’Amérique a été l’apothéose d’une histoire d’amitié que le sport a rendu possible.
La rencontre entre Richard Nixon et Mao Zedong en 1972 au Etats Unis d’Amérique a été rendue possible grâce au sport.
Plus récemment, c’est à partir de 2009 qu’Hillary Clinton, nommée à la tête de la diplomatie américaine dans l’administration d’Obama, va donner un coup de jeune à la diplomatie sportive et la hisser au rang des outils diplomatiques indispensables. En l’intégrant dans une toute nouvelle doctrine diplomatique dite «smart power», Mme Clinton va multiplier les activités du programme SportsUnited existant depuis 2002 et augmenter les budgets qui atteignent de nos jours 3 milliards de dollars par an. Une véritable autoroute d’échange avec les pays du monde s’est ouverte par les 4 programmes de la diplomatie sportive américaine : l’autonomisation des femmes à travers le sport; les envoyés sportifs, l’accueil des jeunes sportifs et les subventions sportives.
Les BRICS, ces puissances émergentes, qui ne peuvent ou ne souhaitent pas s’appuyer sur les atouts traditionnels du «hard power» (intimidation et influence par la puissance armée et économique), ont, à leur tour, fait le choix du sport pour accroître leur notoriété, promouvoir une vision positive et accueillante voire «respectable» sur la scène internationale, moderniser leur image et affirmer leur capacité d’influence.
Le Brésil, la Russie, la chine le Sud-Afrique ont tous pris leur part dans l’organisation d’événements sportifs mondiaux importants. L’organisation des JO en chine en 2008 leur a même été accordée après un engagement de la part du gouvernement chinois à faire des efforts en matière de respect des droits de l’homme et de l’environnement ; un sujet que le sport et les jeux ont permis d’aborder avec une délicatesse insistante.
Qatar : un micro Etat dans la cour des grands
Le Qatar, un micro Etat, jusqu’a récemment très peu connu dans le monde, a misé sur le levier du sport pour améliorer sa visibilité et sa notoriété. Une stratégie gagnante à la fois sur le plan diplomatique, mais aussi sur le plan économique. Les investissements sportifs du Qatar répondent en effet à des stratégies économiques de long terme. La diversification des ressources économiques qataries est un gage d’immunisation face aux menaces d’épuisement des gisements d’hydrocarbures, de la volatilité des prix des produits énergétiques et de l’instabilité politique et sécuritaire de la région. Pour y parer, le Qatar a mis en place un «plan 2030» qui exige qu’a cet horizon 50% des recettes devront provenir de leurs investissements à l’étranger. En investissant dans les clubs et en rachetant, en même temps, les droits de diffusion des championnats par des entreprises qataries, c’est le Qatar lui-même qui récupère les bénéfices en termes d’audiences et d’espaces publicitaires réalisés grâce aux investissement sur la grande scène sportive internationale.
La France, puissance mondiale et alliée traditionnelle de la Tunisie, n’a réformé sa diplomatie sportive que depuis une année. La déception vécue après son échec dans la course à l’organisation des jeux olympiques de 2012 face à Londres à été l’un des facteurs qui a permis une prise de conscience du manque d’investissement de la diplomatie française dans le terrain sportif et de la faible coordination entre les organes sportifs et diplomatiques français pour des objectifs communs.
La nouvelle doctrine de diplomatie sportive française s’est traduite par la nomination, pour la première fois, d’un ambassadeur thématique pour le sport chargé d’animer le réseau diplomatique français, par la création du Comité français du sport international, par la définition d’une stratégie «Sport à l’Export», et par la mise en place d’un pôle d’excellence touristique autour de la thématique du sport.
Grâce à une diplomatie sportive agressive, le Qatar, un micro-Etat, va organiser le Mondial 2022 de football.
La diplomatie sportive peu donc constituer une véritable toile en connectant la diplomatie à quatre réseaux importants, lucratifs et influents :
– le réseau sportif : en accordant au sport et aux sportifs une fonction diplomatique officielle et publique, et en se positionnant dans les instances sportives internationales influentes et décisives ;
– le réseau médiatique: en gérant et en maîtrisant l’image du pays dans les médias sportifs et notamment lors des grandes manifestations à haut taux d’audience et ce dans les terrains de jeu, mais aussi dans les gradins et dans tout ce qui constitue pour les médias une matière médiatique sportive insolite ;
– le réseau économique : en soutenant les entreprises nationales dans leurs conquêtes des marchés extérieurs dans les domaines des grands travaux d’infrastructures sportives de l’industrie et des équipements sportifs, et dans celui des compétences et de savoir-faire en matière d’organisation, de couverture et de marketing des événements sportifs ;
– le réseau non gouvernemental : en alimentant ou en profitant des différents programmes d’aide et de soutien aux développements économiques et sociaux par le sport que des ONG internationales offrent aux pays et aux populations dans le besoin.
La confluence de ces réseaux dans une diplomatie sportive harmonieuse et cohérente peut ramener des bénéfices économiques directs et indirects inattendus.
Marketing international par le sport
Comme outil de rayonnement, une partie du travail de la diplomatie sportive consiste à rentabiliser et à réinvestir les réussites sportives mondiales de l’élite nationale dans les circuits diplomatiques officiels offrant ainsi la possibilité de multiplier les supports de notoriétés et les preuves d’excellence qu’incarnent les champions sportifs. La présence «in vivo» des stars sportives auprès des enfants et des jeunes des autres pays du monde pourrait éveiller des passions et susciter des vocations. Cette diplomatie publique par le sport pourrait contribuer à la prospérité des clubs sportifs professionnels et leurs développements économiques par l’élargissement du marché des produits dérivés des clubs sportifs nationaux au delà des frontières
Sur le plan local, l’impact peut être considérable. En donnant une envergure internationale officielle et un statut d’acteur politique et diplomatique aux stars sportives, la diplomatie sportive contribue indirectement à inciter les enfants et les jeunes de la nation à la pratique sportive, reconnue officiellement par la plus haute sphère politique nationale et internationale comme une activité valorisante et prestigieuse.
Une diplomatie sportive judicieuse permettrait également au pays d’augmenter son capital de sympathie chez les Etats et les populations des autres pays du monde favorisant ainsi le flux et l’affluence organisée des acteurs économiques et des populations vers le pays. Ce capital de confiance est précieux aussi en matière de stratégie d’introduction des entreprises nationales dans des marchés extérieurs. En facilitant leurs introductions au près des personnalités et des cercles influents, les démarches informelles qui peuvent être entrepris par les services diplomatiques à la marge des rencontres sportives pourraient augmenter les chances des entreprises nationales pour l’octroi d’appel d’offre internationaux dans des pays amis.
Par ailleurs, une stratégie de marketing international par le sport, tracée par le gouvernement et exécutée par les services diplomatiques, peut mettre astucieusement à profit les taux d’audiences records que réalisent les événements sportifs planétaires et les exploiter pour véhiculer son image et disséminer ses valeurs morales, humaines et culturelles. La présence permanente du drapeau national sous les projecteurs des médias sportifs sur le terrain du jeu, ou même simplement dans les gradins et dans les espaces relayés pendant les grandes compétitions internationales donnent au pays une visibilité incomparable.
D’un autre côté, développer son poids sur dans les instances sportives internationales décisives grâce à la diplomatie sportive permet de mieux se positionner dans la course à l’organisation des événements sportifs mondiaux les plus suivis et ayant des retombées économiques conséquentes.
Au-delà du rayonnement, la diplomatie sportive se présente également comme un outil adapté aux nouvelles stratégies d’influence et d’intervention internationale, à l’instar des stratégies de «light footprint» et du «leader en retrait» qui fonctionnent sur la base de lobbys et de réseaux d’alliés et de partenaires. La diplomatie sportive contribue au déploiement, l’élargissement et l’étayage ces réseaux d’alliés et de partenaires ayant en commun, des intérêts économiques, stratégiques et géopolitiques à défendre.
Tous ces fronts constituent donc autant de terrains à conquérir et de manque à gagner et en consolidant ce cercle vertueux, qui relie réussite sportive aux bénéfices économiques, la diplomatie sportive se présente aujourd’hui comme un élément indispensable dans la boite à outils diplomatique.
A l’heure de l’évolution remarquable de la diplomatie sportive dans le monde, et alors que le ministre des Affaires étrangères tunisien Taieb Baccouche œuvre pour enrichir et mettre en cohérence des dispositifs diplomatiques pour inclure les objectifs de développement économique et social dans la politique étrangère tunisienne, un système tunisien de diplomatie sportive peu constituer un véritable levier de développement dans ce projet.
Une politique étrangère qui intègre le sport dans son agenda diplomatique se dotera sans aucun doute d’un outil supplémentaire pour affronter des défis économiques, sociaux et idéologiques importants. Le potentiel sportif tunisien devrait donc être valorisé, rentabiliser et réinvesti pour aider. Si tous les secteurs, toutes les forces vives et toutes les ressources de ce pays ne sont pas mis en synergie et ne sont pas engagés en concert dans cette bataille décisive, nous ferions mieux de revoir à la baisse nos ambitions de croissance, de stabilité et prospérité.
* Représentant de l’AMS en Tunisie et assistant du SGWSA pour le monde arabe.
Illustration: L’athlète Habiba Ghriba, la première femme médaillée olympique de l’histoire tunisienne.
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