L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) s’agite comme elle peut pour gagner une crédibilité qui le fuit depuis son élection en 2022 avec un taux de participation de 12%. Dans ce contexte, il examine en commission un projet de loi visant à interdire et à sanctionner sévèrement la pratique de la «magie», de l’«exorcisme» et de la «sorcellerie». Beau programme pour de nouvelles méprises en perspective… (Ph. Kamel Maghrebi poursuivi pour charlatanisme).
Cette initiative a suscité un vif débat dans le pays, mettant en lumière les conflits entre les croyances populaires et les principes de l’État républicain.
Selon plusieurs médias, le projet de loi vise à punir quiconque propose des services de «magie» ou d’«exorcisme» pour guérir des maladies, soulager des problèmes personnels ou «éloigner le mal», des pratiques très répandues dans le pays et auprès de toutes les couches sociales.
L’objectif affiché par les initiateurs du projet de loi est de lutter contre les escroqueries visant les citoyens vulnérables, souvent trompés par des personnes se prévalant de pouvoirs surnaturels.
Où finissent les rituels religieux et ou commence la sorcellerie ?
Cependant, cette proposition a été critiquée car elle risque de criminaliser des pratiques religieuses ou culturelles profondément ancrées dans le tissu social tunisien.
D’un côté, les partisans de la loi affirment que de nombreuses personnes, notamment les personnes âgées ou peu qualifiées, sont trompées par des soi-disant «exorcistes» ou «magiciens», ce qui peut entraîner de graves conséquences psychologiques ou économiques. La loi vise donc à protéger ces groupes vulnérables, dans une société souvent marquée par des croyances populaires tenaces.
D’autre part, de nombreux commentateurs, tant sur le plan juridique que culturel et des droits, mettent en garde contre le flou des articles présentés dans le texte. Sans définition précise, les pratiques liées à la dimension spirituelle ou religieuse, y compris les formes traditionnelles de guérison, risqueraient de tomber dans la catégorie de la «magie», rendant potentiellement passibles de poursuites les imams ou les religieux pratiquant des exorcismes dans le cadre de liturgies traditionnelles.
Selon plusieurs experts en droit constitutionnel, une disposition de ce type pourrait contrevenir à certaines normes de la Constitution tunisienne, qui garantissent la liberté de conscience et de culte, tant que l’ordre public n’est pas troublé.
Historiens et anthropologues mettent également en garde contre le risque de porter atteinte à des aspects de la culture magico-religieuse répandus, quoique discrètement, au Maghreb et étroitement liés à l’identité collective régionale.
Eviter les restrictions arbitraires aux libertés individuelles
Par le passé, dans d’autres juridictions, comme les Émirats arabes unis, des tentatives ont été faites pour durcir la législation sur des pratiques similaires considérées comme de la «fraude». L’expérience montre cependant que, sans critères clairs et sans garanties juridiques, on risque de confiner des phénomènes spirituels inoffensifs ou socialement acceptés à la sphère criminelle.
Le projet de loi actuellement examiné en Tunisie met en lumière la tension entre un instinct répandu de défense des plus faibles contre des croyances potentiellement trompeuses et la nécessité d’éviter les restrictions arbitraires aux libertés individuelles. L’issue du débat parlementaire sera cruciale pour tracer la ligne entre protection des citoyens et respect des espaces culturels et religieux. La définition opérationnelle des termes juridiques et la mise en place de contrôles permettant de prévenir les abus seront essentielles.
Il reste à voir si, dans la sphère législative ou judiciaire, des clauses de sauvegarde pour la liberté d’expression religieuse et culturelle seront intégrées. L’adoption parlementaire sera suivie de près par les juristes, les universitaires, les organisations de défense des droits civiques et les confessions religieuses. Les prochains mois seront décisifs pour comprendre si et comment la Tunisie saura concilier modernité institutionnelle et respect de son identité culturelle complexe.
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