Pourquoi on ne le laisse pas travailler, de toute façon il va partir bientôt ?
Ceux qui veulent le départ illico presto de Youssef Chahed appartiennent à deux catégories, les corrompus et les ambitieux, dont les motivations totalement différentes se sont curieusement trouvées visant le même objectif.
Par Ridha Kéfi
Avec Youssef Chahed, les dirigeants de Nidaa Tounes ne savent plus sur quel pied danser. Certains en perdent carrément leur sang franc et se mettent à faire des déclarations à l’emporte-pièce, à la limite de la correction.
En refusant de démissionner de son poste de chef de gouvernement d’union nationale ou de solliciter à nouveau la confiance de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), comme ces derniers le lui demandent avec insistance, M. Chahed s’est montré plus coriace et plus intraitable que son prédécesseur au poste, Habib Essid, qui n’a pas montré la même capacité de résistance à l’hostilité de ceux qui l’ont nommé et s’est finalement résigné à leur offrir sa démission sur un plateau.
Chahed n’a aucune raison pour partir
Pourquoi M. Chahed démissionnerait-il ou solliciterait-il une nouvelle foi la confiance du parlement, puisqu’il l’a déjà eue, cette confiance, plutôt deux fois qu’une, en 2016 et en 2017 ?
Pourquoi le ferait-il, qui plus est, à un an des élections législatives et présidentielles de 2019, qui vont amener une nouvelle majorité et une nouvelle équipe gouvernementale?
Pourquoi se résignerait-il à partir maintenant alors que la situation dans le pays s’améliore, malgré les attaques dont il fait l’objet de toutes parts, et malgré les obstacles que mettent sur son chemin le président de la république Béji Caïd Essebsi, son propre parti Nidaa Tounes et l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), tous unis pour «avoir sa peau» ?
Pourquoi jetterait-il l’éponge aujourd’hui, alors que ses efforts commencent à donner leurs fruits, que la croissance économique reprend timidement mais sûrement et que le pays entrevoit enfin le bout du tunnel ?
Pourquoi, enfin, lui, le timonier, abandonnerait-il son bateau au milieu des flots, au risque de paraître égoïste, lâche et irresponsable ?
Ceux qui veulent son départ pour des raisons incompréhensibles et injustifiables, mais que l’on peut aisément deviner, pourquoi ne feraient-ils pas le nécessaire pour cela, dans le respect de la Constitution, notamment en l’obligeant à passer, à nouveau, par le vote de confiance du parlement.
Pourquoi hésiteraient-ils à le faire ? Craignent-ils d’essuyer un nouveau camouflet ? Si c’est le cas, pourquoi ne le laisseraient-ils pas travailler pour essayer de redresser la situation dans le pays, son mandat devant s’achever, de toute façon, fin décembre 2019, autant dire demain ?
Des motivations différentes, une même cible
En fait, ceux qui veulent le départ illico presto de Chahed appartiennent à deux catégories, dont les motivations totalement différentes se sont curieusement trouvées visant le même objectif.
Il y a, d’abord, les corrompus, et ils sont nombreux dans la sphère politico-économico-médiatique, qui savent que la campagne de la lutte contre la corruption lancée par Chahed depuis mai 2017 va, tôt ou tard, les atteindre. Son départ est donc, à leurs yeux, d’autant plus urgent, qu’ils espèrent mettre à sa place une personnalité plus accommodante qui accepterait d’exercer une pression sur la justice pour faire classer les dossiers en cours d’instruction ou les faire pourrir, comme cela se fait habituellement.
Il y a, ensuite, tous ces ambitieux qui piaffent d’impatience de succéder à Béji Caïd Essebsi au Palais de Carthage et qui n’ont pas apprécié (c’est un euphémisme) de voir le nom de Youssef Chahed, sans passé militant et hier encore méconnu du grand public, monter dans les sondages d’opinion et sa notoriété se renforcer auprès des partenaires internationaux de la Tunisie.
L’homme, qui ne traîne pas de casseroles et dont l’intégrité ne souffre pas l’ombre d’un doute (s’ils avaient trouvé la moindre faille, ses adversaires l’auraient depuis longtemps exploitée), apparaît, aux yeux de beaucoup, comme le dirigeant jeune et droit dont la Tunisie a besoin pour assainir les rouages de son administration publique gangrenée par la corruption et la mauvaise gouvernance et relancer sa machine économique.
Des dirigeants politiques au bord de la crise de nerfs
Cela, bien sûr, énerve au plus haut point les ambitieux que nous connaissons, à Nidaa Tounes et dans les autres partis, et qui sont prêts, aujourd’hui, à composer avec le diable pour tenter de le discréditer aux yeux des Tunisiens, l’empêcher de se valoir du moindre bilan et lui barrer la route de Carthage, tant il est devenu un obstacle insurmontable devant leurs propres desseins politiques.
Ceux qui cherchent à «tuer» Youssef Chahed (pour ainsi dire «dans l’œuf») ne veulent pas, comme ils le disent, sauver la Tunisie de la crise et améliorer le quotidien des Tunisiens, car de cela ils se moquent comme d’une guigne. Leur «affaire», c’est leur propre personne, c’est-à-dire l’impunité pour les corrompus et, pour les prétentieux qui s’y voient déjà, le dégagement du terrain pour la réalisation de leur ambitions.
Pour conclure, disons que Chahed pourrait partir demain, et il partira nécessairement, un jour ou l’autre, mais son départ ne rendra pas la Tunisie plus prospère ni les Tunisiens plus heureux. Car aucun de ceux qui se bousculent aujourd’hui au portillon ne possède le remède miracle, ni même la moindre petite solution pouvant aider à soulager les finances publiques, qui sont dans un piteux état, ni le pouvoir d’achat des citoyens, qui continuera à s’effriter si la croissance ne s’affermit pas davantage. S’ils vous disent le contraire, ne les croyez pas, car ils mentent !
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