Suite à l’annonce publique faite par le président de la République qu’il a été mis fin à son alliance avec Ennahdha, les efforts de sauvetage de l’économie tunisienne poussive se trouvent désormais confrontés à la perspective sérieuse de nouveaux troubles…
Analyse de l’agence Reuters
Les observateurs de la scène politique tunisienne estiment que cette annonce du président Béji Caïd Essebsi (BCE), lundi soir [24 septembre 2018, lors de son interview accordée à la chaîne Al-Hiwar Ettounsi, ndlr], pourrait rendre encore plus difficile la tâche du gouvernement qui consiste à engager les réformes sérieuses souhaitées par les prêteurs internationaux.
Les réformes nécessitent un large consensus
«Bien évidemment, il n’y a aucun risque réel de voir le parlement mettre un terme au mandat du gouvernement [de Youssef Chahed, Ndlr], mais il y a désormais le problème sérieux de cette division qui va s’approfondir, de la tension sociale qui ira crescendo et la menace qui planera sur la mise en œuvre des réformes par une coalition gouvernementale ainsi fragilisée», confie à Reuters l’analyste Nizar Makni, qui ajoute : «Les réformes nécessitent un large consensus et l’absence de compromis pourrait entraîner à des protestations de masse, surtout celles des puissants syndicats qui rejettent en bloc les réformes proposées.»
Bien qu’étant en butte à un fort taux de chômage et à une inflation élevée, la coalition gouvernementale, composée d’islamistes modérés et de forces laïques, a été capable de gérer les affaires de ce que l’on décrit souvent comme l’unique réussite démocratique du Printemps arabe, épargnant au pays les tourmentes qu’ont connues des pays comme l’Egypte, la Libye et la Syrie.
Cependant, cette année, la Tunisie a de nouveau sombré dans une crise politique lorsque le fils de Caïd Essebsi, qui est le directeur exécutif de Nidaa Tounes, a exigé le départ du chef du gouvernement Youssef Chahed en raison de l’échec de l’équipe de ce dernier à relancer l’économie.
Cette revendication de Hafedh Caïd Essebsi a été fortement appuyée par la puissante Union générale tunisienne du travail (UGTT) qui s’oppose catégoriquement aux réformes proposées par Chahed.
Or, Ennahdha s’est porté à la défense de Chahed, expliquant que l’éviction du chef de gouvernement nuirait à la stabilité du pays à un moment où celui-ci a grandement besoin de réformes économiques.
Durant son mandat d’un peu plus de deux ans, Chahed a introduit un certain nombre de mesures d’austérité et de réformes structurelles, telles que la réduction des subventions relatives aux carburants, qui ont su convaincre le Fonds monétaire international (FMI) à maintenir sa ligne de crédit de 2,8 milliards de dollars et assurer l’obtention d’autres soutiens financiers.
Lundi soir, donc, le président Béji Caïd Essebsi a fait monter les enchères.
«Le consensus et la relation me liant à Ennahdha ont pris fin, à présent qu’ils [les dirigeants du mouvement islamiste, ndlr] ont choisi d’établir une autre relation avec Youssef Chahed», a déclaré Essebsi, le fondateur de Nidaa Tounes, dans cet entretien télévisé.
Inflation, chômage et impatience des créanciers étrangers
Pour les analystes, cette annonce du chef de l’Etat n’impliquerait pas l’éviction du chef du gouvernement, qui bénéficie du soutien d’au moins 110 parlementaires sur le total des 217 membres que compte l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).
Néanmoins, Chahed pourrait rencontrer des difficultés à faire adopter ses réformes douloureuses indispensables face à une opposition vive dirigée contre lui par un front comprenant les syndicats, le président et Nidaa Tounes.
D’ores et déjà, la semaine dernière, l’UGTT a annoncé la couleur en décrétant l’organisation d’une grève générale dans le secteur public, le 24 octobre prochain, pour protester contre les projets de privatisation de Youssef Chahed.
Selon Lotfi Zitoun, le conseiller politique du président d’Ennahdha, «les prises de position du président ne feront qu’aggraver encore plus la crise. (…) Nous, à Ennahdha, nous nous employons à maintenir la stabilité et à établir un dialogue qui engagera tous les partenaires pour sortir le pays de la crise.»
En ayant tenu plus de deux années à la direction des affaires du pays, Youssef Chahed est devenu le chef de gouvernement qui a exercé la primature la plus longue depuis la révolution démocratique du Printemps arabe, en 2011. M. Chahed a recueilli assez d’appui au sein de l’ARP pour parer à un éventuel vote de défiance parlementaire, comptant en cela sur le soutien d’Ennahdha et d’un certain nombre de députés nidaïstes réfractaires.
Depuis le 14 janvier 2011, les neuf gouvernements qui se sont succédé à la tête de la Tunisie n’ont pas réussi à résoudre les problèmes du pays, notamment ceux des taux élevés de l’inflation et du chômage, et l’impatience des créanciers étrangers – le FMI, par exemple –, qui ont jusqu’ici maintenu le pays à flot.
Texte traduit de l’anglais par Marwan Chahla
Economie : Béji Caïd Essebsi et l’expertise des figures de l’ancien régime
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