Gaza, théâtre de l’humanité, de la Nakba au Sumud  

«Rien de nouveau sous le soleil» : le communiqué de Hamas du 3 octobre 2025, en réponse au plan du président américain Donald Trump, illustre cette fatalité. Promesses, trêves, ruptures. Mais derrière les mots de politique et de diplomatie, c’est toute la condition humaine qui se joue à Gaza : deuil impossible, fraternité assassinée, langage épuisé. 

Manel Albouchi

Dans nos quartiers, le feuilleton commence toujours par la fenêtre du voisin : on observe, on commente, on s’indigne. À la télévision, ce sont les interminables feuilletons turcs où se rejouent les mêmes intrigues : une promesse, une trahison, une réconciliation manquée. 

Le 3 octobre 2025, c’est Gaza qui a livré son nouvel épisode : un communiqué de Hamas en réponse au plan de Donald Trump. Un texte qui dit à la fois «oui» et «non» : oui à la libération des otages, oui à une gestion technocratique de Gaza, mais non à toute imposition extérieure sur l’avenir du peuple palestinien. Une ouverture qui n’ouvre rien, une concession qui garde intact le fond du drame. 

Le texte a été accueilli avec prudence. Dans les rues de Gaza comme dans les capitales occidentales, chacun a retenu son souffle. Mais, au fond, tous savent que cette séquence n’est qu’un nouvel épisode d’un feuilleton que l’on connaît trop bien : annonce, espoir, rupture. 

Le monde rivé sur Gaza 

L’opinion publique mondiale a suivi ces derniers jours la Global Flottilla Sumoud, partie d’Espagne, d’Italie et de Tunisie pour briser symboliquement le blocus et acheminer une aide humanitaire. Les images des bateaux fragiles, porteurs d’un espoir disproportionné face à la puissance militaire israélienne, ont fait le tour du monde. 

Comme lors de chaque crise à Gaza, le globe entier a fixé ses yeux sur ce territoire minuscule, devenu le théâtre d’un drame planétaire. Le spectateur, fasciné et impuissant, s’indigne, commente, partage. Gaza n’est plus seulement une guerre locale : c’est un miroir où se reflète l’humanité – ou l’inhumanité – entière. 

De la Nakba de 1948 aux bombardements récents, Gaza condense tout le drame humain. Ici, le deuil est permanent, la fraternité est brisée, la médecine est impuissante, et les familles portent sur leurs visages la fatigue d’une perte sans fin. 

Chaque guerre a laissé les mêmes images : hôpitaux débordés, écoles détruites, enfants arrachés à la vie. Gaza est devenue le condensé d’une souffrance universelle, une scène où se rejouent sans cesse les mêmes rôles : victime, bourreau, sauveur, spectateur. 

La répétition sans fin 

Freud parlait de compulsion de répétition : la blessure traumatique qui revient inlassablement. Gaza est enfermée dans ce cercle : promesse, trêve, rupture, violence. 

La théorie des jeux (John Nash) montre que deux adversaires peuvent avoir tout intérêt à coopérer, mais qu’ils choisissent souvent la défiance par peur d’être trahis. 

C’est ce qu’on appelle un équilibre de Nash : chacun croit protéger son intérêt immédiat en refusant la coopération, mais le résultat final est pire pour les deux. 

Ici la logique est flagrante : 

– Israël, obsédé par la sécurité, choisit la force pour ne pas paraître faible. 

– Hamas, obsédé par la dignité et la survie, choisit la résistance armée pour ne pas être effacé. 

Résultat : tout le monde perd. Gaza perd des vies humaines et des générations traumatisées. Israël perd la paix intérieure et l’image publique qui lui garantissait jadis une soi-disant légitimité morale. 

Le langage épuisé 

Depuis Oslo (1993) jusqu’aux multiples conférences internationales, les mêmes formules reviennent : «cessez-le-feu», «trêve humanitaire», «solution à deux États». À force d’être répétées, elles se sont vidées de leur force. Le langage diplomatique recouvre l’indicible sans parvenir à le nommer. 

À Gaza, les mots sont devenus des coquilles vides, incapables de porter le poids de l’horreur. 

Et pourtant, au milieu des ruines, persiste un souffle. Ce souffle s’appelle Sumoud : la résilience. 

Il prend la forme d’une mère qui refait du pain dans une maison détruite. 

Il prend la voix d’un enfant qui retourne à l’école dans une salle éventrée. 

Il prend le visage d’un peuple qui, malgré tout, répète : «Nous existons.» 

Sumoud n’est pas un messie au sens religieux. C’est une force messianique silencieuse, collective, qui refuse l’effacement. Chaque humiliation la renforce. Chaque ruine la ravive. 

Du nouveau ? 

«Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera», dit encore l’Ecclésiaste. Gaza illustre cette vérité universelle. Le feuilleton continue, identique et insupportable. 

Mais Gaza n’est pas seulement répétition. Elle est aussi mémoire et avertissement. Elle rappelle que tant que l’Autre ne sera pas reconnu, l’histoire de Caïn et Abel se rejouera. 

Pour Edward Saïd, la Palestine n’est pas seulement une terre disputée, mais une question existentielle : un peuple qui réclame d’être reconnu dans son humanité. 

Et aucun conflit «intraitable» ne peut être résolu si l’on nie les besoins fondamentaux : l’identité, la sécurité, la reconnaissance de la souffrance. 

Tant que ces trois besoins resteront bafoués, Sumoud persistera, dans l’attente d’un scénario nouveau. 

* Psychothérapeute, psychanalyste.  

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