Donald Trump veut entraîner l’armée américaine dans ses délires

Depuis cet été, le président américain Donald Trump recourt de plus en plus fréquemment au déploiement de la Garde nationale dans les quatre coins du pays pour réprimer des manifestations dans certains cas ou bien dans d’autres pour lutter contre la criminalité comme il le revendique. Cela a commencé en juin à Los Angeles puis à la fin de l’été dans la capitale fédérale Washington et plus récemment à Chicago, à Portland dans l’Oregon et ailleurs. Ce recours excessif à la Garde nationale a entraîné de nombreux bras-de-fer aussi bien avec des gouverneurs de certains États qu’avec des juges fédéraux. Et comme si tout cela ne suffisait pas, Trump a convoqué les généreux et les amiraux de l’armée américaine pour les rallier à sa cause. Et là, ça craint…

Imed Bahri

C’est en Don Quichotte flanqué de son fidèle Sancho Panza, en l’occurrence le secrétaire d’État à la Guerre (la nouvelle dénomination du département de la Défense) Pete Hegseth, que le président américain s’est adressé aux hauts gradés de l’armée dans une réunion aux airs d’un meeting du mouvement Maga où il n’a pas hésité à employer un vocabulaire guerrier et même à utiliser des termes grossiers.

Dans une analyse publiée sur le site de CNN, Aaron Blake est revenu sur ces épisodes successifs, sur le contenu de la réunion avec les généraux et sur l’atmosphère qui prévaut dans les rapports entre l’actuel pouvoir américain et l’armée US. 

Pression politique sur les dirigeants militaires

Blake a commencé par un épisode révélateur de cette atmosphère. Le mois dernier, lorsqu’un juge fédéral a réprimandé l’administration Trump pour son recours à la Garde nationale et aux Marines à Los Angeles durant le mois de juin, il a inclus une note de bas de page peu remarquée mais choquante.

Après que le major-général de la Garde nationale Scott Sherman se soit opposé en privé à la démonstration de force prévue par l’administration dans le parc MacArthur, la note de bas de page indiquait que Gregory Bovino, haut responsable du Département de la Sécurité intérieure, avait entrepris de «mettre en doute la loyauté de Sherman envers le pays».

Sherman est un vétéran de la guerre d’Irak comptant 30 ans de service et voilà qu’une personne nommée politiquement suggère qu’il a été déloyal en remettant en question les plans de l’administration.

Cet épisode illustre parfaitement la pression politique à laquelle sont confrontés les dirigeants militaires alors que Trump poursuit le déploiement de l’armée sur le sol américain, affirmant même que les villes pourraient servir de «terrain d’entraînement» pour les troupes, comme il l’a fait mardi 30 septembre 2025 lors de son discours devant des généraux et des amiraux à Quantico, en Virginie, franchissant ainsi une nouvelle étape.

Une militarisation constitutionnellement corrosive

Les dirigeants militaires se livrent-ils sans réserve à un pari extraordinaire dont les critiques – y compris d’anciens hauts responsables militaires du premier mandat de Trump – craignent qu’il puisse aboutir à une militarisation constitutionnellement corrosive du pays ?

De nombreux Américains semblent même exprimer des réserves quant à cette possibilité. Un sondage New York Times-Siena College a montré que davantage d’électeurs inscrits craignent que Trump n’utilise les troupes pour intimider ses adversaires politiques plus qu’ils ne craignent une montée en flèche de la criminalité sans la présence de la garde.

Ce qui nous amène à la scène de Quantico. De nombreuses questions ont été soulevées concernant la convocation, très inhabituelle, par le secrétaire à la Défense Hegseth, de généraux et d’amiraux du monde entier pour une réunion exceptionnelle. Pour Trump, au moins, l’objectif semblait être de rallier tout ce beau monde à son programme politique.

Dans un discours long et souvent décousu devant les responsables militaires, le chef de la Maison Blanche a débité une profusion de répliques qui auraient été bien plus appropriées pour un meeting de campagne alors même que les responsables restaient silencieux conformément au protocole. Il a approfondi ses affirmations souvent exagérées selon lesquelles il aurait mis fin à plus d’une demi-douzaine de guerres et ses espoirs de se voir décerner prix Nobel de la paix. Le président a vanté ses propres réussites et attaqué à plusieurs reprises les Démocrates. Rien de tout cela n’était pertinent pour s’adresser à un public censé être apolitique. Mais le plus frappant et le plus significatif, c’est que Trump a semblé chercher à rallier les généraux et les amiraux à sa répression intérieure.

La lutte contre «l’ennemi de l’intérieur»

Avec Hegseth, il a tenté de les monter contre les Démocrates, le monde universitaire, les supposés radicaux de gauche et les médias.

Trump a suggéré que les généraux et les amiraux seraient essentiels à sa lutte contre «l’ennemi de l’intérieur» et pourraient utiliser le pays comme un «terrain d’entraînement»«Nous subissons une invasion de l’intérieur. Ce n’est pas différent d’un ennemi étranger mais c’est plus difficile à bien des égards car ils ne portent pas d’uniformes», a-t-il déclaré. 

À un autre moment, il a lancé: «J’ai dit à Pete que nous devrions utiliser certaines de ces villes dangereuses comme terrains d’entraînement pour notre armée – la Garde nationale, certes. Car nous allons bientôt attaquer Chicago».

Autre extrait du discours dans le même registre: «San Francisco, Chicago, New York, Los Angeles. Ce sont des endroits très dangereux. Et nous allons les redresser un par un. Cela va être un enjeu majeur pour certaines personnes présentes dans cette salle. C’est aussi une guerre. C’est une guerre intérieure».

Trump, qui se nourrit souvent de l’énergie de la foule et de ses interactions avec elle, a tenté à plusieurs reprises d’impliquer davantage les généraux et les amiraux, apparemment en quête de soutien, ou du moins de quelque chose qu’il pourrait faire passer pour tel.

À un moment, il leur a demandé s’ils acceptaient son attitude envers les manifestants du type «Ils crachent, nous frappons»

À un autre moment, il leur a demandé de lever la main s’ils pensaient que le président du Comité des chefs d’état-major interarmées, Dan Caine, était «incompétent». Comme ils n’ont pas levé la main, Trump a interprété cela comme une approbation de son choix.

Les remarques de Trump ont suivi un discours de Hegseth, plus axé sur sa philosophie militaire. Il a profité de son intervention pour souligner l’importance des combattants aguerris et de l’amélioration des normes de forme physique et d’apparence au sein du ministère de la Défense.

Toutefois, la présentation de Hegseth était également hautement politique. En plus de tourner en dérision à plusieurs reprises le prétendu wokisme de l’armée et de cibler les personnes transgenres («des mecs en robe», selon Hegseth), il a cherché à diviser les dirigeants militaires et ce qu’il considère comme des institutions de gauche.

«Voyez-vous, les salles de réunion des professeurs de l’Ivy League (les grandes universités de la côte est, ndlr) ne nous comprendront jamais, et ce n’est pas grave, car ils ne pourraient jamais faire ce que vous faites», a déclaré Hegseth. Il s’en est pris également aux médias. 

Trump a également cherché à opposer les généraux et les amiraux aux Démocrates. «Les démocrates ne vous ont pas traités avec respect». Le message est clair: nous sommes vos véritables alliés politiques. Nous sommes de votre côté et eux non.

Il s’agissait d’une dégradation remarquable des frontières entre l’armée et la politique et d’un exemple inquiétant pour ceux qui craignent les tentatives de Trump de politiser l’armée et ce que cela pourrait laisser présager.

Trump veut déployer la Garde nationale dans les villes

Les Américains ne semblent pas du même avis que Trump sur ce point, à en juger non seulement par le sondage Times-Siena mais aussi par d’autres enquêtes. Les Américains, dans leur ensemble, n’apprécient pas l’idée du déploiement la Garde nationale dans leurs rues. Sauf que Trump insiste sur ce déploiement et semble vouloir s’assurer qu’il n’y ait plus de cas comme celui du major-général Sherman.

«Si vous voulez applaudir, applaudissez», a lancé Trump au début de son discours en remarquant le silence des généraux et des amiraux. Il a ensuite ajouté sur le ton de la plaisanterie : «Si ce que je dis ne vous plaît pas, vous pouvez quitter la salle. Bien sûr, votre grade en dépend. Votre avenir en dépend !». Si c’est une plaisanterie, elle est vraiment déplacée.  

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