La Tunisienne Khedija El-Madani, présidente de l’Association «Avec», fait partie des 5 femmes en lice pour le Prix «Women for Change» d’Orange. Portrait.
Par Zohra Abid
Le compte à rebours a commencé et il ne reste que quelques jours pour soutenir Khedija El-Madani et son projet dédié à l’égalité des chances entre femmes et hommes, en lice pour le prix « Women for Change. Pour augmenter ses chances, il suffit d’aller sur le site de la Fondation Orange et de voter pour elle par un simple clic. Le vote, qui a commencé le 15 septembre, se poursuivra jusqu’au 15 octobre courant. Alors, il n’y a plus de temps à perdre.
Tout ce qu’on souhaite à Khedija El-Madani, c’est que son projet, qui consiste à installer un réseau de sentinelles de l’égalité des chances sur l’ensemble du territoire tunisien, soit le meilleur et que sa promotrice reçoive le prix à Deauville, en France, lors de la finale, prévue du 14 au 16 octobre courant. Croisons donc les doigts pour la candidate tunisienne. Car les 4 autres candidates, Lily Foued Attallah d’Egypte, Rocio Nieto d’Espagne, Nour Al Emam de Jordanie et Nora Belahcen Fitzgerald du Maroc ne manquent pas d’atouts et bénéficient, elles aussi, d’un grand soutien de leurs compatriotes et la course s’annonce serrée.
La cause en vaut la peine
Si ce petit bout de femme (maman d’une fille unique qui a fait des études d’anthropologie), à la fois avocate et consultante-chercheuse, a été choisie pour représenter la Tunisie, c’est parce qu’elle s’est toujours illustrée par son engagement envers la cause de la femme.
Pour Asma Ennaifer, directrice des relations extérieures, de la RSE et du mécénat à Orange Tunisie, le choix de Me El-Madani a été dicté par des considérations objectives.
«Nous sommes engagés, depuis notre lancement en 2010, en tant qu’opérateur responsable et solidaire, avec l’appui de la Fondation Orange, à oeuvrer pour la dignité et à lutter contre la pauvreté et toutes les formes d’exclusion, dont celle, très importante, cruciale même à mes yeux, de la femme, et dans tous les domaines : l’éducation, l’économie, l’accès aux soins… C’est donc finalement et tout naturellement que notre choix s’est porté sur Khedija El-Madani», a-t-elle expliqué.
Nous avons rencontré Me El-Madani à son cabinet, à la rue d’Egypte, à Tunis entre 2 rendez-vous. Les tableaux de peinture accrochés sur les murs en disent long sur la sensibilité artistique de cette femme qui vient de perdre, il y a 6 mois, son mari, artiste plasticien.
Elle qui croit à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes et qui l’incarne elle-même en exerçant un métier de conviction et de talent, a aujourd’hui un seul objectif, c’est de faire en sorte que la Tunisienne ne soit plus considérée comme une citoyenne de seconde zone. Pour cela, elle doit bénéficier, en droit et en pratique, du même statut que l’homme. Sur ce sujet, qui lui tient tant à coeur, l’avocate est d’ailleurs intarissable.
La chance de naître
Les changements survenus dans la société tunisienne au lendemain de la révolution ont été au détriment de la femme et les menaces contre ses droits durement acquis se multiplient. Aussi l’avocate ne cache-t-elle pas sa crainte et se dit prête au combat pour sauver ces acquis et les renforcer. «Je suis en fin de carrière, mon avenir est derrière moi, mais le devenir de la femme tunisienne m’inquiète et m’interpelle. Il serait criminel de ne pas bouger dans le bons sens», dit-elle. Elle ajoute: «Pour ma part, j’ai eu la chance d’être bien née et d’avoir vécu dans un cadre familial où les filles ont leur place». Me El-Madani se rappelle de son enfance : «Oui, j’ai eu la chance de naître dans une famille moderniste de Tunis. Ce n’était pas donné à tout le monde. Je suis l’aînée dans la famille. J’ai une sœur et 2 frères. Chez nous, les filles étaient plus gâtées que les garçons». L’avocate n’oublie pas de rendre hommage à son défunt papa, un ancien fonctionnaire des finances, qui lui a inculqué «les vraies valeurs de l’islam sans bigoterie». «J’ai fait mes études primaires et secondaires chez les Sœurs, avec une parenthèse de 3 ans, lorsque mon père a été muté à Hammamet. J’ai eu mon bac au Lycée Carnot de Tunis. Ensuite ma licence à la faculté de droit de Tunis. A Paris, je me suis inscrite au Conservatoire national des arts et métiers et j’ai pris comme option les assurances. C’était dans les années 1970», se souvient Khedija, qui a fait, entre-temps, un petit passage dans la société d’assurances Star avant d’opter pour une carrière d’avocate et de s’inscrire au barreau.
Détecter les cas d’inégalités et de discriminations, les signaler et intervenir pour y remédier.
Avoir côtoyé les grands
Le Certificat d’aptitude à la profession d’avocat (Capa) a fait le bonheur de Khedija. «Depuis l’enfance, je rêvais d’enfiler la robe d’avocat. Il faut dire que la chance était bien de mon côté. J’ai fait mon stage, notamment, avec Me Bellalouna, un ancien ténor du barreau, puis les 2 frères Caïd Essebsi (Beji, l’actuel président de la république, et Slaheddine, NDLR), mais le métier, je l’ai vraiment appris avec feu Tahar Lakhdhar, une référence, auquel je dois ma réussite», raconte l’avocate auprès de la cour de cassation.
Assoiffée de savoir, Me El-Madani, qui a enseigné également le commerce international à la faculté de Sfax, a voulu aller encore plus loin dans la réalisation de ses ambitions. Pour sertir davantage son CV et donner plus d’aura à sa carrière, elle a fait un master de théologie. «J’ai, aujourd’hui, ma propre lecture de la religion et une connaissance plus profonde de l’islam, le vrai et l’authentique, celui que m’ont inculquée mes parents. Mais ma vraie vocation, c’est le barreau», précise-t-elle.
Chercheur, spécialiste notamment du droit de la famille, Me El-Madani a senti, un peu tardivement, le besoin de s’impliquer dans la vie associative. «J’ai été la présidente de l’association Alliance des femmes juristes (AFJ) pendant 10 ans. En 1999, j’ai décidé de passer le témoin, car il fallait du sang neuf pour faire avancer les choses. En 2011, j’ai cofondé l’Association pour la vigilance et l’égalité des chances (Avec), en partenariat notamment avec le Centre de la femme arabe pour la formation et la recherche (Cawtar). Nous insistons sur les mots égalité et vigilance, qui résume bien le sens de notre combat pour préserver et renforcer les droits des femmes et faire échouer toute tentative pour revenir en arrière.»
Triste période
«Lorsque je vois, en cette triste période, des femmes appelant à la polygamie et manifestant contre la Cedaw, je ne peux que m’impliquer davantage dans ce combat», souligne encore Me El-Madani, pour qui «défendre la cause de la femme, c’est défendre aussi la causse de l’homme, car les deux vivent ensemble sous le même toit et doivent être convaincus que l’égalité des sexes leur permet d’évoluer ensemble et de trouver un équilibre propice à l’épanouissement».
C’est, bien sûr, dans le corps de la loi que cette égalité s’inscrit, mais pas seulement, car la loi n’est pas toujours appliquée et elle est même souvent violée, en Tunisie comme ailleurs, déplore Me El-Madani. Elle cite, à titre d’exemples, les prérogatives de la tutelle, la loi de 1993 concernant le voyage des enfants mineurs, l’ouverture des comptes bancaires et autres formalités relatives à la scolarité des enfants. «La femme est jusqu’à présent privée de ce droit et ceci est une atteinte à la loi», regrette-t-elle.
«Nous, les 3 femmes et 3 hommes membres de l’association, avons réalisé une enquête dans le Grand Tunis, y compris les quartiers populaires, ainsi que dans les régions de Tataouine, Kef et Monastir. Notre objectif c’est de détecter les cas d’inégalités et de discriminations, de les signaler et d’intervenir pour y remédier. Cette enquête exploratoire va nous permettre d’avoir une base de données sur le sujet et d’être en mesure, par la suite, de constituer une force de pression sur les décideurs», a encore indiqué la candidate au Prix «Women for Change», dont le combat, on l’a compris, est loin d’être terminé.
Une raison de plus pour soutenir sa candidature, car ce serait aussi un soutien pour ses idées et ses combats.
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