Jamal Khashoggi. Un nom sur toutes les lèvres partout dans le monde depuis trois semaines. Le journaliste saoudien est entré dans le bâtiment du consulat de son pays à Istanbul, le 2 octobre 2018, pour ne plus en ressortir. Qui est-il? D’où vient-il?
Par Chedly Mamoghli *
Hier encore seulement connu par les décideurs et les observateurs qui s’intéressent à la chose politique dans le Golfe et dans le Moyen-Orient, qui est Jamal Khashoggi ? Était-il réellement un dissident ou même un opposant comme le relayent maladroitement certains médias?
Un homme du sérail devenu trop bavard
Dans la célèbre émission politique de la BBC ‘‘HARDtalk’’ en date du 11 octobre, Madawi Al-Rasheed, académicienne et dissidente saoudienne à laquelle son pays a retiré la nationalité en 2005, qui vit aujourd’hui à Londres et exerce comme professeure au centre pour le Moyen-Orient de la London School of Economics and Political Science (LSE), a expliqué que M. Khashoggi n’a jamais été un dissident ou une figure de l’opposition mais que c’était un homme qui a toujours évolué dans les sphères du pouvoir saoudien, a passé l’ensemble de sa carrière au sein des médias du royaume et a toujours été très proche du prince Turki Al-Faisal qui a dirigé les services de renseignements saoudiens de 1979 au 1er septembre 2001 puis il a été ambassadeur du royaume successivement à Londres et à Washington où Jamal Khashoggi a été son conseiller.
Ce n’est qu’avec l’arrivée au pouvoir de Mohammed Ben Salman dit MBS que les choses ont changé. À l’arrivée du jeune prince connu par son autoritarisme et sa brutalité, des journalistes saoudiens qui n’étaient pas des opposants mais qui osaient laisser entrevoir la moindre divergence de vue commençaient à être arrêtés.
Egalement, les amis et anciens protecteurs de M. Khashoggi au sein de la famille royale furent éloignés des postes à responsabilité et ne faisaient pas partie du cercle de MBS.
À l’été 2017, un éditorial de M. Khashoggi a été retiré d’un quotidien saoudien. C’est à cette date que le journaliste a fait ses valises et est allé s’installer à Whashington. Grâce à ses relations dans la capitale fédérale américaine, les colonnes du ‘‘Washington Post’’ lui furent ouvertes et c’est à ce moment-là qu’il a commencé à critiquer la gouvernance et les méthodes de MBS qui se rapprochaient plus du banditisme que de l’exercice du pouvoir.
Celui qui a toujours été l’homme du sérail se métamorphose en pourfendeur du fils préféré du roi Salman. M. Khashoggi devint donc un traître aux yeux de Riyad. Sans oublier que M. Khashoggi en sa qualité d’ancien homme du sérail connaissait beaucoup de choses.
Comble de la provocation, Jamal n’hésitera pas à soutenir le Qatar contre l’Arabie saoudite de MBS dans la crise qui oppose les deux pétromonarchies depuis juin 2017.
Un homme de l’establishment de Djeddah
Bien que né à Médine, Jamal Khashoggi appartenait à une puissante et riche famille de Djeddah, une famille bien introduite dans les arcanes du pouvoir saoudien depuis la fondation du royaume. Son grand-père, Mohamed, fut le médecin personnel du père-fondateur du royaume Abdelaziz Al-Saoud. Son oncle Adnan Khashoggi fut l’intermédiaire le plus célèbre, le plus puissant et le plus riche du XXe siècle notamment dans les ventes d’armes. Il fut la première fortune mondiale à l’aube des années 1980 avant qu’une avalanche de déconvenues ne s’abatte sur lui et ne lui fit perdre son trône de roi des intermédiaires.
Le cousin de Jamal, fils de sa tante Samira Khashoggi, était Dodi Al-Fayed – le fils du milliardaire égyptien Mohamed Al-Fayed, décédé dans un accident mortel dans le tunnel sous le pont de l’Alma en compagnie de la princesse Diana, le 31 juillet 1997 –.
Tragique destinée que celle de ces deux cousins qui périrent à 21 ans d’intervalle dans des conditions dramatiques. Il y a comme une malédiction qui vint arrêter brusquement la trajectoire de ces deux personnages, certes différents, mais notoires dans leurs microcosmes respectifs, celui de la Jet set pour Dodi et celui du sérail politique saoudien pour Jamal.
Jamal était aussi comme le relevait Georges Malbrunot dans l’article qu’il lui a consacré dans ‘‘Le Figaro’’ de vendredi 19 octobre, l’ami d’enfance d’Oussama Ben Laden, rejeton d’une puissante famille de Djeddah qui a mal tourné. Un ami qui est allé le voir à trois reprises à Khartoum dans le milieu des années 1990 quand ce dernier avait élu domicile dans la capitale soudanaise sous la protection bienveillante de Omar El-Béchir, l’inoxydable maître du régime islamo-militariste soudanais.
D’ailleurs, c’est Jamal qui fut sollicité par la famille Ben Laden afin de convaincre Oussama de raccrocher sa carrière djihadiste et de rentrer en Arabie mais en vain. Jamal éprouvera toute sa vie de l’amitié pour Oussama même s’il n’approuvait pas le terrorisme de son ami.
Il ne l’approuvait pas dans les années 1990 et 2000 mais dans les années 1970 et 1980 quand il fut envoyé par les Américains et les services saoudiens, dirigés à l’époque par Turki Al-Faisal, pour combattre les Soviétiques en Afghanistan, Jamal s’enthousiasmait et son ami lui avait donné une interview ce qui était quelque chose pour un jeune journaliste. De grands journalistes faisaient des mains et des pieds et n’y parvenaient pas.
Suite au décès du chef d’Al Qaïda, le 2 mai 2011, Jamal tweetait: «J’ai succombé en pleurant, le cœur brisé par toi Abou Abdallah. Tu étais magnifique et plein de bravoure aux beaux jours de l’Afghanistan, avant que tu succombes à la haine et à la passion».
Jamal Khashoggi s’était toujours illustré par ses amitiés fréristes (Frères Musulmans) qu’il défendait depuis les années 1970 au nom des libertés et de la démocratie et avec l’avènement des printemps arabes en 2011, il les avait défendus bec et ongles dans ses articles et sur Twitter que ce soit les Frères Musulmans égyptiens ou tunisiens.
Une amitié l’avait également lié à Erdogan pour lequel il avait toujours pris parti et dont il estimait que c’était un modèle pour les gouvernants des pays arabes qui ont connu les soulèvements de 2011. Cependant, il n’a jamais appelé à la moindre révolte dans son pays.
Pour l’Arabie, il poussait vers un assouplissement du régime mais pour le maintien des Saoud. Beaucoup y voyait un deux poids, deux mesures comme si certains régimes autoritaires devaient tomber et d’autres devaient se maintenir. Certains trouvaient sa thèse démagogique et ridicule. Lui, trouvait que c’était logique.
Ce fut également un proche du prince et homme d’affaires Al-Waleed Bin Talal. Ce dernier avait confié à Jamal la tâche de mettre sur pied et de lancer sa nouvelle chaîne d’information Al Arab depuis Manama; toutefois et après seulement 24 heures d’émission, les autorités bahreïnies retirèrent la licence de diffusion à Al Arab sous pression du puissant voisin saoudien.
Tel était le destin de ce garçon de bonne famille saoudien devenu sur le tard un trublion et qui l’a payé de sa vie.
* Juriste.
Interview de Madawi Al-Rasheed sur la BBC.
Bloc-notes : Après l’affaire Khashoggi, en finir avec l’islam voyou
Donnez votre avis