Pourquoi le jury des JCC 2025 a boycotté la cérémonie de clôture

La présidente du Jury des 36e Journées cinématographiques de Carthage (JCC 2025), la réalisatrice palestinienne Najwa Najjar, a publié sur sa page Facebook, le 21 décembre 2025, une «Déclaration du Grand Jury» que nous reproduisons ci-dessous où elle explique pourquoi, elle et les autres membres du jury, ont boycotté, ce soir-là, la cérémonie de clôture et n’ont pas assisté à la remise des prix. Une première dans l’histoire du plus vieux festival de cinéma au sud de la Méditerranée qui en dit long sur l’esprit d’amateurisme et de bricolage qui a prévalu lors de la dernière session. (Najwa Njjar, assise, entourée des autres membres du jury).

Ce fut un grand honneur d’être parmi vous en tant que cinéaste palestinien et Président du jury international du Festival de Cinéma de Carthage. Le directeur du festival, M. Mohamed Tarek Ben Chaâbane, et son équipe ont réuni une sélection remarquablement pensée de 14 films issus d’Afrique et du monde arabe. En ces temps particulièrement sombres — marqués par un génocide en Palestine et par d’immenses souffrances à travers la région — nous avons été rappelés au fait que Carthage a toujours été bien plus qu’un festival. Il est, et a toujours été, un espace de liberté de pensée, d’expression et de conscience.

Notre jury international a visionné les films pendant cinq jours avec le plus grand soin et un profond sens des responsabilités. Nous avons longuement débattu, réfléchi et confronté nos points de vue, nos délibérations finales s’étant étendues sur plus de six heures. Chacun d’entre nous a pris sur son temps personnel, professionnel et familial — cette mission étant exercée à titre bénévole, précision nécessaire au regard de certaines rumeurs — afin d’honorer le cinéma et de juger les œuvres avec rigueur et équité. Nous avons rédigé collectivement des motivations claires expliquant les choix des films primés et avons remis la liste finale au JCC la veille de la cérémonie de clôture.

Le samedi matin, nous avons reçu un appel du JCC nous informant que les films lauréats seraient annoncés et présentés par des personnes autres que les membres du jury. Surpris — cette pratique étant très inhabituelle dans les festivals internationaux — nous avons refusé cette proposition.

*** Il convient de préciser que, tout au long de ce processus, le directeur des JCC a joué un rôle de relais et de soutien, transmettant nos préoccupations de bonne foi et maintenant le dialogue avec nous. Les décisions finales concernant le format de la cérémonie ont toutefois été prises à un niveau institutionnel et administratif dépassant l’autorité directe et la seule discrétion du festival.***

Nous avons alors proposé une solution alternative : que les parties concernées puissent prendre connaissance à l’avance de nos motivations écrites et que, si l’enjeu était de faire monter des personnalités sur scène, le jury présente les motivations tandis que les invités remettraient les prix.

Nos préoccupations ont été relayées par le JCC, et nous avons été convoqués à une répétition à 15h30 à l’Opéra. Il nous a été explicitement indiqué que nous étions libres de présenter les motivations et les prix comme nous l’entendions. Après trois heures de répétitions avec l’ensemble des jurys, nous sommes retournés à l’hôtel pour nous préparer à la soirée.

À 19h30, nous avons reçu un nouvel appel nous informant que nous revenions au point de départ : les prix seraient à nouveau remis par d’autres personnes que le jury, et nos motivations ne seraient pas lues. Nous avons alors indiqué qu’une telle décision pourrait entraîner notre absence et demandé que notre position soit transmise aux parties concernées dans l’espoir de parvenir à un compromis. Un nouvel appel, quelques minutes plus tard, nous a confirmé qu’aucun changement n’aurait lieu.

Malgré cela, nous sommes restés dans le hall de l’hôtel jusqu’à 21h15, espérant qu’un dialogue restait possible. Hélas, aucun autre appel n’est arrivé.

Une décision extrêmement difficile a alors été prise à l’unanimité par le jury. Par respect pour notre rôle, notre travail et la responsabilité éthique qui nous était confiée, nous avons choisi de ne pas assister à la cérémonie. Cette décision n’a pas été prise à la légère, mais par principe. Un jury international n’est pas une entité symbolique : il est au cœur de l’intégrité de tout festival. Réduire sa voix au silence revient à fragiliser les fondements mêmes de la liberté cinématographique et de la confiance que des festivals comme Carthage ont toujours incarnées.

Note de la rédaction : On comprend à la lecture de cette note explicative que la décision d’écarter les membres du jury de la cérémonie de remise des prix aux lauréats n’a pas été prise par le directeur du festival qui a fonctionné ici comme simple courroie de transmission des desideratas des responsables du ministère des Affaires culturelles, qui ont la haute main, depuis toujours, sur cet événement depuis sa création. Et ces gens-là, on le sait, sont des bureaucrates endurcis qui sont animés par des considérations qui n’ont rien à voir avec l’art ou la culture. Tant que les JCC ne se libèreront pas de l’emprise de autorités publiques, ils resteront une manifestation vieillotte, morne et sujette au bricolage bureaucratique.

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