Avec le Nobel de la Paix attribué au Quartet du dialogue national, la Tunisie a montré qu’elle est capable du meilleur, même si elle doit, souvent, faire face au pire.
Par Dr Mohamed Sahbi Basly *
Il y a des jours dans la vie d’un peuple qui sont à marquer d’une pierre blanche. Celui du vendredi dernier, qui a vu l’annonce de l’attribution du Prix Nobel de la Paix au Quartet du Dialogue national, en est certainement un dans la vie des Tunisiens.
La Tunisie n’a pas fini d’étonner et de séduire. Elle est insolente par son histoire et insouciante par sa géographie. C’est inscrit dans ses gênes.
Sacrée Tunisie, elle l’a fait!
Avant-hier, vers 10h30, mon téléphone sonne et, au bout du fil, un ami d’Europe 1 me demande si j’étais au courant de la nouvelle et si cela me faisait plaisir? J’étais encore perplexe, ne sachant pas de quoi il parlait, lorsqu’il a rajouté: «La Tunisie a reçu le prix Nobel de la Paix… Tu te rends compte? Peux-tu me donner le numéro de téléphone de Houcine Abassi, je souhaiterai le féliciter et lui faire une interview!»
Depuis, je n’ai pas arrêté de suivre les nouvelles, alors que des SMS pleuvaient de Madrid, de Londres, de Paris, de Chine, d’Amérique, et bien-sûr de toute la Tunisie. Sacrée Tunisie, elle l’a fait! Oui, il y a des jours où on est fier d’être Tunisien.
J’ai alors essayé de me remémorer les dates où collectivement on a pu éprouver ce sentiment général de fierté. Car il nous arrive souvent, nous autres commis de l’Etat, d’éprouver de pareils sentiments de fierté dans l’exercice de nos fonctions, comme il nous arrive également d’avoir de douloureuses déceptions. Cependant, on vit cela dans notre cercle restreint et le plus souvent avec la solitude du pouvoir ou du devoir. Mais vivre collectivement et au grand jour cette liesse et cette fierté d’appartenir à un Etat-nation, croyez-moi, cela n’arrive que rarement dans la vie d’un haut fonctionnaire.
En rentrant chez moi, j’ai essayé de me remémorer des événements ou j’ai éprouvé un pareil sentiment partagé par toute la population tunisienne, ou du moins par une large partie d’entre elle, c’est alors que je me suis souvenu de 3 événements majeurs…
La présidente du comité du Nobel de la Paix annonçant l’attribution du prix 2015 au Quartet du dialogue national en Tunisie.
La preuve par trois
Le premier remonte à octobre 1985, lorsque, suite à l’agression israélienne contre le quartier général de L’OLP, à Hammam Chott, au sud de Tunis, le président Bourguiba a déposé une plainte auprès du conseil de sécurité de l’Onu contre Israël, et menacé de rompre les relations diplomatiques avec les États-Unis si ce pays utilisait son véto contre une résolution condamnant l’agression israélienne contre la Tunisie. Finalement, les États Unis se sont abstenus de voter cette résolution, qui a finalement été adoptée.
Le deuxième remonte au 7 novembre 1987, lorsque la succession de Bourguiba a eu lieu – quelle qu’en soit la manière, dénigrée après la chute de Ben Ali, le 14 janvier 2011, par cette même classe politique qui s’était abstenue de tout commentaire pendant les 23 années de son règne – de manière pacifique et civilisée.
A l’époque, on a montré au monde entier qu’un changement politique – appelons-le coup d’Etat – pouvait avoir lieu dans un pays arabe et/ou du tiers monde, sans violence ni effusion de sang. Les Tunisiens étaient alors sortis dans la rue pour manifester leur joie et leur soulagement de voir un leader national, qu’ils ont toujours respecté, quitter la scène politique sans gros dégâts. Et ils ont continué leur vie de tous les jours, comme si de rien n’était, alors que les reporters étrangers étaient à la recherche d’un événement sensationnel à rapporter. En vain…
Le troisième moment historique dont les Tunisiens sont en droit d’être fiers, c’est le couronnement du processus de transition démocratique par les élections législatives et présidentielles de novembre et décembre 2014, les premières élections libres et démocratiques depuis l’indépendance du pays, qui ont amené au Palais de Carthage Béji Caïd Essebsi, président de la république et de tous les Tunisiens.
L’espoir est toujours permis
C’est cela la Tunisie, un pays capable du meilleur, même s’il doit, souvent, faire face au pire, comme lors des assassinats des dirigeants de gauche Chokri Belaid et Mohamed Brahmi et des attentats terroristes du Bardo et de Sousse.
Aujourd’hui, je suis fier de ma Tunisie qui, malgré les divergences qui divisent encore sa classe politique ou ses graves difficultés économiques du moment, a mérité, vendredi, son surnom de «pays du jasmin», où il fait toujours bon vivre et où l’espoir est toujours permis.
Parions que ce Prix Nobel de la Paix redonnera de l’énergie aux Tunisiens pour s’atteler ensemble à parfaire leur édifice démocratique, qui est l’affaire de tous et non l’apanage d’une minorité d’acteurs politiques qui essayent de le confisquer et d’en faire un fonds de commerce.
Ce prix Nobel de la Paix devrait être dédié aux jeunes tunisiens qui ont perdu espoir en leur révolution et qui, privés d’avenir, continuent de traverser la Méditerranée en quête d’une vie meilleure ou de sacrifier leur vie dans de vains combats en terres étrangères!
* Ambassadeur de Tunisie.
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