‘‘La voie normale’’, un documentaire tunisien réalisé par Erige Sehiri et produit par Dora Bouchoucha, vient de sortir dans les salles de cinéma tunisiennes, il jette un regard sombre sur les conditions de travail des employés de la Société nationale des chemins de fer tunisiens (SNCFT).
Par Fawz Ben Ali
‘‘La voie normale’’ est le premier long-métrage de la jeune cinéaste Erige Sehiri, ayant bénéficié du programme de soutien de la section «Takmil» aux Journées cinématographiques de Carthage (JCC 2018).
Erige Sehiri et les protagonistes du film.
Depuis, le film a été sélectionné dans plusieurs festivals internationaux, et a fait sa première mondiale au Festival international du film documentaire d’Amsterdam (IDFA), récompensé ensuite du Prix du public au Festival «Filmer le travail» de Poitiers, ainsi que de la Mention du jury au Festival du Cinéma méditerranéen de Montpellier.
Dans le quotidien des cheminots
Le film est sorti dans les salles tunisiennes à partir du 27 mars 2019 et risque de révolutionner la SNCFT qui est pointée du doigt par les protagonistes, clairement responsable de la défaillance de ses locomotives et des conditions précaires dans lesquelles travaillent les conducteurs de train, notamment les employés de la Ligne 1 entre Bizerte et Jendouba, la première ligne ferroviaire à voie normale, c’est-à-dire, selon les normes internationales de l’écartement standard des rails, mais qui s’avère finalement être la moins entretenue de la SNCFT.
Ph. Erige Sehiri.
Le film va à la rencontre de la nouvelles génération de conducteurs de train: Ahmed, fils et petit-fils de cheminots, Afef l’une des premières femmes conductrices de train en Tunisie, Abee, jeune stagiaire passionné de rap, et Issam, écarté de son travail pour avoir dénoncé la corruption au sein de la société nationale.
Le film suit le parcours de ces 4 protagonistes, un quotidien pénible ponctué d’angoisse, et rythmé de violences sonore, physique et verbale dans les cabines de conduite.
Les trains de la mort
«On nous fait signer notre testament avant même de signer le contrat», révèle Ahmed, qui ne se voit pas finir ses jours dans ce «train de la mort», et qui, malgré son jeune âge, a été témoin de plusieurs accidents mortels sur les chemins de fer. En effet, la vie des passagers et des employés est constamment menacée, soulignent les protagonistes du film, face à l’indifférence totale des responsables.
Dans une projection de presse en présence de l’équipe du film, la réalisatrice a indiqué que le tournage a duré 5 ans durant lesquels la SNCFT n’a pas facilité la tâche car elle n’a autorisé la présence de la caméra qu’un mois seulement et a exigé 15.000 DT, a souligné la productrice Dora Bouchoucha.
Dans ce film situé dans l’envers du décor d’un métier où l’on risque sa vie et celle des autres, les images sont brutes, les séquences sont mouvementées et la caméra est rarement fixe; la nature du film oblige étant un road-movie en train, mais aussi les conditions du tournage qui n’étaient pas évidentes.
Ph. Malek El Khadhraoui.
Des portraits émouvants
Malgré l’aspect machinal qui règne sur l’ambiance générale du film, la réalisatrice a réussi à faire glisser des notes poétiques, car le film dégage aussi une vision très humaniste à travers les passions, les amours et les rêves des personnages. Des portraits émouvants d’hommes et de femmes cheminots aux destins croisés, dans un récit cinématographique sublimé par la bande originale signée le compositeur de musiques de films Omar Aloulou. «Ce film est comme un microcosme de la société tunisienne», dit Dora Bouchoucha.
Ce documentaire a le mérite de tirer la sonnette d’alarme sur de réels problèmes au sein de la SNCFT menaçant la vie des employés et des passagers. Il y aura ainsi sûrement un avant et un après ‘‘La voie normale’’, d’autant plus que la réalisatrice Erige Sehiri a annoncé qu’elle ne s’arrêtera pas là, mais continuera de mener son enquête à l’aide d’autres supports.
Ph. Malek El Khadhraoui.
* ‘‘La voie normale’’ est en ce moment dans les salles : Le Rio, l’ABC, Le Parnasse (centre-ville de Tunis), Amilcar (Manar 1), Ciné-Madart (Carthage), Pathé (Géant) et Le Métropole (Menzel Bourguiba).
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