Dans le texte reproduit ci-dessous, un groupe de binationaux tunisiens dénonce les «dérives du débat sur les binationaux et leur attachement à leur pays» et appellent toutes les personnes solidaires de l’immigration tunisienne, les binationaux, leurs familles, leurs enfants et proches, à lancer une campagne permanente pour rendre visible leur existence et leur fierté d’être Tunisiens et de revendiquer une double-appartenance.
Nous, citoyennes et citoyens tunisiens, attaché(e)s à notre pays, à son histoire et aux valeurs universelles et fier(e)s de nos doubles-appartenances, savons que derrière les attaques des binationaux ou les stigmatisations, en Europe, de l’immigration «illégale» ou «légale», se cache un projet discriminant, défendu par les forces réactionnaires les plus fermées à l’autre et au monde.
Fiers de notre citoyenneté, nous défendons une Deuxième République qui soit multiple et attachée à la conquête de nouveaux droits, à la multi-culturalité et à la fraternité avec tous les peuples de la terre.
L’immigration en Europe a toujours été la cible de campagnes politiques et médiatiques stigmatisantes, faisant des populations fragilisées (les «sans-papiers», les réfugiés, l’immigration légale, etc.) leur sujet de prédilection en les rendant responsables de tous les maux de la société. Les binationaux sont aujourd’hui, eux aussi visés. Mis dans la position du maillon faible, ils sont suspectés et assignés à répondre à la question- problématique pour certains- du choix exclusif et excluant de l’une ou de l’autre appartenance.
L’Ancienne constitution de 1959 stipulait que tout candidat à la Présidence de la République, devait être Tunisien de père et de mère sur trois générations. Elle interdisait également aux binationaux d’être membres fondateurs d’un parti politique.
Aucune démocratie ne peut justifier de telles restrictions. Elles sont discriminatoires et excluent, de fait, tout Tunisien binational, du champ de la politique et de la représentation.
Le droit des Tunisiens résidant à l’étranger (dont les binationaux), de choisir leurs représentants, durant les premières élections libres de 2011, a été considéré comme une réelle avancée démocratique. L’adoption quant à elle, par la Constituante, nouvellement élue avec une majorité islamiste, de l’article 8 de la loi organisant les pouvoirs publics, traduit un choix réactionnaire. En effet, ce dernier rejette les Tunisiens binationaux, leurs enfants et des générations entières de Tunisien(ne)s né(e)s de mariages mixtes. La Tunisie se prive de l’apport d’une partie de ses talents, présents dans toutes les parties du monde et dans tous les domines de la vie économique, sociale, culturelle, politique, universitaire et sportive…
Malgré le rôle économique et socioculturel important joué par l’immigration tunisienne et les compétences reconnues, beaucoup de nos représentants, dont ceux – progressistes ou pas d’ailleurs – censés représenter les Tunisiens à l’étranger, il est affligeant d’observer qu’il y a soit ceux qui se taisent et ceux qui approuvent honteusement ces dispositions discriminatoires ou les attaques en règle durant les campagnes électorales. Par leur positionnement ambigu sur les valeurs universelles, ils rejettent, de fait, une partie importante de la population tunisienne résidant à l’étranger, vivant de manière positive sa double appartenance et accordant un attachement profond à leur Tunisianité et aux avancées démocratiques en Tunisie.
Nous les Tunisiens vivant à l’étranger, binationaux ou non, nous affirmons:
- notre attachement aux principes d’égalité de traitement de tous les citoyens tunisiens;
- notre engagement pour une citoyenneté pleine et entière ici et là-bas ;
- notre refus de toutes les formes de discrimination et de déni des droits, à tout citoyen tunisien partout où il se trouve ;
- notre désaccord profond avec les arguments nationalistes, de gauche ou de droite, qui nient l’autre, mettent en doute notre amour de ce pays qui est aussi le nôtre et nous considèrent comme «la cinquième colonne» ou comme des agents de l’influence étrangère, ou encore comme des dangers pour la nation, sa culture et son «authenticité»;
- notre souhait de voir la défense de ces valeurs, relayée et assurée par les élu(e)s du peuple et principalement par les représentants des Tunisiens à l’étranger, choisi(e)s pour défendre nos intérêts moraux, politiques, culturels et spécifiques.
La démocratie que nous voulons en Tunisie ne peut pas être excluante. Il faut laisser au peuple le choix de ses représentants, aussi bien nationaux que binationaux, et être à l’écoute des acteurs de la société civile vivant à l’étranger, qui sont à même de défendre leurs intérêts et à promouvoir une autre image de l’immigration tunisienne à l’étranger.
Notre pays a été victime d’une dictature «nationale» et de prédateurs «nationaux». Avoir une seule nationalité, n’est pas une qualité en tant que telle, cela ne protège ni contre l’alignement sur les positions les plus réactionnaires, ni contre la corruption endémique, ni encore contre la vente de nos richesses aux capitaux internationaux ou l’acceptation de la corruption par les pétro-monarchies du golfe qui gangrène notre société et certaines élites politiques vendeurs d’illusions par un discours nationaliste creux.
Nous voulons, plus de droits pour tous les Tunisiens, que ce soit à l’étranger ou en Tunisie.
Nous n’acceptons aucune exclusion des binationaux et nous voulons la prise en compte de nos liens avec le pays, notre peuple, nos familles, nos frères et sœurs et la terre que nous aimons.
Il s’agit aussi par ce manifeste d’affirmer notre attachement à la déclaration universelle des droits de l’homme, en veillant à son application, dans les différentes propositions de lois qui nous concernent, en tant que partie intégrante du peuple tunisien, car les binationaux, sont avant tout une source d’enrichissement de notre pays, un pays de migration(s) et de civilisation(s).
Nous refusons ce mélange des genres et ce diktat de certaines parties de la société qui se croient dépositaires de l’amour de la Tunisie, de la République et de ses valeurs. Ce recul croissant de nos libertés risque de diviser notre pays en «bons» et «mauvais» Tunisiens.
Nous, citoyens tunisiens binationaux ou non, défendons la mise en place d’une nouvelle République qui garantisse l’égalité de TOUS ses citoyens devant la loi. En tant qu’«ambassadeurs» de notre pays dans le monde, nous œuvrons pour le rapprochement des peuples et des cultures et participons au développement d’une mondialisation des valeurs humaines et de solidarité.
Nous refusons tous les replis identitaires et toutes les exclusions, ici et là bas. Nous dénonçons toute politique restrictive se cachant derrière la culture de «l’authenticité» en oubliant notre histoire, nos diversités humaines, régionales et culturelles.
Nous refusons de nous taire et nous nous mobilisons pour combattre toutes les dérives, les projets de lois extrémistes qui veulent restreindre nos droits et nos libertés.
Dénoncer les idéologies rétrogrades ne suffit plus. Il faut les combattre et les éradiquer, car elles sont contagieuses et touchent de plus en plus d’hommes et de femmes, qui eux aussi, se référent aussi à la Révolution du peuple tunisien, mais qui au nom même de cette Révolution, excluent et rejettent.
Nous appelons toutes les personnes solidaires de l’immigration tunisienne, les binationaux, leurs familles, leurs enfants et proches, à lancer une campagne permanente pour rendre visible notre existence et notre fierté d’être Tunisiens et de revendiquer une double-appartenance,
Premiers signataires :
AIDDA, Collectif 3C, Collectif Citoyen pour des élections libres et démocratiques en Tunisie, Printemps culturel tunisien à Paris.
Les personnes intéressés peuvent signer ce manifeste la page du groupe Facebook Forum des binationaux.
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