A l’occasion de la cérémonie de prestation de serment du nouveau président de la République, Kaïs Saïed, tenue à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), aujourd’hui, 23 octobre 2019, ce dernier a donné son premier discours officiel en tant que chef de la magistrature suprême. Et il en a profité pour mettre, d’emblée, le peuple devant ses responsabilités…
Par Cherif Ben Younès
Particulièrement révolutionnaire dans le choix de ses termes, Kaïs Saïed a, dès le début de sa prise de parole, comparé ce qui se passe actuellement en Tunisie, à savoir son élection en tant que chef d’Etat, à une «vraie révolution», ayant été réalisée, «non pas contre la légitimité, mais avec les moyens de celle-ci». M. Saïed a même assuré que cela «a stupéfié le monde entier».
«Une vraie révolution» ?
«C’est un instant historique qui vient bouleverser le cours de l’histoire d’un peuple. Nul doute que le monde va commencer à étudier le modèle tunisien dans les centres de recherche et réviseront les notions installées depuis des siècles», a-t-il développé.
Il faut dire que le fait qu’un citoyen indépendant puisse accéder à la présidence de la République, avec aussi peu de moyens matériels, logistiques et médiatiques, constitue une preuve indéniable du fait que la démocratie est définitivement instaurée en Tunisie.
Néanmoins, il y a quand même une exagération dans les propos de M. Saïed… D’abord parce qu’un peu de modestie ne ferait pas de mal, surtout au vu de ce que d’autres peuples ont accompli.
Ensuite, parce que le peuple tunisien c’est aussi lui-même qui a réélu, aux législatives, le parti qui gouverne depuis 8 ans et qui est l’un des premiers responsables de la situation déplorable du pays, à savoir le mouvement islamiste Ennahdha. Un choix totalement légitime, certes, mais qui montre, toutefois, que nous ne sommes pas (encore) aussi révolutionnaires qu’essaye d’entendre le nouveau président.
Et surtout parce que le plus important reste encore à prouver en ce qui le concerne : il doit maintenant montrer que le peuple a eu raison de le choisir lui, plutôt que ses 25 concurrents.
Kaïs Saïed met d’emblée les citoyens devant leurs responsabilités morales
Le juriste a indiqué, dans le même ordre d’idées, que le peuple tunisien adresse aujourd’hui un message clair, selon lequel, il veut contribuer à surmonter tous les obstacles, «car ceux qui se sont sacrifiés avec le sang pour la patrie seront prêts à se sacrifier avec le travail et l’argent».
A cet effet, le nouveau chef d’Etat a, implicitement, suggéré aux Tunisiens de faire don, chaque mois, d’une journée de leur salaire à l’Etat, assurant que cette initiative est celle de plusieurs citoyens, à l’intérieur comme à l’étranger, qui ont annoncé leur volonté de le faire pendant les 5 prochaines années, «pour que les caisses de l’Etat débordent et pour qu’on se débarrasse des dettes et des emprunts».
Kaïs Saïed décide donc de mettre l’ensemble des citoyens tunisiens, d’emblée, devant leurs responsabilités (morales) d’aider leur pays à se sortir de sa situation économique asphyxiante, s’appuyant, sans doute, sur sa grande «légitimité symbolique», du fait de son honorable score au scrutin du second tour de la présidentielle : il a, en effet, récolté plus de 72% des voix observées.
Un score sans appel que plusieurs analystes politiques ont comparé à un plébiscite, même s’il faudrait aussi le relativiser et le mettre dans son contexte, au vu des circonstances de ladite élection, marquée notamment par le profil atypique de son adversaire, Nabil Karoui, qui fait face à de sérieuses accusations de corruption.
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