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Tunisie : Des pistes pour réintégrer les régions dans l’économie nationale

Parmi les problèmes structurels et chroniques du processus de développement en Tunisie, la fracture existant entre la zone côtière et la zone intérieure. Neuf ans après, les inégalités restent aussi grandes qu’elles l’étaient lors de la chute de Ben Ali en janvier 2011.

Par Amine Ben Gamra *

Les régions intérieures, qui représentent 70% du territoire national de la Tunisie et un tiers de sa population, fournissent aux régions côtières plus de 50% des ressources en eau, 50% du pétrole et du gaz, 70% du blé dur, 50% des fruits, légumes et olives et tout le phosphate qui est transformé en fertilisant sur la côte (Sfax, Gabès) avant d’être exporté.

Un état des lieux déplorable

Il s’agit donc des principales régions de la Tunisie de par l’étendue d leur territoire, l’importance de leur population, de leurs ressources naturelles et des avantages offerts en termes de coût et de disponibilité (main-d’œuvre, sites d’implantation…), et de leur statut de zones de développement prioritaire.

Malgré tous les atouts consentis, les régions intérieures connaissent un rythme de développement économique faible, et un taux de chômage élevé, en particulier parmi les jeunes diplômés, ce qui engendre la migration des habitants vers les régions littorales en recherche du travail. Par ailleurs, la contrebande y est devenue une stratégie de survie dans ces régions en l’absence d’investissement.

Aujourd’hui, l’Etat n’a pas vraiment de politique régionale et ne lutte pas non plus suffisamment et de manière efficace contre l’économie informelle. Par conséquent, la contrebande reste florissante dans les régions les plus pauvres à l’ouest, entre Gafsa et la frontière algérienne et, plus au sud, Ben Gardane et la frontière libyenne.

La population du sud, où se trouvent la plupart des réserves de pétrole, de gaz et de phosphate se sent d’autant plus lésée que, depuis la chute de Ben Ali en janvier 2011, sa situation ne s’est guère améliorée. On illustre cette situation dans l’historique du champ de pétrole d’El-Borma qui a financé pendant deux décennies (1970 et 1980) près du quart du budget national et a donc largement contribué à développer l’infrastructure et l’économie sur les régions côtières. Le gouvernorat de Tataouine, où se trouve El-Borma, n’a pas vu suffisamment d’investissement et aujourd’hui la contrebande y est devenue la principale activité «économique» faisant vivre des centaines de milliers de personnes. Le chaos libyen n’a fait que renforcer cette économie souterraine dans la région frontalière.

La modernisation ratée du secteur des phosphates et des fertilisants offre un autre exemple dont il convient de tirer les conséquences. En effet, les 4 millions de tonnes de production de phosphate cette année ont été qualifiées de chiffre record en comparaison avec la production enregistrée entre 2011 et 2018, alors que ladite production est en baisse de presque la moitié par rapport à son niveau de 2010 (7,5 millions de tonnes).

Par ailleurs, un état de panique a régné dernièrement dans la région de Gabès, suite à l’émission de grandes quantités de gaz par le complexe du Groupe chimique tunisien (GCT) implanté dans la région.
Il est donc clair que l’État n’a pas réussi à proposer un plan stratégique à faire face aux conséquences de la pollution, à l’incapacité à diversifier l’économie de la région et à la réticence à construire de nouvelles infrastructures au fil des ans.

Des solutions potentielles

Le défi majeur auquel fait face la Tunisie aujourd’hui est celui du développement des régions intérieures d’où sont parties les grandes révoltes de 2010, qui constitue un enjeu vital pour la stabilité et la pérennité du pays. Il est temps d’abandonner la politique de prélèvement extrême des ressources naturelles, devenue politiquement insoutenable, et de réintégrer les régions intérieures tunisiennes dans le système économique national.
Les solutions existent et il ne manque que la volonté politique pour les mettre en œuvre. Il y a lieu ainsi :

  • d’accélérer la mise en place de la Banque des régions : l’objectif étant de donner aux régions l’occasion d’avoir les moyens financiers requis et de ne plus être tributaire du pouvoir central. Comme en France, l’expérience de la BPI (Banque publique d’investissement) est une «success story» de l’avis de la majorité des structures d’appui françaises. Elle est présente dans toutes les régions sous forme de guichets uniques, elle constitue un pôle financier, un vis-à-vis unique en matière de financement;
  • de mettre en place des agences régionales de développement économique ayant une orientation résolument commerciale pour notamment mieux faire connaître la région et ses atouts, détecter de nouveaux projets d’investissement et assurer le suivi des projets déjà installées;
  • de créer des comités régionaux de facilitation dont la mission principale est d’identifier et de palier aux entraves en matière d’investissement, à travers, notamment, la rationalisation et la simplification des procédures administratives. Ces comités doivent regrouper des acteurs du secteur public impliqués dans l’investissement et les représentants du secteur privé, et doivent s’appuyer sur une dizaine de comités techniques thématiques chargés de proposer des plans d’action annuels;
  • de cibler le développement des énergies renouvelables en donnant la chance aux jeunes des régions intérieures du pays de se lancer dans des projets de ce genre. Il faut développer des structures à l’intérieur du pays dédiées uniquement aux jeunes qui vont produire une électricité à énergies renouvelables et qui vont pouvoir la vendre ensuite à la Société tunisienne d’électricité et de gaz (Steg). Ceci leur permettra d’acquérir une certaine autonomie financière et servira à l’Etat comme un moyen de combattre le chômage, notamment dans ces régions et réduira la dépendance du pays aux combustibles fossiles importés et renforcera la sécurité énergétique.

* Expert comptable, commissaire aux comptes, membre de l’Ordre des experts comptable de Tunisie.

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