Les mesures exceptionnelles prises par le Conseil ministériel, mercredi dernier, 6 mai 2020, pour soutenir financièrement le secteur des médias, en crise, a fait couler beaucoup d’encre. En particulier, la mesure qui consiste à prendre en charge par l’Etat de 50% des frais de diffusion des chaînes de radio et de télévision privées pour l’année 2020 a été très peu appréciée.
Par Cherif Ben Younès
Plusieurs célébrités de différents domaines ont, en effet, exprimé leur colère face à cette décision, mettant ouvertement en doute la bonne foi du chef du gouvernement, Elyes Fakhfakh, qui chercherait, d’après eux, à bénéficier du soutien de ces médias influents, en vue de mener son mandat actuel avec tranquillité et de réussir éventuellement sa campagne électorale de 2024.
Soutien «des mafias» au détriment des gens ayant réellement besoin d’aide
C’est notamment l’avis de l’acteur Atef Ben Hassine, qui a publié, en milieu de semaine, une longue vidéo où il a véhémentement critiqué le chef du gouvernement, exprimant son «regret de l’avoir soutenu un jour». Pour lui, Fakhfakh a tout simplement choisi de soutenir «des mafias» au détriment des personnes qui ont réellement besoin d’aide.
Aujourd’hui, dimanche 10 mai, l’universitaire et psychanalyste, Raja Ben Slama a, elle aussi, tiré à boulets rouges, via facebook, sur l’ancien dirigeant du Forum démocratique pour le travail et les libertés (Ettakatol) pour les mêmes raisons, l’appelant à opérer des réformes, pour bénéficier du soutien du peuple, plutôt que de chercher à être glorifié par les médias audiovisuels privés.
L’argent des contribuables ne financera pas la médiocrité et la laideur
Elle lui a adressé à cet effet, cette lettre que nous avons traduite en français:
«Monsieur le chef du gouvernement,
Savez-vous que vous n’aurez pas besoin de l’éloge de la chaîne Attessia, et que la chaîne El Hiwar [Ettounsi] ne sera pas en mesure de renverser votre gouvernement si vous vous lancez dans le changement et que vous entreprenez des réformes ?
«Nous vous soutiendrons, l’opinion publique vous soutiendra, ainsi que tous ceux qui n’ont ni intérêts ni forces de pression, nous qui payons les contribuables, qui rêvons de réforme et de justice, nous la poussière de cette terre.
«Monsieur le chef du gouvernement,
Savez-vous que certains hôpitaux ne sont pas en mesure d’économiser 30.000 dinars par an pour acheter des médicaments aux pauvres atteints de maladies chroniques ?
«Avez-vous déjà entendu parler des « barbécha » [ceux qui vivent en fouillant dans les poubelles pour trouver de la matière à recycler, ndlr] ? Avez-vous une quelconque idée sur la souffrance des citoyens dans les moyens de transport publics ? Savez-vous que les agricultrices sont encore transportées comme des bestioles dans des camions et que leur sang coule sur les routes ? Ne sont-elles pas celles qui nourrissent toutes les bouches ? Ne sont-elles pas celles qu’il faut soutenir en priorité ?
«Savez-vous que la plupart des écoles et des lycées n’ont pas de bibliothèque, et que les enfants et les adolescents ne trouvent pas de bouquin à lire en dehors des cours ? N’est-ce pas la culture de base essentielle qui doit être soutenue ?
«La leçon la plus importante de la crise de Covid 19 n’est-elle pas la nécessité pour l’État de garantir la santé, les transports et l’éducation ? Le slogan de la révolution n’est-il pas la dignité ?
«Monsieur le chef du gouvernement, je refuse que l’argent des contribuables revienne à ceux qui ne paient pas leurs impôts, ne respectent pas l’État et produisent la médiocrité et la laideur. Je refuse.»
Rappelons qu’Elyes Fakhfakh avait assuré que le gouvernement entend soutenir les secteurs les plus touchés par cette crise, y compris le secteur des médias, et ce, «afin de consolider leurs capacités de gouvernance et de transition digitale, compte tenu du rôle central des médias dans la consolidation de la démocratie et de la liberté d’expression.»
Outre la prise en charge de 50% des frais de diffusion des chaînes de radio et de télévision privées pour l’année 2020, l’Etat fera l’acquisition d’abonnements dans les versions électroniques des journaux pour une valeur de 1,2 million de dinars, réservera une partie de son budget, à hauteur de 5 millions de dinars, pour financer le programme de réhabilitation du secteur et l’accompagner dans la transition numérique, et créera un fonds de participation d’une valeur de 5 millions de dinars, pour soutenir sa propre communication dans les campagnes de sensibilisation.
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