Un nombre croissant d’appels internationaux provenant des mouvements sociaux plaident en faveur de l’arrêt des paiements de dettes publiques par les pays du sud à faible revenu, afin de débloquer les fonds nécessaires pour lutter efficacement contre la propagation de Covid-19 et pour affronter ses répercussions économiques et sociales.
N’attendant rien de concret des déclarations des institutions financières internationales, du G20, des chefs des grandes puissances ou autres, compte tenu des expériences passées et de la primauté des intérêts économiques et géopolitiques dans les relations internationales, des organisations de la zone (Mena / région arabe) ont développé une déclaration, première étape d’un plaidoyer pour l’annulation des dettes et l’abandon des accords de «libre-échange» dans leurs pays en ces temps difficiles.
Le dernier délai pour la signature de cette déclaration est fixé pour le lundi 25 mai 2020.
Appel des peuples, organisations, mouvements et réseaux militants d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient/région arabe Pour l’annulation de la dette et l’abandon des accords de «libre-échange»
Pour faire face à la pandémie de Corona et à ses graves conséquences : la nécessité de rompre avec les outils de domination impérialiste sur nos peuples : endettement et accords de «libre-échange».
Les populations d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient/région arabe sont confrontées à une grande épreuve face à cette crise sanitaire mondiale causée par la pandémie du virus corona. Cette dernière a révélé l’ampleur des dégâts du capitalisme sur l’humanité et la nature. Les classes dominantes tentent de garantir les profits des grandes entreprises et des banques aux dépens des salarié-e-s et des petits producteurs. Ceux-ci se trouvent en première ligne pour assurer la production, risquant leur vie dans les pires conditions d’exploitation. Les impératifs du confinement augmentent leur souffrance en l’absence d’une santé publique détruite par des décennies de politiques néolibérales. Ce sont surtout les femmes qui font les frais de cette situation exceptionnelle, que ce soit sur le lieu de travail ou à la maison.
Les expériences de luttes populaires se sont accumulées depuis plus de quarante ans contre les politiques de néocolonialisme, de dépendance et d’échange inégal que nous imposent les centres de décision impérialistes, avec la complicité des gouvernements et des régimes politiques dans nos pays. Elles ont pris de l’ampleur avec le processus révolutionnaire qui a commencé sa première phase à la fin 2010 -début 2011 avec la révolution en Tunisie, en Égypte, au Yémen, en Libye et en Syrie, et sa seconde à la fin 2018 – début 2019 avec les révolutions au Soudan, en Algérie, au Liban et en Irak. Les masses ont exprimé dans les rues et sur les places leurs aspirations à s’émanciper de l’oppression et du despotisme, et ont réclamé la liberté et la justice sociale.
Nous, organisations, mouvements et réseaux de lutte représentant les différentes couches populaires : ouvriers-ères, femmes, jeunes, nationalités et minorités opprimées, nous nous accrochons aux revendications de ce processus révolutionnaire et nous nous efforçons de les réaliser. Nous ne permettrons pas que la pandémie de corona soit utilisée pour consolider la contre-révolution et mettre fin à nos aspirations démocratiques. Nous n’accepterons pas non plus la poursuite des mesures d’austérité néolibérales qui généralisent la pauvreté et le chômage et établissent un cadre général d’inégalité sociale. Plus que jamais, et de façon très urgente, le contexte actuel souligne la nécessité d’intensifier la solidarité et la réflexion collective pour jeter les bases d’une société alternative de liberté, de dignité et de justice sociale, valeurs que nos peuples réclament depuis longtemps.
Mobilisons-nous pour annuler la dette publique
L’endettement public constitue un système de pillage de nos richesses et d’asservissement de nos peuples par l’impérialiste mondial. Le service de la dette absorbe chaque année les budgets sociaux de nos pays. Les dépenses de santé publique sont nettement inférieures aux minimums fixés par l’Organisation mondiale de la santé. Il est nécessaire de cesser de rembourser la dette publique pour libérer les liquidités nécessaires afin de faire face à l’épidémie de corona et à l’aggravation de la crise sociale et économique. De même, il faut mettre un terme à toute forme de privatisation des services publics. La priorité doit être donnée au développement d’un secteur de santé publique qui garantisse des services médicaux gratuits et de qualité.
La revendication d’annulation de la dette extérieure a toujours fait partie des revendications populaires dans notre région depuis la crise de la dette et les programmes d’ajustement structurel qui ont suivi au début des années 80. Des campagnes ont été organisées en Tunisie et l’Égypte pour l’annulation des dettes odieuses contractées par les dictateurs qui ont été évincés par les révolutions. Des initiatives ont vu le jour au sein du récent mouvement de contestation populaire au Liban, appelant à la suspension du paiement de la dette et à la mise en place d’un programme de réformes sociales, alimentaires et de protection sociale pour la population.
Dans le contexte de la crise de corona, les appels à la suspension du paiement de la dette publique des pays du Sud se sont multipliés au niveau mondial. Par conséquent, nous devons continuer à nous mobiliser au niveau de notre région pour imposer un moratoire unilatéral et souverain sur le remboursement de la dette dans nos pays qui sont menacés par une catastrophe humanitaire en raison de l’absence de conditions pour faire face à l’épidémie de corona.
Un contrôle populaire doit également être établi sur les fonds qui seront libérés par la suspension des paiements, et qui doivent être consacrés en priorité aux besoins de santé et au soutien des couches sociales les plus touchées par la crise de corona. Le moratoire sur les remboursements doit être accompagné de la mise en place d’un mécanisme d’audit de la dette publique qui permettrait à la majorité des citoyen-nes d’être impliqués dans l’identification des parties illégitimes, odieuses et illégales de ces dettes, qui doivent être répudiées.
Les ressources ainsi libérées seront affectées à la mise en œuvre de mesures économiques, sociales et environnementales qui se fondent sur les besoins fondamentaux de la classe ouvrière, des petits producteurs et des couches marginalisées en général.
L’annulation de la dette publique entraînera inévitablement la nécessité de rompre avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Ces deux institutions ont toujours soutenu les régimes dictatoriaux dans notre région, se sont alignées sur les grandes puissances impérialistes et l’État sioniste d’Israël afin de freiner le processus révolutionnaire, et ont continué à aggraver l’endettement et à adapter nos économies pour servir les multinationales et les grands spéculateurs financiers à l’échelle mondiale. L’émancipation de nos peuples du despotisme sera incomplète sans cette rupture avec les centres de décision impérialistes.
Et les dettes privées illégitimes
Le paiement de la dette publique se fait au détriment de la détérioration des conditions sociales de la majorité des classes populaires et ouvrières et de la faiblesse de leurs revenus annuels. Cette situation les oblige à leur tour à emprunter auprès des banques, des institutions de crédit de logement, de consommation et de microcrédit à des taux d’intérêt élevés.
Dans le contexte de la crise économique exacerbée par le déclenchement de la pandémie de corona, le chômage va augmenter et les difficultés de ces couches à couvrir leurs frais de subsistance, de santé et d’éducation vont s’accroître. L’endettement des petits producteurs, tels que les petits paysans, qui vivent un grave processus d’appauvrissement menaçant leur propre existence, sera exacerbé. D’où la nécessité de demander la suspension du paiement de ces dettes privées, d’organiser une campagne populaire pour enquêter sur toutes les formes de pillage et les conditions injustes imposées par les institutions du secteur financier, et d’examiner les fondements de l’illégitimité et de l’illégalité de ces prêts pour exiger leur annulation.
Nationalisation / socialisation du secteur bancaire
Pour mettre l’accent sur les priorités sociales et environnementales, il est crucial d’établir un système d’emprunt public sans intérêt plutôt que de promouvoir des prêts avec des intérêts qui augmentent les profits pour le capital financier. Cela suppose à son tour la socialisation du secteur bancaire, c’est-à-dire la confiscation sans aucune compensation des principaux actionnaires des banques, et son rattachement au secteur public sous contrôle populaire.
La socialisation a un contenu beaucoup plus radical que la nationalisation, qui peut se limiter à l’achat par l’État des actions des grands capitalistes à des prix élevés. C’est ce contenu radical qui a été fortement mis en avant par le récent mouvement de contestation populaire au Liban en réclamant la chute du despotisme des banques, la chute de l’oligarchie au pouvoir, la condamnation des hauts fonctionnaires corrompus et la construction d’une économie basée sur la justice sociale.
Annuler les accords de «libre-échange», dont les accords de libre-échange approfondis et complet
Les accords de «libre-échange» sont des accords néocoloniaux qui ont été imposés à nos peuples. Ils aggravent la dépendance et les déficits commerciaux, accroissent notre dépendance à l’égard des importations de denrées alimentaires en provenance des marchés spéculatifs mondiaux et détruisent les activités productives paysannes et les possibilités d’emploi permanent.
Ces accords ont généralisé la domination des multinationales et d’une partie du grand capital local sur les secteurs économiques rentables, sur les services publics, y compris la santé et les médicaments, et ont assuré la protection de leurs «droits» par le biais des lois sur la propriété intellectuelle et les brevets.
La «nouvelle génération» d’accords de libre-échange comprend tous les domaines économiques, sociaux, culturels et environnementaux, comme c’est le cas de l’accord de libre-échange complet approfondi (Aleca) pour la Tunisie qui connait quelques mobilisations pour empêcher la signature imminente de cet accord et aussi pour le Maroc. Ainsi, les accords de «libre-échange» constituent, avec les dettes publiques, les outils de la domination impérialiste sur nos pays. Ils doivent être abolis et nous devons proposer des alternatives autour d’une coopération commerciale qui réponde aux besoins des peuples et qui soit fondée sur l’égalité, la justice et la complémentarité.
Ces alternatives doivent donner la priorité aux canaux d’échange à petite échelle et localisés au Nord et au Sud, et renforcer les relations directes entre producteurs et consommateurs. Pour y parvenir, il faut construire une économie locale indépendante, centrée sur la souveraineté alimentaire et fondée sur la démocratie et la solidarité. Il est donc nécessaire de renforcer la rupture avec les institutions du capital mondial, y compris aussi l’Organisation mondiale du commerce.
Nous, les signataires de cet appel, et en soutien aux acquis des soulèvements populaires pour la démocratie, la liberté et la justice sociale dans notre région, nous revendiquons :
-une suspension unilatérale et souveraine du paiement de la dette publique, et l’allocation des fonds à la santé publique, et au soutien des couches vulnérables touchées par la crise de corona,
-un audit citoyen de la dette publique pour déterminer ses parties illégitimes, odieuses et illégales et imposer leur répudiation,
-une suspension du paiement des dettes privées des familles populaires, des petits producteurs, des petits paysans et des salarié-e-s, envers les banques, les institutions de crédit de logement, de la consommation et les institutions de microcrédit,
-un examen de toutes les formes de pillage et les conditions injustes imposées par les institutions du secteur financier dans les contrats de prêts privés, et mettre en évidence leur illégitimité et leur illégalité pour exiger leur annulation,
-une annulation des accords de «libre-échange» et l’accord de libre-échange complet approfondi pour la Tunisie et le Maroc,
-la rupture avec le trio au service du capital mondial : la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et l’Organisation mondiale du commerce.
Nous appelons également à :
-la mise en place d’un large comité populaire pour l’audit de la dette de nos pays au niveau régional qui inclue toutes les couches de la société, les associations, les syndicats, les réseaux, les partis progressistes, les jeunes, les femmes, les chômeurs, etc,
-soutenir la campagne de rejet de l’accord de libre-échange complet approfondi en Tunisie, et lui donner une dimension régionale,
-organiser une campagne régionale forte, unie dans ses objectifs et son calendrier, pour dénoncer le contenu colonial des accords de libre-échange ainsi que le pillage des richesses de nos peuples par la dette,
-organiser un forum populaire, qui se tiendra après la fin de la crise du virus Corona en Afrique du Nord et au Moyen-Orient/région arabe, pour approfondir le débat et échanger des expériences afin d’élargir la lutte contre la dette et les accords de «libre-échange».
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