Le ministère des Finances a annoncé que le régime fiscal forfaitaire, dont profitent beaucoup de corps de métiers en Tunisie, sera abandonné à partir de 2021. Reste à savoir si l’Assemblée va adopter cette mesure ou si les lobbys habituels des métiers libéraux, qui y sont fortement représentés, vont infléchir la position des responsables politiques en leur faveur et privilégier les intérêts privés au détriment de l’intérêt général.
Par Amine Ben Gamra *
La croissance en Tunisie en cette année 2020 sera négative, avec faillite d’entreprises et suppression d’emplois. Les deux premiers trimestres ont déjà connu une croissance négative de -6,5%. Les dépenses de l’Etat ont augmenté (aides sociales, chômage technique, budget de 300 millions de dinars pour le soutien des PME, stock stratégique de 350 millions de dinars…), pour des recettes fiscales en très forte baisse. Le manque à gagner en termes de recette fiscale est estimé à plus de 5 milliards de dinars. Alors que l’inflation a rongé le pouvoir d’achat de nombreux citoyens depuis la révolte de 2011.
Des pans entiers de l’économie échappent au fisc
En Tunisie, l’économie informelle représente, selon certaines estimations, plus de 50% de l’activité économique. Et ce sont les contribuables, à travers des impôts souvent jugés injustes et inéquitables et les contributions conjoncturelles, devenues quasiment annuelles, qui doivent seuls supporter le fardeau fiscal pour faire face au mur de la dette publique, tandis que beaucoup de citoyens échappent encore et toujours à la fiscalité.
Il importe de rappeler, à ce propos, que plusieurs rapports pointent du doigt le fameux régime fiscal forfaitaire dont la contribution ne rapporte quasiment rien au budget de l’Etat. Lors d’une conférence de presse, le mardi 21 juillet 2020, le ministre des Finances, a, en effet, fait savoir que les 400.000 personnes soumises au régime forfaitaire contribuent à hauteur de 0,2% seulement dans les recettes fiscales de la Tunisie.
Mettre fin à l’égoïsme suicidaire des forfaitaires
La crise a été «la balle de délivrance» pour le pays, signant la fin d’un modèle de développement archaïque et qui a permis de passer, enfin, aux réformes structurelles tant attendues. Dans ce cadre, le ministre des Finances, Mohamed Nizar Yaiche, a annoncé que le régime forfaitaire, dont profitent beaucoup de corps de métiers, sera abandonné à partir de 2021.
C’est une bonne décision. Mais la question qui se pose est la suivante : l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) va-t-elle adopter cette mesure qui sera inscrite dans la Loi de Finances 2021 ou les lobbys habituels des métiers libéraux, fortement représentés dans l’instance législative, vont-ils infléchir une nouvelle fois la position des responsables politiques en leur faveur et privilégier les intérêts privés au détriment de l’intérêt général, comme cela a déjà été observé auparavant ?
En d’autres termes, peut-on compter sur le patriotisme présumé des députés ou va-t-on subir encore une fois les conséquences de l’égoïsme de beaucoup d’entre eux, un égoïsme désormais suicidaire ?
* Expert comptable, commissaire aux comptes, membre de l’Ordre des experts comptable de Tunisie.
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