À l’heure où le Liban panse ses plaies suite à la double explosion d’hier, mardi 4 août 2020, qui a réduit en cendre le port de Beyrouth, les quartiers attenants et fait jusque-là 300.000 sans-abris, les images et vidéos apocalyptiques de la capitale libanaise ont révélé au monde entier jusqu’où un État faible et en faillite peut arriver. En Tunisie, à part ceux qui sont dans le déni et préfèrent lâchement faire l’autruche, les inquiétudes légitimes et justifiées d’un scénario libanais ne cessent de s’accroître.
Par Chedly Mamoghli *
Un État faible, incapable d’asseoir son autorité et sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire, des hommes politiques corrompus et clientélistes soucieux uniquement de la pérennité de leurs intérêts et de leurs privilèges, une partitocratie qui affaiblit les institutions, institutionnalise l’instabilité et considère l’Etat et le pays comme un butin à se partager; un État qui a perdu le monopole de la force légitime (détention des armes) et un pays où les milices sont armées jusqu’aux dents et contrôlent sans merci des territoires dans le sud du pays et ailleurs et où ils font régner leur propres lois; un État (ou plutôt ce qui en reste) surendetté, dans un pays où la croissance est très faible, où les affairistes véreux soufflent le chaud et le froid et sont des seigneurs, où le principal port est gangrené par la corruption et la mauvaise gestion, où sévissent les ripoux et où une catastrophe peut se produire à tout moment; un pays où la paupérisation de la population ne cesse de s’accélérer; un pays théâtre des guerres par substitution entre les puissances régionales et internationales; et, last but not last, un pays dans lequel la jeunesse n’a plus d’avenir et qui se livre à l’émigration ou au suicide.
Dans quel pays sommes-nous? Et bien, les Libanais vous répondront «nous sommes au Liban» et les Tunisiens vous répondront «nous sommes en Tunisie.»
À part quelques donneurs de leçons toujours là pour nous servir leur éternel esprit de la contradiction pavlovien et qui continuent à faire l’autruche, tout le monde pense que la Tunisie s’enlise jour après jour dans un scénario à la libanaise. Les Tunisiens désabusés constatent que nous avons pris ce chemin et l’actualité quotidienne ne fait hélas que le confirmer.
Si la Tunisie continue sur la même lancée, un effondrement de l’Etat et une catastrophe comme celle intervenue hier à Beyrouth ne sont plus à exclure. Un port comme celui de Radès gangrené par la corruption, dont les ripoux ont fait leur fief; un port où des bateaux sont maintenus en rade des jours et des nuits, ce qui coûte plus d’un milliard de dinars par an; un tel port peut connaître le même funeste destin que celui de Beyrouth.
Quoi de mieux dans les schémas des destructeurs que faire sauter le principal port d’un pays dont l’économie est exsangue? Ce serait le coup fatal que l’on donne à un pays à genoux et on en fait un éternel assisté à la merci des puissances régionales et internationales.
L’Etat tunisien saura-t-il tirer la leçon libanaise?
* Juriste.
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