La ténacité du duo Saïed – Méchichi, les lourdes sanctions égrenées dans la constitution, d’une manière claire ou en filigrane, Méchichi partirait au Bardo, sans trop de crainte pour sa couvée des morsures des crabes. En effet, son gouvernement aura la confiance de l’Assemblée. Les partis politiques hostiles ayant effectué un revirement de dernières minutes. Les enjeux sont très importants.
Par Mounir Chébil *
Le chef du gouvernement, Elyes Fakhfah, était à peine investi dans ses fonctions, qu’il fut «frappé» par la Covid-19. Non encore rétabli des séquelles de ce virus, qu’il fut foudroyé par l’Ikhwani-virus (allusion au parti islamiste Ennahdha, branche tunisienne de l’organisation des Frères musulmans, Ndlr) qui le désigna volontaire pour présenter sa démission.
Conformément à la Constitution, le président de la république Kaïs Saïed a désigné Hichem Mechichi l’actuel ministre de l’Intérieur, pour former un gouvernement, avec l’obligation de lui présenter la liste des ministres qu’il aurait choisis dans le délai constitutionnel de trente jours. Le président de la république a transmis cette liste au panier à crabes qu’est l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), et les députés n’ont pas tardé à aiguiser leurs pinces dès qu’ils ont appris que les ministres ne seront pas choisis parmi eux. Saïed et Mechichi se sont entendus pour la formation d’un gouvernement composé de personnalités compétentes et sans aucune attache partisane.
Dès le jour de la désignation de M. Méchichi, la municipalité de Carthage a dû mobiliser un camion de prélèvement de déchets devant Dar Dhiafa, où officie ce dernier, pour récupérer les feuilles de papier gribouillées, déchirées, froissées, brûlées, portant les noms des candidats potentiels aux portefeuilles ministériels.
Recommandations, tractations, bras de fer, marchandages, parrainages, copinages…
Au fil des tractations, des bras de fer, des marchandages, des parrainages, des copinages, des humeurs, des suspicions et des recommandations de M. Saïed…, les brouillons s’amoncelaient, puis étaient empilés pour être jetés dans le camion municipal. Sur le chemin, des fouineurs se les arrachaient pour alimenter les buzz, les polémiques, les surenchères et les querelles. Il faut bien que les médias trouvent de quoi alimenter leurs plateaux, tout en affichant leur allégeance à tel ou tel clan, et que les soldats des réseaux sociaux s’adonnent à leurs guéguerres derrière leurs écrans.
Les plus à plaindre dans cette foire d’empoigne, ce sont les épouses de certains candidats pressentis, qui, la nuit étaient bercées par le doux rêve de devenir épouses de ministre, pour être terrassées le lendemain par la déception de devoir renoncer au luxe de se faire livrer la botte de persil par la Mercedes ministérielle. Ah ce duo Saïed – Méchichi ! Combien de cœurs a-t-il brisé durant ces trente derniers jours.
Le 24 août 2020, Mechichi s’est mis à se préparer à aller au palais de Carthage puis à la «décharge» au Bardo, munis de sa liste définitive.
Etant donné le déluge de noms qui s’est déversé sur Dar Dhiafa, il se peut que quelques noms soient arrivés à s’incruster sur la liste finale des membres du nouveau gouvernement, en dépit de leur maigre CV. Il faut convenir que la scène politique est tumultueuse, que la république des sages de Platon est demeurée une utopie, que sans partis politiques, le duo Saïed-Méchichi ne pouvait s’offrir le luxe de se priver d’un petit flirt avec le diable, sans aller à choisir le mariage avec la croix pour mériter la couronne comme Henri IV l’a fait.
Malgré toutes les contingences, ce duo est arrivé à sauver les meubles. Pour moi, le plus important grief à porter sur la composition du gouvernement proposé, c’est le fait de n’avoir pas demandé aux candidats un certificat médical attestant de l’état de leurs couilles, si elles sont molles ou d’acier. Car il ne suffit pas d’avoir une bonne politique, il faut surtout avoir du cran pour la mettre en œuvre sans succomber aux sirènes du populisme et de la démagogie des prédateurs. La raison d’Etat, l’autorité de l’Etat et l’intérêt général et rien que la raison d’Etat, l’autorité de l’Etat et l’intérêt général. La voix du devoir doit se substituer «à l’impulsion physique et le droit à l’appétit» comme enseigné par Jean-Jacques Rousseau.
La liberté et les droits ne doivent plus être sources de banditisme et d’anarchie. Ils doivent être recentrés dans le moule de l’intérêt général. Il ne faut plus qu’il y ait de voyou qui tient un ministre par la cravate, dans son bureau ou sur le trottoir, pour lui faire signer un accord de tous les dangers pour la bonne marche des affaires de l’Etat. Il ne doit plus y avoir de bandit qui remplace la paille de son matelas par des billets de banques.
Méchichi partirait au Bardo sans trop de crainte pour sa couvée des morsures des crabes
Enfin, la ténacité du duo Saïed – Méchichi, les lourdes sanctions égrenées dans la constitution, d’une manière claire ou en filigrane, Méchichi partirait au Bardo via Carthage, sans trop de crainte pour sa couvée des morsures des crabes. En effet, son gouvernement aura la confiance de l’ARP. Les partis politiques hostiles ont effectué un revirement de dernières minutes. Les enjeux sont très importants.
La secte des Frères musulmans ne voudrait pas courir le risque d’un vote de défiance qui serait suivi de la dissolution de l’ARP actuelle. Une large marge de manœuvre s’offrirait au président de la république qui aurait la latitude de légiférer dans tous les domaines par décrets lois pendant une période qui peut durer dix mois, jusqu’à l’entrée en exercice de l’ARP autrement composée. Le chef de gouvernement ne lui ferait pas obstacle, lui qui a une revanche à prendre.
Hors du pouvoir, les arrières des islamistes seraient dégarnis et leurs linges sales pourraient être étalés sur la voie publique. De retour dans l’hémicycle, beaucoup de chose auraient changé et combien faudrait-il de temps à la secte islamiste pour manœuvrer, afin de se tailler un costume à sa mesure ? D’ailleurs, le pourrait-elle ? Rien n’est garanti pour elle de pouvoir faire main basse sur l’Etat après les élections anticipées.
Or, en votant la confiance au gouvernement, l’ARP ne serait pas dissoute, et les Frères musulmans pourraient au moins :
- assurer leur hégémonie actuelle et resserrer leurs alliances pour des jours meilleurs ;
- réviser le code électoral à leur mesure;
- installer le Conseil constitutionnel, ce qui ôterait au président de la république la possibilité de se réserver l’interprétation de la constitution d’une part et mettrait ce dernier sous le coup d’une éventuelle action en destitution sur la base de l’article 88 de la constitution, d’autre part.
Des législatives anticipées ne feront l’affaire d’aucun parti
Qalb Tounes, pour sa part, chancelle comme le taureau de la corrida affaibli par les pics des picadors. La dissolution de l’ARP et des élections législatives anticipés peuvent avoir l’effet de l’estocade sur lui. Il ne votera pas contre l’attribution de la confiance au gouvernement Méchichi, car il en paiera le prix fort.
Le Courant démocratique (Attayar) s’est, en dernière minute, assagi. Il n’est plus prêt à des élections législatives anticipées, surtout que son leader, Mohamed Abou, a perdu de son auréole de monsieur propre. L’ère de Méchichi lui permettrait de reprendre du souffle dans l’envolée des cordes vocales de son épouse Samia, qui résonneront certainement de plus belle à l’ARP, après une accalmie par égard à son époux ministre.
Le Mouvement Echaab a fini par renoncer à l’aventure de provoquer des élections législatives anticipées. Il n’a pas été coriace dans le bras de fer engagé avec Méchichi.
Des indépendants ne veulent pas risquer leurs salaires et leurs privilèges récemment acquis de députés.
Moez Chakchouk, le ministre du Transport, le John Kennedy de ce gouvernement (par le physique tout au moins), rapporterait beaucoup de voix féminines à M. Méchichi, sauf si le président de l’ARP, Rached Ghannouchi, lui imposait le port de la cagoule noire avant de se présenter aux parlementaires. Il ne faudrait pas aussi qu’il chatouille par son visage séducteur la féminité endormie des sœurs de la secte Ennahdha.
Abir Moussi a déniché un terroriste, fils du trisaïeul d’un parent du ministre de l’Intérieur proposé, Taoufik Charfeddine. Donc, le gouvernement Méchichi porterait la rage, raison pour laquelle elle compterait le tuer. Elle ne voterait pas la confiance à ce gouvernement et paradoxalement, elle se trouverait dans le même camp que le parti Al-Karama qu’elle a tant harangué. Il lui faut son refrain anti intégriste à lever contre Méchichi pour survivre et espérer gagner de nouvelles voix de certains crédules à mettre dans sa tirelire et que les derniers sondages de Sigma Conseil lui ont faits miroiter.
Le gouvernement de Hichem Méchichi passera, et au président de la république de tenir bon dans ses prérogatives constitutionnelles et d’agir par le procédé de la magistrature d’influence inauguré par le président du Portugal Mario Soares, pour lui venir en soutien. La constitution tunisienne, par ses dispositions claires ou par ses silences, lui donne beaucoup de pouvoir dans ce sens.
* Analyste politique.
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