L’inamovible président du parti islamiste Ennahdha, à la tête du mouvement islamiste tunisien depuis bientôt un demi-siècle, n’est pas prêt à passer le témoin. À 79 ans, accomplis le 22 juin dernier, Rached Ghannouchi regarde l’avenir avec des ambitions renouvelées, au risque de faire imploser son parti où beaucoup craignent qu’il soit enterré… avec lui. Ils n’hésitent plus d’ailleurs à le dire tout haut, tout en choisissant leurs mots pour ménager son ego surdimensionné.
Par Imed Bahri
Le désormais fameux «groupe des 100», comprenant des dirigeants de premier rang du mouvement islamiste, comme Mohamed Ben Salem, Abdellatif Mekki, Samir Dilou, Fathi Ayadi, Imed Hammami, Zoubaier Chehoudi, Zied Ladhari, ou autres Abdelmajid Najjar, auteur des motions doctrinales d’Ennahdha des congrès de 1986 et de 2016, multiplient les lettres adressées à celui qui se comporte plus comme le «cheikh» d’une confrérie religieuse ou le gourou d’une secte, que comme le président d’un parti civil doté d’un règlement interne et de structures organisationnelles démocratiquement élues, ou encore aux autres membres du mouvement pour leur rappeler le nécessaire respect des règles et des procédures dans la gestion des affaires d’Ennahdha, à commencer par l’alternance à sa tête qui exige, selon le règlement intérieur, que M. Ghannouchi ne se présente pas à un nouveau mandat, d’autant qu’il assure aussi, en même temps, depuis janvier dernier, la présidence de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et que cela exige, outre une disponibilité totale, un minimum de distance vis-à-vis des partis, y compris (et surtout) le sien.
L’insatiable Ghannouchi se croit-il immortel ?
Les problèmes que vit l’instance législative depuis le début de l’année et qui lui valent une perception très négative (et le mot est faible) auprès des Tunisiens, tiennent d’ailleurs au fait que M. Ghannouchi a du mal à se défaire de l’un de ses nombreux chapeaux. Celui qui demande aux dirigeants d’Ennahdha de l’appeler «raïs» (président) ou «zaïm» (leader), en s’adressant à lui, croit pouvoir s’éterniser à son poste.
Selon certains dissidents, qui l’appellent à ne pas succomber à la tentation de la «présidence à vie», qu’il critiquait lui-même vivement, sous les règnes de Bourguiba et Ben Ali, Ghannouchi se voit déjà au Palais de Carthage, la présidence de la république étant aujourd’hui son prochain challenge, même si les sondages d’opinion l’ont toujours placé loin, très loin, bas, très bas, dans l’estime des Tunisiens.
Au-delà des querelles de positionnement ou de leadership personnel, dont aucun parti n’est exempt, les dirigeants d’Ennahdha s’interrogent aujourd’hui sérieusement sur l’avenir de leur formation. Celle-ci garde certes un noyau dur d’électeurs capables de la maintenir au centre de l’échiquier politique tunisien, mais ce noyau continue de s’effriter, en raison, surtout, des positions contradictoires et souvent incompréhensibles par la base, que le chef d’Ennahdha impose à ses «frères musulmans», dans le cadre de ses interminables magouilles et manœuvres politiciennes.
L’alliance avec Qalb Tounes et son président Nabil Karoui est loin de faire l’unanimité dans l’entourage de Ghannouchi, tout comme celle avec la coalition Al-Karama, dont l’extrémisme n’est pas du goût de certains éléments modérés du mouvement islamiste.
La menace de Abir Moussi et du PDL se précise
Au rythme où vont les fissures et les scissions, longtemps tues ou minimisées et désormais éclatées au grand jour, Ennahdha pourrait se retrouver, à la veille des prochaines échéances électorales, en 2024, dans la situation où s’était retrouvé Nidaa Tounes en 2019.
L’effritement actuel de la popularité du mouvement, désormais précédé dans les sondages d’opinion par son ennemi absolu, le Parti destourien libre (PDL) et sa tonitruante présidente Abir Moussi, est un signe avant-coureur d’une décadence annoncée, d’autant que beaucoup de Tunisiens attribuent clairement la responsabilité de la crise sévissant dans leur pays depuis 2011 à Ennahdha, parti au pouvoir sans discontinuer depuis cette date.
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