Techniquement en faillite budgétaire, l’État tunisien subit le comeback des chaouchs : ces fonctionnaires larbins aux ordres de commanditaires politiques et qui se trouvent subitement avec plein pouvoir. Hichem Méchichi, le 4e chef de gouvernement depuis 12 mois, est fonctionnaire sans feuille de route, un bureaucrate de la vieille école, jamais élu, est devenu de facto Premier ministre avec rang de chaouch auprès de Rached Ghannouchi, le chef du parti religieux en Tunisie. Pour sortir l’économie de son impasse, pour sauver la révolte du Jasmin, la Tunisie a besoin de leaders transformateurs et pas de chaouchs majordomes. Décryptage…
Par Moktar Lamari, Ph.D.
Remaniement ministériel improductif, mais pas seulement! Un remaniement bloqué pour soupçon de corruption et qui rend le cabinet ministériel complètement inopérant. C’est le même Hichem Méchichi qui, par avidité de pouvoir, a fait muer son gouvernement censé être technocratique, vers un gouvernement ni-ni : ni technocratique, ni partisan.
En cause, un plan malsain : sortir certains ministres qui ne font pas l’affaire des partis religieux dominants au parlement et dont les affaires pénales et criminelles sont sulfureuses et se multiplient à vue d’œil.
Un booster de la crise actuelle
Quelle mouche l’a piqué? Méchichi, ce quadragénaire néophyte en politique s’est aplati et s’est mis à la solde de ces pouvoirs religieux, pour notamment désigner de nouveaux ministres au sein des départements de l’Intérieur et de la Justice. Pas difficile à comprendre, la manœuvre est pour bâillonner et pour réprimer les voix dissonantes et pour protéger le pouvoir des religieux et islamistes au pouvoir.
Une manigance? Certainement et pour cause : il est plus facile de changer de gouvernements et de ministres que de changer de politiques publiques. C’est plus facile de remuer des slogans et de gesticuler avec des promesses tenues par des novices en politique, que d’élaborer des bilans rigoureux, que de concevoir des réformes crédibles avec des objectifs et instruments dédiés.
Les changements de gouvernement et les remaniements de ministres et PDG en Tunisie post-2011 constituent un écran de fumée pour placer les «copains» à des postes clefs et détourner les regards de la paupérisation du pays, avec le retour exponentiel de l’analphabétisme et des maladies d’antan.
Dans ces interminables remaniements ministériels, les divers cérémonies et protocoles pervers au sein du parlement, constituent une occasion en or pour mettre en scène plusieurs députés girouettes et sans vision économique structurée, et qui adorent discutailler, pinailler et gesticuler… sans se rendre compte que leurs discussions sont stériles et insensées pour le commun des mortels en Tunisie.
Lors de ces toxiques débats au parlement, on parle de tout sauf des véritables enjeux: programmes d’actions, évaluation des résultats, détermination des objectifs, consensus sur les urgences, modalités de financements et autres éléments clefs requis pour mettre en œuvre des politiques quicréent la richesse et qui mettent de l’argent frais dans la poche des citoyens.
Un négationniste du marasme économique actuel
Mechichi ne semble pas comprendre que l’économie n’aime pas l’instabilité politique. Il n’a probablement pas la compétence requise pour comprendre l’ampleur des problèmes économiques vécus par les Tunisiennes et les Tunisiens.
Sept indicateurs résument les impacts économiques de ces incessants remaniements ministériels. Le revenu per capita a chuté de 34% entre 2011 et 2021 ($US constant). Pendant la même décennie, le dinar a perdu 45% de sa valeur face aux devises fortes, la dette publique a triplé, passant de 39% du PIB à 112% (État et sociétés publiques).
L’investissement a été divisé par trois, passant de 26% du PIB en 2008, à 8% du PIB en 2020. Face au gonflement de la taille de l’État et de la bureaucratie, consommateurs, investisseurs et opérateurs économiques se réfugient dans le marché informel (45% des employés recensés).
L’indice de la production industrielle a perdu plus 25% en 10 ans, sacrifiant les niches productives ayant une plus forte valeur ajoutée et ayant longtemps permis de renflouer la balance commerciale.
La pauvreté avance au lieu de reculer, l’analphabétisme augmente de façon exponentielle avec presque 150.000 jeunes (15% de ceux en âge de scolarisation) qui décrochent de l’école annuellement. Les élites claquent la porte, annuellement plus de 900 médecins et plus de 2000 ingénieurs et universitaires quittent le pays.
Étant perçus comme un partage du gâteau, les remaniements ministériels enveniment les conflits et alimentent la discorde entre les élites et entre les partis politiques. Ces discordes débouchent souvent sur des violences et des contestations dans la rue. Plus de 800 contestations publiques recensées, rien que pour 2020 (2 à 3 par jour). Et si rien n’est fait, de telles contestations entre partis politiques, entre clans et entre «tribus» peuvent amener la Tunisie, et très prochainement vers une guerre civile, comme en Libye voisine, comme en Syrie, comme au Yémen, comme au Mali, etc.
Un majordome et pas plus !
Ce chef de gouvernement cumule les pouvoirs d’un ministre de l’Intérieur (par intérim) et les pouvoirs du chef de gouvernement ne fait rien pour apaiser le climat politique, pire il envoie sa police répressive bastonner les manifestations des mécontents et des manifestants qui demander justice pour les meurtres de démocrates assassinés en Tunisie post-2011. Des meurtres attribués au parti religieux intégriste.
Méchichi ne se rend pas compte que la crise économique a besoin de politiques de réformes et de leadership transformationnel et d’une loyauté au peuple et pas aux lobbies et groupes de pression.
Il met de l’huile sur le feu des contestations, ajoutant plus d’instabilité gouvernementale et plus de chaos politique lié ne favorisent pas l’émergence d’une économie prospère! Un contexte qui ne fait rien pour créer un climat de confiance et d’apaisement propices pour les investissements et la productivité. L’instabilité gouvernementale actuelle attise le feu de l’inefficacité économique.
Peut-il comprendre que l’instabilité gouvernementale actuelle imprime une incertitude sur les politiques économiques (fiscales, monétaires, sécuritaires, etc.), nourrissant les anticipations négatives des agents économiques averses aux risques, et poussant les investisseurs à retarder sine die leurs décisions créatrices d’emplois. Et ce méfait se manifeste par la fuite des capitaux et par la désertion des cerveaux vers des pays plus stables politiquement, ralentissant ainsi la croissance économique. Plus de 2.900 personnes hautement qualifiées quittent le pays annuellement. Les investisseurs expatrient l’équivalent de 5% du PIB pour les investir ailleurs dans le monde, notamment en France, au Canada.
La jeunesse tunisienne est désenchantée et furieuse contre ces chefs de gouvernement créés ex-nihilo par ces partis politiques immatures et qui se dopent par une dette toxique et improductive.
Qui l’aurait cru, 10 ans après la Révolte du Jasmin, la Tunisie se trouve prise en otage par ce genre de chefs de gouvernements prêts à tout pour se maintenir au pouvoir. Un comeback, des chaouchs : ces majordomes sans programme, sans vision… rien d’autre que la soumission aveugle à des pouvoirs tacites et souvent peu patriotes. La Tunisie a besoin de leaders transformationnels pour créer de la prospérité et du bien-être collectif.
La Tunisie mérite mieux et elle grouille de compétences capables d’assumer le leadership requis pour relever les défis économiques et politiques du pays.
* Universitaire au Canada.
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