Le prix des aliments du bétail ne cessent d’augmenter et les marges bénéficiaires des éleveurs de se réduire. Les éleveurs demandent aux autorités d’intervenir pour diminuer les prix des aliments ou libérer le prix de vente du lait, viandes et œufs.
Par Ridha Bergaoui *
Dans le contexte économique actuel difficile, ces solutions paraissent peu réalisables. Une autre possibilité reste envisageable, celle de l’amélioration des performances techniques des élevages et la réduction des prix de revient des produits.
Quelques données sur le secteur de l’élevage
Les dernières données de l’Office de l’élevage et du pâturage (OEP) indiquent que Le troupeau bovin national est constitué de 437.400 unités femelles dont 252.900 laitières de races pures et 184.500 femelles locales et croisées. Cet effectif est réparti sur 112.100 éleveurs et la production de lait a atteint 1 424 million de litres/an et celle des viandes rouge est de 124.500 tonnes
La moitié des exploitants agricoles possèdent des superficies < 20 Ha. Celles-ci couvrent moins des 40 % des surfaces cultivées mais abritent 2/3 des bovins et plus de 50 % des petits ruminants.
La production de viande blanche (poulet et dindon) est de 197.400 tonnes, celle des œufs est de 1 940 million d’unités.
Un élevage bovin peu performant
Les performances du cheptel national sont, d’une façon générale, faibles. C’est le cas surtout des petits et moyens éleveurs, qui détiennent la plus grande partie du cheptel, et qui n’ont généralement ni la technicité ni les moyens matériels et financiers nécessaires pour une conduite rationnelle du cheptel.
Pour le troupeau bovin, les performances sont généralement très en-deçà des normes recommandées. L’objectif des éleveurs laitiers est d’avoir une bonne production laitière (lactation de 300 jours et 60 j de tarissement) et un veau/an soit un intervalle vêlage-vélage de 360 jours. Ces performances sont loin d’être atteintes. La production laitière est faible, l’intervalle entre vêlages trop long, des difficultés de retour en chaleur des vaches, un nombre important d’inséminations artificielles/vélage, des problèmes de stérilité et des ennuis sanitaires très fréquents (surtout boiteries et mammites) entraînant des réformes précoces des laitières. En moyenne une vache laitière est réformée après moins de 4 vêlages. Une réforme précoce représente un manque à gagner important pour l’éleveur puisque l’achat d’une génisse coûte cher (plus de 7 000 dinars) et doit être amortie sur un maximum de vélages. La qualité du lait reste médiocre et en été, avec la chaleur et le pic de production, la qualité se détériore rapidement et de nombreux centres de collecte refusent de réceptionner le lait des petits éleveurs ou des ramasseurs.
À côté des performances des animaux, la rentabilité de l’élevage dépend de la composition de la ration distribuée aux animaux et du prix d’achat des aliments. Une ration composée d’aliments produits à la ferme (verdure, foin, ensilage, paille, concentré autoproduit à base d’orge et de féverole par exemple) revient beaucoup moins cher qu’une ration dont les composés sont achetés du commerce.
Dans ce sens, le prix de revient d’un litre de lait produit dans une ferme du nord de la Tunisie qui pratique un élevage intégré à un système de culture revient beaucoup moins cher que celui produit par un élevage hors sol du Sahel par exemple qui est obligé d’acheter le concentré, le foin et la paille pour alimenter ses vaches.
Par ailleurs, le lait d’une vache nourrie à la verdure est beaucoup plus riche en matière grasse qu’un lait produit à partir d’un aliment concentré. Celui-ci conduit par ailleurs à des problèmes sanitaires fréquents d’acidose.
De petits éleveurs avicoles en difficulté
L’élevage avicole connaît également des difficultés suite à l’augmentation continue du prix du concentré consécutif à l’augmentation mondial des cours du maïs et du soja.
Le problème est moins grave pour les grandes entreprises généralement bien structurées et intégrées. Celles-ci disposent généralement de divers maillons de la chaîne de production (couvoir pour les poussins, usine d’aliments, bâtiments de production, abattoir et même points de vente). Une augmentation du prix des matières premières a une faible incidence sur le prix de vente du produit final (poulet, dindon ou œuf).
Ce sont surtout les petits éleveurs qui doivent acheter tout (poussins, aliments, produits vétérinaires, litière, matériel d’élevage…) et qui sont obligés de passer par des intermédiaires pour écouler leurs produits, qui sont les plus pénalisés. Les marges bénéficiaires pour ces producteurs sont très réduites d’autant qu’ils ont très peu de ressources et se trouvent à la merci de gourmands fournisseurs d’intrants et des intermédiaires sans scrupules. Par ailleurs, du fait de leur faible technicité et des mauvaises conditions d’élevage, les performances de ces élevages sont généralement médiocres : faible croissance ou ponte, gaspillage et mauvaise valorisation du concentré, mortalité élevée…
Des cultures fourragères peu pratiquées et marginalisées
Depuis longtemps, la culture des fourrages a été peu attractive pour les agriculteurs tunisiens. Ceux-ci préfèrent cultiver le blé dur plus rémunérateur. Ceux qui cultivent les fourrages, font généralement de l’avoine coupée tardivement comme foin et destiné surtout à la vente et à la spéculation.
À part les fermes étatiques, rares sont les exploitations qui produisent le fourrage et le conservent (en foin ou ensilage) pour nourrir un cheptel élevé sur place. Nous avons d’une part des agriculteurs qui n’élèvent pas d’animaux et des éleveurs qui font de l’élevage hors sol ou font pâturer leurs animaux au bord des routes ou dans les oueds.
Le prix du foin, généralement de mauvaise qualité, est élevé et la plupart des éleveurs comptent surtout sur les aliments concentrés du commerce pour nourrir leurs animaux.
L’année dernière, la production de verdure a été estimée à 2.800.000 tonnes, celle de l’ensilage est d’environ 518.000 tonnes et le foin 836.000 tonnes. La production de concentré par les usines d’aliments a été de 2.198.500 tonnes.
Pour un élevage performant, rentable et durable
Quoique sur le plan quantitatif, l’élevage a permis d’atteindre notre autosuffisance en matière de lait, de viandes et d’œufs, sur le plan rentabilité, performances techniques et qualité du produit, beaucoup reste à faire et d’importantes marges d’amélioration sont possibles.
L’élevage hors sol, consommateur d’intrants achetés de l’extérieur de l’exploitation (surtout aliments concentrés) est très fragile et se trouve secoué à chaque hausse des prix des facteurs de production. C’est un élevage non concurrentiel, non rentable et non durable.
Seuls les élevages bovins des exploitations polyvalentes intégrées (cultures-élevage) du nord de la Tunisie qui produisent sur place une partie raisonnable des aliments pour nourrir leur cheptel, sont rentables. Ces élevages ne représentent que 20% des éleveurs (GIVR).
Ces fermes doivent bénéficier d’encadrement technique de la part des organismes agricoles de vulgarisation pour les aider à adopter les techniques modernes et avantageuses de la production fourragère et animale. Alimentation convenable du cheptel, conduite rationnelle de la reproduction, hygiène et soins aux animaux doivent faire l’objet d’une attention permanente afin d’améliorer la production, la qualité des produits tout en ménageant l’état de santé et le bien-être des animaux.
Les cultures fourragères doivent prendre une place conséquente au sein de l’exploitation. Les bonnes pratiques de production, de conservation et d’utilisation des fourrages ont une incidence directe sur la qualité et la valeur nutritionnelle des aliments produits. Ces pratiques doivent être enseignées aux éleveurs afin de produire des aliments de qualité et bon marché et améliorer ainsi la rentabilité de l’élevage.
Par ailleurs, il est temps d’encourager les bons éleveurs qui font des efforts pour produire un lait de bonne qualité, hygiénique et riche en éléments nutritifs. Le paiement du lait à la qualité est une priorité pour motiver les éleveurs et faire progresser la filière.
Enfin, l’aviculture intensive est, dans le monde entier, l’affaire de grosses entreprises intégrées qui détiennent les différents maillons de la chaîne de production. Les petits éleveurs ne peuvent être concurrentiel et survivre devant ces sociétés très puissantes. Pour y faire face, les petits éleveurs doivent nécessairement diversifier leurs activités et s’organiser en coopératives, sociétés, etc., pour bien négocier avec les fournisseurs et les clients. Cette organisation permet également d’encadrer les éleveurs afin qu’ils améliorent leurs performances et la rentabilité de leur activité.
Conclusion
Le prix des aliments du bétail connaissent une hausse régulière. Cette tendance n’est pas prête à fléchir. Soutenir le secteur de l’élevage à coup d’aides et de subventions n’est plus raisonnable dans l’actuel contexte économique national difficile.
Les éleveurs sont appelés à améliorer la conduite de leurs troupeaux afin d’améliorer leurs performances technico-économiques et rentabiliser leur activité.
Le rôle de l’Etat est de soutenir les éleveurs et les aider à y parvenir en réorganisant les services d’encadrement et de vulgarisation qui doivent bénéficier des moyens nécessaires pour arriver à un élevage performant (sur le plan quantitatif et qualitatif) et rentable. Les éleveurs peu performants seront malheureusement obligés de quitter le secteur et de se reconvertir. L’Etat a le devoir de les aider et les soutenir.
* Professeur universitaire.
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