Clarice Lispector née Chaya Pinkhasovna Lispector est une femme de lettres brésilienne et un grand nom de la littérature lusophone. Elle est née le 10 décembre 1920 de parents juifs à Tchetchelnyk, un petit village d’Ukraine et décédée le 9 décembre 1977 à Rio de Janeiro. Le présent poème est traduit du portugais par Aurélie Tyszblat.
Poétesse, écrivain, épouse de diplomate, mystique, elle est reconnue internationalement pour ses romans novateurs, mais elle est aussi une grande nouvelliste et une journaliste de renom, ayant assuré une chronique nationale de façon régulière.
La famille de Clarice Lispector a fui l’Ukraine fuyant la persécution des juifs après la Révolution de 1917. Sa mère aurait été violée durant un pogrom, contractant, par cette agression, la syphilis. À leur arrivée au Brésil, elle a seulement deux mois. Sa famille s’installe tout d’abord à Maceió, Alagoas, où sa mère a des relations familiales, et se déplace plus tard à Recife, Pernambouc, où Clarice suit sa scolarité et où elle écrit également ses premiers essais. Après le décès de la mère de Clarice en 1929, son père décide que sa famille doit revenir vivre à Rio de Janeiro, alors que la jeune fille a déjà 14 ans. À Rio, elle étudie le droit.
En 1943, elle épouse son camarade de classe, Maury Gurgel Valente. Son mari commence une carrière diplomatique, ce qui les conduit dans différents pays, tels que les États-Unis, l’Italie, la Suisse et l’Angleterre. Le premier pays est l’Italie, pendant la Seconde Guerre mondiale, le couple accompagnant la Force expéditionnaire brésilienne qui combat au sein de la 5e armée américaine. Ils voyagent ainsi pendant une quinzaine d’années. Leurs deux fils naissent pendant cette période. Clarice Lispector se sépare de son mari en 1959 et retourne avec ses enfants au Brésil.
Elle parle couramment le français, mais aussi l’anglais et maîtrise convenablement plusieurs autres langues, en particulier l’italien et l’allemand. Ses compétences lui permettent de traduire des livres de l’anglais et du français. Elle entend parler le yiddish à la maison jusqu’au décès de sa mère mais affirme que le portugais est la langue de son cœur. Elle n’a jamais écrit dans une autre langue.
Il m’est arrivé de cacher un amour par peur de le perdre;
Il m’est arrivé de perdre un amour pour l’avoir caché.
Il m’est arrivé de serrer les mains de quelqu’un par peur;
Il m’est arrivé d’avoir peur au point de ne plus sentir mes mains.
Il m’est arrivé de faire sortir de ma vie des personnes que j’aimais;
Il m’est arrivé de le regretter.
Il m’est arrivé de pleurer des nuits durant, jusqu’à trouver le sommeil;
Il m’est arrivé d’être heureuse au point de pas parvenir à fermer les yeux.
Il m’est arrivé de croire en des amours parfaites;
Puis de découvrir qu’elles n’existent pas.
Il m’est arrivé d’aimer des personnes qui m’ont déçue;
Il m’est arrivé de décevoir des personnes qui m’ont aimée.
Il m’est arrivé de passer des heures devant le miroir pour tenter de découvrir qui je suis et d’être sûre de moi au point de vouloir disparaître.
Il m’est arrivé de mentir et de m’en vouloir ensuite, de dire la vérité
et de m’en vouloir aussi.
Il m’est arrivé de faire semblant de me moquer de personnes que j’aimais
avant de pleurer plus tard, en silence dans mon coin.
Il m’est arrivé de sourire en pleurant des larmes de tristesses et de pleurer
tant j’avais ri.
Il m’est arrivé de croire en des personnes qui n’en valaient pas la peine,
et de cesser de croire en ceux qui pourtant le méritaient.
Il m’est arrivé d’avoir des crises de rire quand il ne fallait pas.
Il m’est arrivé de casser des assiettes, des verres et des vases, de rage.
Il m’est arrivé de ressentir le manque de quelqu’un sans jamais le lui dire.
Il m’est arrivé de crier quand j’aurais dû me taire,
de me taire quand j’aurais dû crier.
De nombreuses fois, je n’ai pas dit ce que je pensais pour plaire à certains,
d’autres fois, j’ai dit ce que je ne pensais pas pour en blesser d’autres.
Il m’est arrivé de prétendre être ce que je ne suis pas pour plaire à certains,
et de prétendre être ce que je ne suis pas pour déplaire à d’autres.
Il m’est arrivé de raconter des blagues un peu bêtes encore et encore,
juste pour voir un ami heureux.
Il m’est arrivé d’inventer une fin heureuse à des histoires pour donner
de l’espoir à celui qui n’en avait plus.
Il m’est arrivé de trop rêver, au point de confondre le rêve et la réalité…
Il m’est arrivé d’avoir peur de l’obscurité, aujourd’hui dans l’obscurité.
«Je me trouve, je m’abaisse, je reste là»
Je suis déjà tombée un nombre innombrable de fois en pensant que
je ne me relèverais pas.
Je me suis relevé un nombre innombrable de fois en pensant que
je ne tomberais plus.
Il m’est arrivé d’appeler quelqu’un pour ne pas appeler celui que
je voulais appeler.
Il m’est arrivé de courir après une voiture parce qu’elle emmenait
celui que j’aimais.
Il m’est arrivé d’appeler maman au milieu de la nuit en m’échappant
d’un cauchemar.
Mais elle n’est pas apparue et le cauchemar fut pire encore.
Il m’est arrivé de donner à des proches le nom d’ami et de découvrir
qu’ils ne l’étaient pas.
D’autres en revanche, que je n’ai jamais eu besoin de nommer m’ont
toujours été et me seront toujours chers.
Ne me donnez pas de vérités, parce que je ne souhaite pas avoir
toujours raison.
Ne me montrez pas ce que vous attendez de moi parce que je vais
suivre mon cœur !
Ne me demandez pas d’être ce que je ne suis pas, ne m’invitez pas à être
conforme, parce que sincèrement je suis différente ! Je ne sais
pas aimer à moitié, je ne sais pas vivre de mensonges, je ne sais pas
voler les pieds sur terre. Je suis toujours moi-même mais je ne serais
pas toujours la même !
J’aime les poisons les plus lents, les boissons les plus amères, les
drogues les plus puissantes, les idées les plus folles, les pensées les plus
complexes, les sentiments les plus forts.
Mon appétit est vorace et mes délires sont les plus fous.
Vous pouvez même me pousser du haut d’un rocher, je dirai : – et alors ?
J’adore voler !
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