Si les cliniques privées, les médecins anesthésistes réanimateurs, les fournisseurs de vaccins et de produits pharmaceutiques et parapharmaceutiques, réalisent des bénéfices fabuleux du fait de la pandémie Covid-19, qui s’apparentent plus à ceux des profiteurs de la guerre, pourquoi faudrait-il que le contribuable commun, qui peine à joindre les deux bouts en cette période de terrible souffrance économique et sanitaire, soit taxé pour financer leur impunité judiciaire via la Caisse publique de dédommagement des victimes d’erreurs ou de complications médicales?
Par Dr Mounir Hanablia *
Le projet de loi sur la responsabilité médicale et le droit des patients est actuellement en cours d’examen au sein de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Il avait été mis en chantier à l’issue de la grave crise de confiance à laquelle le corps médical avait été confronté et qui avait connu son acmé après l’affaire des stents périmés, avec celle du Dr Slim Hamrouni, condamné à de la prison ferme des suites des funestes conséquences d’une erreur de transfusion sanguine qui n’était selon toute vraisemblance pas de son fait. Pendant la grève générale de protestation décidée par la corporation médicale, la garde à vue d’une résidente en pédiatrie de la maternité de Sousse, Dr Abir Omrane, plus tard condamnée pour falsification du dossier médical, après une plainte pour homicide déposée par la famille d’un nouveau né décédé, n’avait fait qu’exacerber la rancune d’un corps médical désabusé, et exigeant de s’entourer du minimum de garanties nécessaires à un exercice serein de sa profession. Et cette sérénité ne pourrait être rétablie selon ses représentants que par une dépénalisation de la pratique médicale.
Le concept de déresponsabilisation pénale des médecins
C’est ainsi qu’une réflexion avait été entreprise en association avec des juges et des avocats, et ces derniers avaient d’emblée rejeté le concept de déresponsabilisation pénale des médecins, selon eux irréaliste, au profit de celui du dédommagement en responsabilité civile, avec ou sans faute il faut le préciser.
On peut en effet le comprendre, il serait déraisonnable que les médecins ne soient plus redevables des conséquences de la non-assistance à personne en danger, l’imprudence, l’impéritie, la négligence, ou la violation des règles ou des normes de prudence et de sécurité. Et en effet les jurisprudences européenne et américaine desquelles le droit tunisien s’inspire ont toujours considéré que la responsabilité médicale couvrait les conséquences de tous les actes diagnostiques ou thérapeutiques réalisés, y compris et surtout lorsqu’aucune faute n’avait été commise.
Jusque-là ce sont les assurances qui étaient chargées de rembourser les victimes. Mais certains pays, comme la France, arguant du caractère long, complexe et coûteux, des actions en justice, ont décidé l’instauration de caisses publiques de remboursement, dans l’intérêt des victimes. Et apparemment en Tunisie, de médical et juridique, le problème est passé à la recherche des parties qui les financeraient.
D’emblée, les principaux acteurs de la médecine libérale, c’est-à-dire les cliniques privées, ne se sont pas montrées très intéressés de s’impliquer dans des projets dont elles n’auraient rien à gagner et beaucoup à perdre. Et entretemps, il y a d’abord eu l’affaire des nouveaux nés de la Maternité de l’hôpital Rabta, dont seule une forte mobilisation syndicale a empêché l’enquête judiciaire de suivre son cours dans la recherche de la source de l’infection, c’est-à-dire de ceux parmi les agents qui ne respectent pas les règles d’hygiène. Ce sont le directeur général, ainsi que le responsable de la maintenance et le pharmacien qui, dans la maternité, ont été mis en cause par la justice, mais n’ayant pas eux-mêmes commis directement de faute, leur incrimination ne pourrait à priori relever que du cadre civil, ou administratif.
Contrairement à ce qui s’était passé à l’hôpital de Sousse, cette fois le corps médical et paramédical ont été épargnés et il s’agit d’une décision politique, dont il est à espérer qu’elle rétablisse le préjugé favorable judiciaire en faveur des fonctionnaires de l’Etat dans l’exercice de leurs fonctions, afin de leur épargner l’indignité issue de procédures judiciaires souvent expéditives, en l’absence de culpabilité établie.
L’impunité de fait dont ne cessent de bénéficier les cliniques privées
Mis à part cela, il y a eu évidemment et surtout la pandémie Covid-19 et la loi votée par l’ARP contre toute logique en vue d’exonérer les industriels des vaccins de toute poursuite dans le cas d’effets indésirables secondaires à leur utilisation.
Associée à l’impunité de fait dont les cliniques privées ne cessent de bénéficier avec le refus systématique d’admettre des patients dénués des garanties financières nécessaires, et les conséquences qui en résultent, cette loi crée un dangereux précédent dont le corps médical devrait prendre conscience pour réclamer une dépénalisation de la pratique médicale, au moins durant l’actuelle pandémie, à l’instar de ce qui a été fait dans d’autres pays, y compris les Etats Unis d’Amérique, le plus dur en matière de répression contre les erreurs médicales.
Afin de situer les faits dans leur juste contexte, c’est la branche médicale la plus organiquement attachée à l’activité des cliniques privées et l’une des plus riches de la profession, celle des médecins anesthésistes réanimateurs, qui avait entraîné le mouvement de protestation de l’ensemble de la corporation, pour la libération du Dr Hamrouni et la dépénalisation de l’activité médicale.
Quelques années plus tard, alors que la pandémie s’étend comme un tsunami et qu’elle fait de plus en plus de victimes dans un contexte général d’irresponsabilité létale, les cliniques privées réalisent des bénéfices fabuleux grâce à la prise en charge des malades frappés des formes sévères d’infection au virus Sars Cov 2. Quelques unes d’entre elles, à l’instar de la clinique Carthagène ont même, dans ce véritable contexte de guerre et de mort, distribué des dividendes à leurs actionnaires, tant bien même la Banque centrale avait l’année dernière interdit aux banques une telle distribution, et porté ainsi un coup sévère à l’activité et à l’investissement boursiers .
Pourquoi faudrait-il que le contribuable commun paye pour les erreurs médicales ?
Les anesthésistes réanimateurs, dans ce contexte précis et au moment où le projet de loi sur la responsabilité médicale est discuté à l’ARP, ne sont plus enclins à défendre ce qu’ils réclamaient à corps et à cri il n’y a pas si longtemps. Et il ne leur sied plus que les cliniques privées dont ils sont souvent les actionnaires, parfois principaux, soient obligées, comme cela devrait l’être, de financer la nouvelle Caisse publique de dédommagement des victimes, d’erreurs ou de complications médicales, où ils sont souvent eux-mêmes impliqués.
Si les cliniques privées, les médecins anesthésistes réanimateurs, les fournisseurs de vaccins et de produits pharmaceutiques et parapharmaceutiques, réalisent des bénéfices fabuleux du fait de la pandémie, qui s’apparentent plus à ceux des profiteurs de la guerre, pourquoi faudrait-il que le contribuable commun, qui peine à joindre les deux bouts en cette période de terrible souffrance économique et sanitaire, soit taxé pour financer leur impunité judiciaire ? Cette loi de la responsabilité médicale n’est décidément ni nécessaire ni suffisante. Les textes en vigueur suffisent largement à la peine.
* Médecin de libre pratique.
Donnez votre avis