Il suffit de lire les ouvrages de Rached Ghannouchi, président du parti islamiste Ennahdha et de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), pour prendre la mesure du dogmatisme intellectuel, du conservatisme socioculturel et du sectarisme politique de cet homme très influencé par les penseurs salafistes et les thèses des Frères musulmans.
Par Abderrazek Ben Khelifa *
En quatre journées de confinement, j’ai achevé la lecture de deux ouvrages de Rached Ghannouchi: le premier en arabe intitulé «Les libertés publiques ans l’Etat islamique». Le second aussi en arabe intitulé «La femme entre le Coran et la réalité des musulmans».
Ghanouchi, fidèle à la tradition des leaders des Frères musulmans et de beaucoup de politiciens de sa génération, joint à l’action politique, une contribution théorique sous forme de livres ou de recherches plus ou moins approfondies.
Un authentique salafiste fondamentaliste
Dans les deux livres cités ci-haut, Ghannouchi surprend par son rejet de beaucoup de «postulats» salafistes tels que la guerre contre l’apostasie (حرب الردة) qu’il considère comme une guerre politique et non religieuse.
Bien plus, dans son premier livre, il considère le verset disant «Point de contrainte en religion» لا إكراه في الدين (La vache, 256) comme non abrogé (غير منسوخة), contrairement à beaucoup de penseurs islamistes radicaux qui croient à la conversion à l’islam par la force.
Toutefois, malgré ces quelques rares passages éclairés, Ghannouchi n’a pas raté l’occasion pour se déclarer un authentique salafiste fondamentaliste en jugeant la renégation, c’est-à-dire le changement de religion الردة comme un crime passible de la peine de mort (p.43)… mais à la discrétion du juge جرائم تعزير. Pour lui ce crime n’exige pas automatiquement l’application des châtiments divins الحدود et qui peuvent être commués en autres peines plus clémentes.
Concernant la démocratie pluraliste, Ghannouchi n’accepte pas de pluralisme en dehors de la chariaa. Bien qu’il accepte le principe de séparation des pouvoirs, il juge nécessaire à cet effet qu’un haut conseil de surveillance composé des oulémas (érudits religieux) dont la mission est de contrôler la conformité des lois et décrets émanant des pouvoirs élus à la chariaa à l’instar du régime iranien (Conseil des gardiens de la constitution مجلس تشخيص مصلحة الدستور).
Ghannouchi, en fin de compte, prêche dans son ouvrage sur l’Etat islamique (republié en 2012) pour un État théocratique dans lequel aucun parti laïc ou ne reconnaissant pas la chariaa n’est autorisé. D’ailleurs, il le dit d’une manière claire et nette en déclarant que dans l’Etat islamique tous les partis sont, textuellement, «les partis du dieu حزب الله, du moment où ils œuvrent pour faire triompher la chariaa».
La femme non-voilée est une esclave dont le corps est manipulé
Quant au second ouvrage sur la femme, le président du parti islamiste tunisien Ennahdha brise un tabou en considèrent que la discrimination pratiquée contre la femme en terre d’islam n’est que l’émanation d’une tradition sociale et que les textes fondateurs de l’islam n’ont jamais rétrogradé la femme en commençant par rejeter – à juste titre – la théorie selon laquelle la femme est une créature faite d’une côte courbée ضلع أعوج d’Adam. Ghannouchi rappelle que cette croyance est biblique et non jamais islamique.
Pour lui dieu créa l’homme et la femme en même temps, et ils sont tous les deux responsables du premier pêché et de ce fait ils sont mandatés استخلاف par dieu sur terre pour œuvrer ensemble et ce contrairement à la majorité des oulémas qui associent la prédominance de l’homme sur la femme القوامة sur le mandat de l’homme par dieu.
Ce zeste de libéralisme de Ghannouchi au début de l’ouvrage est rapidement balayé par sa position sur le port du voile selon laquelle une femme sans voile ressemble à l’état primitif de l’être humain et l’habit islamique est un signe de civisme, en réduisant la femme européenne à une esclave dont le corps est manipulé par le capitalisme.
Il finit aussi par déformer la théorie de Sigmund Freud sur la sexualité passive de la femme. Alors que Freud parle du sentiment de castration chez la fille du fait qu’elle n’à pas de pénis comme l’homme, Ghannouchi interprète cette donnée scientifique (discutable) pour annoncer que la femme n’a pas de désir biologique pour le sexe comme l’homme. Pour elle, ajoute-t-il, ce n’est qu’un besoin psychologique pour trouver un équilibre avec l’homme, imitant ainsi Youssef Qardhaoui auquel il a consacré tout un ouvrage.
En un mot comme l’a dit Mohamed Talbi, Ghannouchi n’a pas changé, il est resté salafiste. Et Ghannouchi le politicien n’est pas conforme à Ghannouchi le gardien des dogmes de son parti. Derrière l’homme politique flexible et consensuel se cache un islamiste fondamentaliste endurci.
* Activiste politique.
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