Le secteur informel a englouti l’économie tunisienne et représente, aujourd’hui, selon des statistiques non officielles, plus de 50% du PIB, privant ainsi le gouvernement de recettes fiscales indispensables. Cette situation ne saurait durer plus longtemps sans hypothéquer les chances de relance de l’économie nationale.
Par Amine Ben Gamra *
Malheureusement, la contrebande prospère dans les régions les plus pauvres : Gafsa à la frontière algérienne et Ben Guerdane à la frontière libyenne. Dans ces régions, de nombreux jeunes n’ont aucun espoir de trouver un emploi et se sentent ignorés par les opérateurs économiques préférant investir dans les régions côtières, plus prospères, et les jeunes entrepreneurs qui veulent y créer une entreprise trouvent des fonctionnaires indifférents et arrogants, se retrouvent embarqués dans une course aux papiers imposée par la réglementation administrative et ont rarement accès aux lignes de crédits des banques.
Intégrer le marché parallèle et sévir contre les réseaux mafieux
Pendant ce temps là, alors que beaucoup de jeunes sont acculés à tenter d’émigrer, parfois au péril de leur vie, les barons de la contrebande s’enrichissent, et parfois avec la complicité des responsables locaux ou des dirigeants des partis au pouvoir.
Faute de mieux, il serait toujours utile de «nettoyer» l’énorme quantité d’argent circulant dans le marché informel pour l’intégrer dans l’économie formelle, réduire la capacité de nuisance des réseaux criminels ayant prospéré avec l’effondrement de l’autorité de l’État et aider à relancer l’économie nationale.
Le développement des activités de type mafieux constitue une menace sérieuse pour notre économie et les hauts fonctionnaires, complices des malfaiteurs, qui tendent à confondre manifestations sociales réelles et activités criminelles, ne trompent plus personne.
La Tunisie doit maîtriser le secteur informel et veiller à ce que l’État ne perde pas environ la moitié des prélèvements qui lui sont dus par ses citoyens.
La fuite de capitaux ralentit le processus de développement
La fuite de capitaux représente un problème systémique qui a perduré, aussi bien durant la dictature que pendant la transition démocratique. C’est un des principaux facteurs qui ont freiné le développement de notre pays. Des montants faramineux échappent aux caisses de l’État, pendant que le pays traverse une crise générale (baisse de l’investissement, hausse du chômage, surendettement…) Et que l’État se retrouve privé de ressources essentielles pour assurer ses approvisionnements et honorer ses engagements envers ses administrés et ses bailleurs de fonds.
On relèvera dans ce contexte que même les personnes physiques ou morales résidentes, qui ont le droit d’ouvrir des comptes en devises en respectant la réglementation en vigueur, sont souvent impliquées dans le mécanisme de fuite de capitaux : cela se produit via la sous-facturation des exportations (en minimisant la quantité et les prix), dans le but de dissimuler les revenus réels et de maintenir la différence dans des comptes à l’étranger.
Autre procédé : la surfacturation des importations, qui permet aussi d’obtenir des devises supplémentaires auprès des autorités bancaires et de dissimuler la différence dans des comptes privés ou d’autres actifs.
La réglementation des changes est désuète et doit être révisée
La réglementation des changes ne remplit plus le rôle pour lequel elle a été créée. Aussi, les mesures de contrôle de la Banque centrale de Tunisie (BCT) ne sont-elles plus suffisantes pour éviter la fuite des capitaux et mettre fin au développement du marché parallèle.
Le projet de loi sur la relance économique et la régularisation des infractions de change, déjà voté par l’Assemblée des représentants du peuple, le 12 juillet 2021, avant que le président Kais Saied ne décide, le 25 juillet, le gel de ses activités et le limogeage du chef du gouvernement, a fait couler beaucoup d’encre. Surtout concernant la mesure phare de l’ouverture des comptes en devises et la régularisation des infractions à la réglementation de change.
Il est temps pour que les Tunisiens puissent enfin avoir le droit d’ouvrir des comptes en devises. L’article 11 Ter dudit projet loi ajoute une condition pour la détention et l’ouverture de ces comptes en devises: payer une contribution libératoire de 10% sur les montants déposés sur ces comptes. Le point 2 du même article fixe les règles d’utilisation des fonds déposés dans ces comptes. Ces fonds ne peuvent être utilisés que pour alimenter des comptes en devises étrangères ou en dinar convertible en Tunisie ou couvrir les dépenses à l’étranger des détenteurs de ces comptes.
Cette réforme permettrait de ramener des devises vers le circuit formel, de renflouer les réserves en devises de la BCT, de stabiliser le taux de change et de promouvoir les investissements directs étrangers, ce qui ne peut qu’être bénéfique pour tous.
Il faut rappeler que ce projet de loi ne sera activé qu’une fois promulgué par le président de la république et publié au Journal officiel (Jort). Il reste cependant à savoir si Kaïs Saïed va valider cette loi de relance économique contenant des mesures considérées par certains analystes économiques comme pouvant encourager le blanchiment d’argent et valoir ainsi à la Tunisie le classement sur quelque liste noire.
D’un autre côté, il est temps aussi d’adopter certaines réformes sociales pour revaloriser le travail et accroître sa productivité, sauvegarder le pouvoir d’achat du citoyen, contrôler les circuits de distribution et lutter contre la spéculation, la contrebande et la corruption.
Combattre les monopoles et les ententes criminelles
Les problèmes touchent toute la chaîne de production et de distribution dont l’attribution manque de transparence dans tous les domaines : fer, semoule, médicaments…, et où des monopoles voire des ententes continuent de perturber le marché et de provoquer des hausses artificielles des prix.
Le nouveau gouvernement, qui doit être formé dans les meilleurs délais, doit mettre en avant le potentiel des activités économiques à forte valeur ajoutée. De même que les activités novatrices, ainsi que les opportunités de partenariat dans les secteurs porteurs.
* Expert comptable, commissaire aux comptes, membre de l’Ordre des experts comptable de Tunisie.
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