Rached Ghannouchi, qui joue aujourd’hui au héros de la démocratie en Tunisie et au grand ami des États-Unis, a toujours détesté les Américains et n’a jamais fait mystère de cette cordiale détestation. Mais il n’hésite pas à les utiliser pour avoir leur appui politique, tout en se bouchant le nez de devoir composer avec un ennemi absolu. Mais ce qui est plus étonnant dans cette affaire, c’est que les Yankees, qui ne sont pas moins fourbes, feignent de croire sa langue fourchue et le soutiennent, lui et ses Frères musulmans, tout en les utilisant, bien entendu, contre leur propres peuples.
Par Imed Bahri
La nouvelle génération des hommes politiques américains ne connaît pas le vrai visage de Rached Ghannouchi. À l’époque où ce dernier appelait à détruire les États-Unis, l’actuel conseiller à la sécurité nationale Jack Sullivan ne savait pas encore placer la Tunisie sur une carte et le sénateur Chris Murphy, grand ami d’Ennahdha, jouait encore au vélo dans le jardin de ses parents au Connecticut.
En fait, Ghannouchi, à qui les États-Unis ont souvent déroulé le tapis rouge, l’invitant à pérorer du haut des tribunes de leurs think-tanks, n’a pas changé d’opinion sur les Américains, il est juste le champion du double discours, sport préféré des islamistes.
Doctor Rached et Mister Ghannouchi
En effet, la duplicité a toujours été la marque de fabrique des islamistes. Un langage et un comportement réservé aux leurs et un langage et un comportement réservé aux Occidentaux. Le chef historique d’Ennahdha, la branche tunisienne des Frères Musulmans, Rached Ghannouchi, en a fait la ligne politique de toute une vie. Entre ce qu’il dit aux officiels et aux médias américains et ce qu’il pense d’eux et ce qu’il en dit à ses fidèles, il y a tout un monde mais ça, les Américains, leur ambassadeur à Tunis Donald Blome et surtout la génération montante des nouveaux politiciens l’ignorent. Ils connaissent Doctor Rached mais ne connaissent pas Mister Ghannouchi.
Ils connaissent le Ghannouchi de «la démocratie en danger» qui, depuis l’annonce des «mesures exceptionnelles» par le président Kaïs Saïed, le 25 juillet dernier, multiplie les tribunes et les interviews dans les médias américains pour appeler les États-Unis au secours et qui avec ses fidèles harcèlent et manipulent avec leur lobbying actif à Washington les membres du Congrès américain pour qu’ils s’ingèrent dans les affaires tunisiennes et aident les islamistes à revenir au pouvoir, dont ils ont été chassés le 25 juillet, au terme de dix années de mauvaise gouvernance, de gabegie, de terrorisme et de corruption ayant mis la Tunisie à genou.
Mais il n’y a que les naïfs qui pensent que l’homme a changé ou évolué. Il est toujours dans le «en même temps» qu’il a inventé bien avant Emmanuel Macron, bien avant la naissance même du président français ! Il maniait le discours anti-occidental et surtout anti-américain devant les siens et allait pleurer dans les ambassades occidentales pour se plaindre de Bourguiba, puis de Ben Ali et, aujourd’hui, de Saied. Crédule, l’ambassadeur américain assista à son procès à la fin des années 1980 et Washington a même joué un rôle dans sa libération en intercédant en sa faveur auprès de Ben Ali. Mais fourbe, ingrat et profondément anti-américain, il appela à Khartoum, où il s’était réfugié en fuyant la Tunisie, le 30 août 1990, à s’attaquer et détruire les intérêts américains dans le monde islamique.
Dans le vivier soudanais
Face à une foule composée essentiellement d’islamistes soudanais, tunisiens et d’autres nationalités, rassemblés dans la capitale soudanaise par le leader islamiste Hassan Tourabi, son gendre (il lui fit épouser l’une de ses sœurs pour cimenter les liens entre les islamistes tunisiens et soudanais), Ghannouchi déclara verbatim: «Nous allons détruire tous les intérêts américains dans le monde et il n’y aura plus aucune présence américaine dans la oumma de l’islam».
Bien entendu ce n’est pas à Londres ou à Washington qu’il prononça ce discours digne d’un salafiste radical mais à Khartoum au Soudan, à l’époque capitale mondiale du terrorisme sous le régime militaro-islamiste d’Omar Hassan Al-Bachir (arrivé au pouvoir en juin 1989).
À l’époque, le Soudan était le paradis terrestre des mouvements islamistes radicaux. Oussama Ben Laden et Ayman Zawahri y vivaient et y possédaient leurs camps d’entraînement. Et à l’époque de ce discours, Ghannouchi avait 49 ans. Ce n’était donc pas un adolescent rebelle qui traverse une crise d’adolescence ou bien un jeune homme qui se cherche encore. Il était un adulte à l’aube de la cinquantaine et avait déjà manipulé les Américains à Tunis qui l’ont soutenu, car il les a embobinés en usant et abusant de la thématique de la démocratie et des droits humains que bafouaient, il est vrai, les régimes autoritaires successifs de Bourguiba et de Ben Ali, dont il se présentait comme l’une des victimes.
Toujours se présenter aux Américains comme une victime au nom de la démocratie des régimes en place, voilà sa recette, alors que son combat n’avait rien à voir avec la démocratie; il voulait juste prendre la place de Bourguiba puis celle de Ben Ali et instaurer le califat, ou État islamique, le rêve de tout islamiste, hier, aujourd’hui, demain et toujours.
Le serpent change de peau mais jamais de nature
Ghannouchi est un homme animé par l’ivresse du pouvoir et aucunement par l’idéal démocratique, qu’il instrumentalise dans sa quête effrénée du pouvoir. À la fin de cette vidéo, Ghannouchi tombe le masque en proférant une phrase digne d’Oussama Ben Laden, d’Abou Mossaab Al-Zarkaoui ou du calife de Daech Abou Bakr Al-Baghdadi: « واشعلوا وقود الحرب على الطاغوت بقيادة الأمركان » (Allumez le feu de la guerre sur les »Taghout » dirigés par les Américains).
Qu’on ne nous dise surtout pas naïvement que ce chef terroriste a changé ou qu’il a évolué! D’abord, il avait presque la cinquantaine quand il prononça cette phrase qui aurait bien pu être proférée par les auteurs de l’attaque du 11 septembre 2001 contre les tours du World Trade Center, à New York, au moment de commettre leur forfait.
D’ailleurs, quand il est retourné à Tunis après son exil londonien, en mars 2011, Ghannouchi nous a donné la preuve irréfragable qu’il n’a pas changé. On se souvient tous de la fameuse vidéo au siège d’Ennahdha où il recevait des chefs salafistes et leur demandait de «patienter», leur expliquant que le «tamkin» (l’entrisme, l’infiltration) a permis de «garantir» certaines institutions mais que d’autres comme l’armée ou la police «ne sont pas encore garanties» («ma homch madhmounin»).
Les Américains continuent-ils vraiment de croire au faux visage de démocrate et d’homme attaché aux droits et aux libertés que Ghannouchi leur présente ?
Les Frères Musulmans, les Américains ont appris à les connaître à travers l’un de leurs leaders, le diabolique Recep Tayyip Erdogan, qui leur avait promis que les islamistes seront aussi pro-américains et aussi dociles que les régimes autoritaires en place dans le monde arabo-musulman et qu’en plus, lui et ses «frères musulmans» pourront contenir les islamistes radicaux et les éléments terroristes et que, cerise sur le gâteau, ils acceptent le jeu démocratique et sont prêts à faire la paix avec Israël.
Un marché de dupes
C’est ce pacte entre les Américains et les Frères Musulmans qui donnera d’ailleurs lieu aux printemps arabes. Les États-Unis, bernés par ce baratin, ont finalement succombé à leurs propres illusions en soutenant les Frères musulmans et en espérant pouvoir les instrumentaliser dans leurs guéguerres impériales dans une région qui a toujours été leur… poudrière. Ce qui a peut-être facilité ce marché de dupes, c’est surtout le fait que les nouvelles générations de politiciens américains, Barack Obama en tête, ignoraient la face sombre des Frères Musulmans ou bien croyaient naïvement que ces derniers ont évolué ou que Washington pouvait les instrumentaliser à sa guise et sans y laisser des plumes. Que nenni, on ne manipule pas un serpent vénéneux sans danger !
Le problème aujourd’hui, c’est que Washington continue de soutenir les Frères Musulmans tout en le niant mais la meilleure preuve que leur soutien se poursuit aux islamistes c’est qu’ils les écoutent et se laissent manipuler et intoxiquer par leurs mensonges, notamment sur la situation en Tunisie, comme quand des membres du Congrès répètent sans vérifier que des parlementaires sont en prison en Tunisie pour des raisons politiques. Ce qui est totalement faux.
Que l’ambassadeur Donald Blome, qu’Antony Blinken, que Jack Sullivan, que les analyses de la CIA, qui ont trop mal analysé jusque-là le monde arabe, et que les membres du Congrès sensibles au lobbying des Frères Musulmans écoutent bien la vidéo de leur «ami» Ghannouchi qui appelait à la guerre sainte contre leur propre pays et après cela, s’ils continuent de croire les islamistes qu’ils les prennent chez eux à Washington pour bâtir avec eux une belle démocratie islamiste.
Le 25 juillet redonne de l’espoir aux Tunisiens
En ce qui nous concerne, nous autres Tunisiens, nous les avons essayés pendant dix ans, nous en avons bavé et nous avons eu la preuve définitive que démocratie et islamisme ne font pas bon ménage. De cette douloureuse expérience, notre pays est sorti traumatisé et économiquement en faillite. Et si nous sommes plus de 90% de Tunisiens à soutenir les «mesures exceptionnelles» du 25 juillet, c’est parce qu’elles ont mis ces fossoyeurs hors d’état de nuire et qu’elles vont nous permettre de reconstruire notre pays qu’ils ont détruit et sauver notre peuple qu’ils ont réduit à la mendicité.
Quant aux leçons américaines en matière de démocratie, elles sont très malvenues car un pays qui s’était donné pour objectif de bâtir une démocratie en Irak et en Afghanistan avec le résultat chaotique que l’on connaît est le dernier à pouvoir nous donner encore des leçons en la matière.
Donnez votre avis