Nous avons tous été choqués, récemment, par un événement inédit : l’attaque à l’arme blanche d’un enseignant par son élève a bouleversé toute la population, d’autant que ce phénomène de la violence en milieu scolaire ne cesse de s’amplifier, et pas seulement en Tunisie, le phénomène étant mondial.
Par Ridha Jaber *
Plusieurs élèves, mais aussi des cadres éducatifs, commettent, en effet, des actes de violence sous divers prétextes. Et des actes de violence ont été constatés à l’intérieur de l’enceinte éducative et dans son environnement.
Le harcèlement scolaire se caractérise par :
– la répétition de la violence, qui est reproduite sur une longue période rendant la vie de l’enfant harcelé infernale;
– le rapport de domination imposé de façon insistante. Il y a un abus de pouvoir, une prise de pouvoir d’un enfant sur un autre. L’agression se fait d’un élève plus «fort» contre un élève plus «faible» ou ayant des difficultés à se défendre dans cette situation; ou d’un groupe contre un élève isolé; ou encore des plus âgés contre des plus jeunes;l’intention de nuire de l’agresseur même quand il prend prétexte d’un jeu pour rire.
Le harcèlement se manifeste de différentes manières. Il est physique (coups de poing, coups de pied, menaces et destruction de biens); psychologique (moqueries, insultes et menaces); relationnel (grimaces, gestes obscènes, diffusion de rumeurs infondées, exclusion du groupe); et sexuel (commentaires sexistes, insultes, attouchements).
Il y a aussi un nouveau phénomène qui monte en puissance, le cyberharcèlement. Et là, la définition et la responsabilité du harcèlement changent. Par l’intermédiaire de l’internet, il est très facile d’humilier quelqu’un de façon rapide et indirecte. Cette nouvelle tendance démultiplie dangereusement les possibilités de harcèlement mais également l’impact dévastateur sur la victime.
Les types de harceleurs et de harcelés
Le harcèlement scolaire est souvent un phénomène de groupe car le harceleur a besoin du regard des autres, de témoins, de rieurs, de spectateurs.
Les victimes sont souvent des enfants plus petits, plus timides et surtout des enfants qui ne peuvent pas se défendre. Ils subissent cette violence au quotidien avec des séquelles engendrant des conséquences souvent irréversibles ou difficiles à dépasser. Elles peuvent se manifester par des difficultés de concentration, des problèmes de sommeil ou encore un affaiblissement de l’estime de soi. Elles peuvent marquer l’enfant durant longtemps.
Les élèves victimes de harcèlement sont plus susceptibles de souffrir de dépression et d’anxiété, d’avoir des problèmes de santé, de voir leurs résultats scolaires chuter et de présenter des problèmes de comportement à l’école, notamment un taux de décrochage élevé.
Les premières études sur le harcèlement ont été menées par des scientifiques à partir de 1990. L’expression anglaise «school bullying» était très utilisée et a été traduite en «harcèlement scolaire».
Les scientifiques ont découvert que le harcèlement est motivé par l’appartenance au groupe. Ce point est essentiel. Les harceleurs cherchent à prouver leur valeur personnelle au clan car ils ont en réalité très peur d’être rejetés. Il s’agit réellement d’un besoin de reconnaissance et d’une manière de prouver son importance.
Les études renseignent sur les violences scolaires qui marquent profondément les enfants, souvent à vie. Les statistiques sont stupéfiantes. Certes, des différences existent d’un pays à l’autre, mais la prévalence des violences à l’école est élevée partout dans le monde, à de rares exceptions. Les châtiments corporels infligés par les enseignants restent également très répandus, même s’il est avéré que cette pratique ne favorise guère l’apprentissage.
Par ailleurs, les victimes de violences scolaires sont exposées à toute une série d’effets délétères. Les risques de troubles de la santé sont plus élevés (sommeil agité, maux de tête, maux de dos…) tout comme les comportements à risque (consommation de drogues et d’alcool, relations sexuelles précoces…) Les idées et tentatives suicidaires sont également plus fréquentes chez les enfants qui subissent des violences à l’école. La quasi-totalité des variables des enquêtes sur la santé en milieu scolaire font état d’une corrélation statistiquement significative entre violences et résultats négatifs.
Sur la base de données factuelles internationales, certaines études démontrent qu’il existe un éventail de programmes pour lutter efficacement contre les violences au sein et à proximité de l’école. Ces interventions, qui doivent porter sur l’intégralité du cycle scolaire (petite enfance, primaire et secondaire) sont pour la plupart bénéfiques, et ce, à de multiples titres.
Les programmes destinés à stimuler les compétences socio-affectives améliorent par exemple les comportements sociaux positifs et les apprentissages chez les élèves. Les méthodes d’apprentissage collaboratif favorisent également les apprentissages ainsi que les relations avec les autres et l’image de soi.
Les États membres de l’Unesco ont déclaré le premier jeudi de novembre Journée internationale contre la violence et le harcèlement en milieu scolaire, y compris le cyber-harcèlement. Cette année, 2021, cette journée a été célébrée le 4 novembre sur le thème «Lutter contre le cyber-harcèlement et d’autres formes de violence en ligne impliquant des enfants et des jeunes».
Ces approches occupent une place centrale dans la nouvelle stratégie de l’initiative «Safe to Learn» présentée par l’Unesco avec le soutien des 14 membres de l’initiative, à laquelle la Banque mondiale a activement participé. La Banque mondiale a d’ailleurs fait de la sécurité et de l’inclusion dans les écoles le quatrième pilier de sa vision pour l’école de demain, rendue publique en décembre 2020.
Mettre fin aux violences scolaires n’est pas seulement une cause juste. C’est aussi un excellent investissement dans le capital humain et les données sont là pour le démontrer et guider l’action.
La prévention du harcèlement à l’école
La meilleure façon de prévenir le harcèlement est de communiquer fréquemment avec les enfants. Les moments de dialogue tels que les temps d’écoute en classe (TEC) que l’Académie du Lac et le Collège du Lac, en Tunisie, ont instauré dans leurs établissements apportent une des solutions au phénomène du harcèlement. En effet, la discussion et le dialogue qui s’installent dans le groupe sensibilisent les participants aux méfaits et aux conséquences dévastateurs de ce phénomène. L’application de cette méthode fait suite à des formations axées sur la discipline positive.
Un regard sur les mécanismes de construction du groupe et une présence d’aide à son fonctionnement dynamique peuvent éviter des situations de harcèlement.
C’est, également et entre autres, dans ce contexte que les directions de ces deux établissements ont programmé des séances de cours portant sur l’estime de soi de l’enfant. Ainsi, chaque élève étant unique et important prend conscience de sa valeur et de sa place dans le groupe.
Au cours de ces séances mais également par la suite, la perception, la réactivité et l’implication des élèves sont étonnamment spectaculaires.
L’éducation n’est complète que si nous enseignons à nos enfants non seulement la lecture et l’écriture mais également la différence entre le bien et le mal.
* Chef d’établissements scolaires.
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