La fonction publique en Tunisie croule sous ses innombrables effectifs, dont près de la moitié est inutile et d’ailleurs inutilisée, constituée de salariés fantômes qui disposent d’un emploi fictif et d’un salaire garanti, servi par l’Etat, tout en bénéficiant d’un autre emploi, réel celui-là et plus rémunérateur, dans le privé, s’ils ne s’adonnent pas à la contrebande qui détruit l’économie du pays. Jusqu’à quand va se poursuivre ce désordre qui s’apparente à un suicide collectif ?
Par Imed Bahri
L’expert financier Ezzeddine Saidane a estimé que les nombreux recrutements qui ont eu lieu dans la fonction publique au cours des dix dernières années ont fait grimper la valeur de la dette publique qui a dépassé désormais le seuil critique de 100 % du produit intérieur brut (PIB).
M. Saidane, qui intervenait par téléphone dans la Matinale de Shems FM, ce mercredi 1er décembre 2021, a déclaré qu’en 2010, la fonction publique employait 400 000 salariés, contre plus de 700 000 aujourd’hui.
Des recrutements massifs, inutiles et très coûteux
Des soupçons de clientélisme politique voire de corruption entourent ces recrutements massifs, sachant qu’un certain nombre des recrutés étaient des membres du parti islamiste Ennahdha, au pouvoir depuis 2011, et que plusieurs d’entre eux ont été recrutés sur la base de faux diplômes et, très souvent, sans se soumettre à la règle des concours imposée par la loi pour le recrutement dans la fonction publique.
Ce n’est pas ainsi qu’on aurait agi si on voulait vraiment garantir l’égalité des chances entre les demandeurs d’emploi, sachant que le chômage touche aujourd’hui plus de 700 000 personnes (sur une population de 12 millions d’habitants), dont plus de 200 000 diplômés de l’enseignement supérieur, soit aussi près de 18% de la population active, taux qui s’élève à près de 40% parmi les diplômés et dans certaines régions défavorisées.
«Continuer à s’endetter pour payer les salaires conduirait à une impasse», a encore indiqué M. Saidane, sachant que 97% du budget du ministère de l’Éducation est consacré aux salaires, ce qui laisse peu de moyens pour restaurer les écoles, les équiper, améliorer les conditions de la vie scolaire et assurer un service public digne de ce nom.
Conséquence: la masse salariale représente désormais 61,9 % du budget de l’Etat, a ajouté l’expert financier, en précisant que ce taux est sans doute le plus élevé au monde. Et il réduit considérablement les investissements publics, nécessaires à la relance économique, à leur plus faible part depuis l’indépendance du pays en 1956.
«Mosmar fi hit» et «mosmar msadded»
En ce qui concerne le recours à la retraite anticipée pour essayer d’alléger le fardeau de la fonction publique, l’économiste a estimé que cette mesure appauvrit celle-ci en en la privant des compétences dont elle a besoin pour assurer un meilleur fonctionnement, étant entendu que ce sont souvent les plus compétents qui optent pour ce choix, car ils sont plus en mesure de se voir offrir de nouvelles opportunités professionnelles, de trouver des emplois mieux rémunérés dans le privé ou de se mettre à leur propre compte. Etant entendu aussi que ce sont les plus médiocres qui s’attachent aux emplois plus sécurisés dans la fonction publique, «mosmar fi hit» (un clou dans le mur), disent-ils. Ce qui explique le nombre de «mosmar msadded» (clous rouillés) et bras cassés qui hantent les couloirs et les bureaux des institutions et des entreprises publiques et causent leur faillite.
Comment réduire la masse salariale de la fonction publique, comme l’exigent les bailleurs de fonds de la Tunisie depuis 2016, sans réduire les effectifs surnuméraires qui, non seulement font saigner le budget de l’Etat, mais aussi encombrent les établissements et les entreprises publics et réduisent la productivité et l’efficacité de l’administration ?
Cette question fondamentale, tous les chefs de gouvernement qui se sont succédé depuis 2011 n’ont pas eu le courage de la poser clairement et, surtout, d’y répondre par des mesures forcément impopulaires, mais qui pourraient être salutaires pour un pays qui n’a pas fini de manger son pain noir.
Pour ne rien arranger, il se trouve encore aujourd’hui, alors que le pays est au bord de la faillite, des dirigeants politiques pour exiger de l’Etat qu’il poursuive le gaspillage de ses maigres ressources financières en recrutant davantage de bras cassés.
La stupidité, la lâcheté et l’opportunisme sont, on le sait, les défauts les mieux partagés par la classe politique tunisienne, sans exception aucune.
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