Après trois années plutôt sèche, les dernières pluies du mois de mars ont été accueillies avec un grand soulagement par les agriculteurs et les éleveurs en Tunisie, car elles vont rétablir le niveau des ressources hydrauliques dans les barrages et la nappe phréatique. Cependant, dans le contexte de changement climatique et, sa conséquence, l’aggravation du stress hydrique dont souffre déjà notre pays, quelle stratégie devrons-nous adopter pour l’élevage bovin, que cette perspective menace de diminution drastique au cours des prochaines décennies?
Par Moez Ayadi *
Dans le cadre de la stratégie nationale d’adaptation de l’agriculture et des écosystèmes aux changements climatiques, des projections ont été construites pour la Tunisie aux horizons 2030 et 2050.
En effet, on doit s’attendre à une augmentation moyenne annuelle de la température sur l’ensemble du pays d’environ +1,1 °C en 2030 et +2,1 °C en 2050. Nous prévoyons, également, en 2030, une augmentation de la fréquence et de l’intensité des années de sècheresse, une baisse modérée des précipitations et une diminution du cheptel (bovins, ovins et caprins) jusqu’à 80% dans les régions du centre, du sud, et presque 20% dans la région du nord du pays.
Dans ce contexte de stress hydrique, quelle stratégie nous devrons adopter pour l’élevage bovin?
Rôle et place de l’élevage bovin
En Tunisie, l’élevage représente une composante très importante de la production agricole et de l’économie nationale vue qu’il génère deux produits stratégiques tel que le lait et la viande. En plus de son rôle productif, l’élevage joue un rôle social de première importance vue qu’il contribue à la création de l’emploi à hauteur de 42% des jours de travail dans le secteur agricole.
En Tunisie, le cheptel bovin compte 412 000 unités femelles dont presque 60% sont des races pures importées. Ce cheptel bovin de race pure est constitué à raison de 96% de Pie Noire-Holsteinisée, de 3% de Brown Suisse et 1% d’autres races, tel que la Tarentaise, Montbéliarde et Fleckvieh. De ce fait, l’élevage en Tunisie s’est orienté vers l’élevage des races.
Il est à signaler que le secteur organisé qui est composé d’exploitations étatiques, semi étatiques et privés détient 86% du troupeau de race pure et réalise environ 82% de l’ensemble de la production laitière. Cependant, bien que ce secteur constitue une source de revenu importante pour les éleveurs tunisiens, sa rentabilité au cours des dernières années est de plus en plus discutée surtout avec le nouveau contexte de changement climatique.
Les systèmes d’élevage bovin
Il y a différent systèmes d’élevage bovin en Tunisie : (i) l’élevage extensif ou traditionnel (ii) l’élevage intégré intensif et (iii) l’élevage semi-intégré ou hors sol. L’intensification du système de production laitier est en relation directe avec l’intégration de l’élevage dans le périmètre irrigué.
Pour cela, la production fourragère annuelle varie selon l’étage bioclimatique de la région d’élevage. En effet, dans les régions humides (950 à 1200 mm/ an) la production fourragère est basée essentiellement sur la quantité de précipitations annuelles surtout pendant la période hivernale. Alors que dans les régions subhumides (550 à 600 mm/an) la production fourragère est basée en plus de la quantité de précipitation annuelle sur une irrigation complémentaire surtout pour les cultures fourragères estivales. Par contre, dans les régions semi-arides supérieures (350 à 500 mm/an), l’élevage bovin est intégré dans le périmètre irrigué avec une production fourragère basée essentiellement sur l’irrigation presque durant toute l’année.
Futur rôle de l’élevage bovin
Un projet de recherche inter-universitaire entre l’Institut supérieur de biotechnologie de Béja de l’Université de Jendouba (Tunisie), la Faculté de vétérinaire de l’Université autonome de Barcelone (Espagne) et la Faculté des sciences des aliments et d’agriculture de l’Université de Roi Saoud (Arabie Saoudite) a été développé afin d’étudier les empreintes hydriques pour les produits bovins (lait et viande).
En effet, une étude pilote sera réalisée au gouvernorat de Jendouba, nord-ouest de la Tunisie, et qui sera basée sur le suivi des exploitations bovines, de différentes tailles (grande et petite), situées dans 2 zones de l’étage bioclimatique semi-aride (moins de 500 mm de précipitations annuelles au moyenne). La zone 1 est une région de grande hydraulique sans usage d’eau souterraine et la zone 2, région de moyenne hydraulique avec possibilités d’usage d’eau souterraine.
La méthode d’étude des besoins hydriques de l’élevage bovin consiste à :
– suivre l’usage d’eau à la parcelle de différentes exploitations tels que l’eau de précipitation à partir des relevés météorologiques régionaux, eau de la surface, eau à partir de pompage et l’eau virtuelle, cette dernière étant définie comme l’eau utilisée ailleurs pour produire des aliments de bétail achetés;
– suivre les itinéraires techniques des parcelles de fourrages (fertilisation, lutte phytosanitaire…etc);
– suivre la production fourragère (rythme de fauche et quantités de biomasse récoltées).
Le volume (m3/ha) et l’origine de l’eau (précipitations, eau des nappes et eau de surface) pour chaque culture fourragère sera calculé. Les rations des bovins et leurs variations temporelles seront évaluées. En se basant sur les performances zootechniques des bovins, l’usage d’eau annuel par vache et par veau en croissance sera déterminé. Par conséquence, la valorisation volumétrique de l’eau par le lait (eau totale par kg de lait, m3) et le gain de poids (eau totale par kg de gain de poids, m3) sera calculée.
Les résultats qui seront obtenus dans cette étude nous permettront de bien comprendre le futur rôle de l’élevage bovin en zone à stress hydrique ainsi que les possibilités d’interventions.
Les ressources en eau doivent être au cœur du développement de l’élevage bovin en Tunisie et doivent donc être pleinement intégrées aux réflexions et aux orientations sur la gestion durable du secteur eau.
* Docteur-ingénieur, maître de conférences en production animale, Institut supérieur de biotechnologie de Béja (Université de Jendouba, Tunisie), expert international à la FAO.
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