La Rue d’Espagne, une rue très fréquentée du centre-ville de Tunisie, connaît une forte dynamique commerciale, à l’approche du Mouled, fête religieuse commémorant la naissance du prophète Mohamed, qui est célébrée aujourd’hui, samedi 8 octobre 2022.
Un grand nombre de Tunisiens en quête des ingrédients de la crème de graines de pin d’Alep (assidat zgougou), met traditionnel tunisien préparé spécifiquement pour cette fête, font la queue devant les commerces d’épices et de fruits secs qui se succèdent le long de cette rue. Ces derniers exposent à profusion, en cette période de l’année, les graines de pin d’Alep, qui, contrairement à plusieurs autres produits, ne connaissent pas de pénurie. Et les prix, en cette période de forte inflation (9,1% en septembre), atteignent des sommets inédits, mais ce n’est pas pour dissuader les consommateurs.
La fête n’est plus ce qu’elle était
Hassine, propriétaire d’un commerce qui date des années 70, semble habitué à la grande affluence que connaît la rue d’Espagne à l’approche du Mouled, «On va servir tout le monde et vous aurez tous le plaisir de savourer l’assida avec vos familles», rassure-t-il ses clients, lesquels sont soucieux de faire au plus vite leurs achats. Hassine reconnaît toutefois, que «le Mouled n’est plus ce qu’il était, il y a quelques années».
Les clientes, elles, examinent la qualité des graines de pin d’Alep avant de les acheter, mais la majorité d’entre elles se contentent d’en acheter un seul kilo, le pouvoir d’achat des Tunisiens ne permettant plus des dépenses non essentielles.
Le prix du kilogramme de zgougou varie cette année entre 25 et 30 dinars alors qu’il oscillait entre 30 et 35 dinars l’année dernière, contrairement aux prix des fruits secs nécessaires pour décorer l’assida, qui ont flambé. Le coût de l’assida du Mouled varie entre 80 et 180 dinars, selon le nombre des membres d’une famille, a indiqué à l’agence Tap le président de l’Organisation tunisienne d’information des consommateurs (Otic), Lotfi Riahi. Le citoyen tunisien est toujours très attaché à la célébration des différentes fêtes religieuses, malgré la montée des prix et la détérioration de son pouvoir d’achat, a-t-il expliqué, en ajoutant qu’il est devenu plus conscient de la nécessité de rationaliser sa consommation face à une conjoncture économique difficile.
A la Cité Ibn Khaldoun, un quartier très peuplé de Tunis, les commerces d’épices et de fruits secs connaissent, également, une forte affluence. Abir, gérante d’un commerce dans ce quartier, surveille les vendeurs pour s’assurer de la satisfaction des clients, tout en essayant de ranger les marchandises renversées par le grand mouvement dans le magasin. Elle a indiqué que la majorité des clientes ont opté pour les préparations qui facilitent la cuisson de l’Assida.
Une tradition enracinée dans l’histoire sociale
Le sociologue Abdessatar Sahbani pense que la célébration de la fête du Mouled, jadis confinée dans les milieux citadins, est devenue «un phénomène social global» qui implique toutes les catégories sociales et toutes les régions du pays, étant ancrée dans l’imaginaire collectif comme un rituel spirituel qu’il faut préserver.
D’après Sahbani, «le Tunisien n’est plus prêt à se passer de ce met traditionnel. Le fait de le préparer à base de zgougou ou de noisette, est devenu un rituel qui rime avec vantardise sociale et aussi avec appartenance à la communauté. C’est désormais, une forme de festivité qui montre la position sociale des individus et leur adhésion à la société».
La célébration de l’anniversaire du Prophète remonte au IXe siècle, à la dynastie chiite fatimide, au moment de la conquête de l’Egypte par Al-Moez Lidinillah vers 937 après J.-C., indique Zine El Abidine Belhareth, président de l’association Tourathouna. L’Etat Hafside a préservé les manifestations de la fête du Mouled, mais les festivités étaient réservées à la haute bourgeoisie et ne dépassaient pas le cadre des palais, a-t-il ajouté.
Durant le règne de l’Empire ottoman, les manifestations de la célébration de l’anniversaire du Prophète ont cessé d’avoir un caractère aristocratique et se sont répandues partout. Elles se sont traduites par plusieurs rituels, dont les acclamations, le takbir et la glorification du messager de Dieu.
En Tunisie, la préparation de ce met à base de zgougou remonte à 1864, durant la révolution de Ben Ghedhahom, quand le pays a sombré dans une grande crise économique qui a engendré famines et pandémies.
Avec l’augmentation des impôts exigés par le Bey, le peuple appauvri a été contraint d’«inventer» des solutions alternatives pour subvenir à ses besoins alimentaires. L’assidat zgougou a été parmi les alternatives inventées par les pauvres, un met initialement destiné à cette catégorie, a rappelé Belhareth.
D’après Tap.
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